Alors que l’attention générale est focalisée sur la guerre en Ukraine, le crime organisé continue à fonctionner normalement et n’hésite pas à tenter de s’en prendre à des élus, des fonctionnaires, des journalistes et à des avocats qu’il estime gênants.

Le parquet fédéral belge a annoncé le 24 septembre que le ministre belge de la Justice, Vincent Van Quickenborne, et sa famille ont été placés sous protection policière renforcée car une enquête a fait jour à un « projet d’enlèvement » le concernant. Un véhicule avait été découvert à proximité de son domicile à Courtrai, ville dont il est aussi le maire contenant du fusil d’assaut, un gilet pare-balles, des sangle et du ruban adhésif. Dans ce cadre, quatre Néerlandais de 20 à 48 ans ont été arrêtés aux Pays Bas à La Haye et dans ses environs. Leur transfert vers la Belgique a été demandé. Quickenborne a affirmé que ce projet était l’œuvre de la « mafia de la drogue ».

Les raisons probables de cette tentative d’enlèvement.

Pour mémoire, le 9 mars 2021, la police judiciaire fédérale belge avait lancé l’une des plus grandes opérations de son histoire. Le décryptage de plus d’un milliard de messages du réseau téléphonique Sky ECC utilisé par le crime organisé (en coopération avec 22 pays dont les Pays-Bas et la France) a permis l’arrestation de 800 personnes. Ce coup très dur porté au crime organisé a provoqué des guerres internes pour la redistribution des territoires laissés vacants ou affaiblis par la mise hors circuits de responsables importants. En outres, certains lieutenants encore dans la nature tentent de faire libérer leurs « boss » emprisonnés par tous les moyens.

Frédéric Van Leeuw, le procureur fédéral de Belgique, ne cache pas son inquiétude : « on a vu des photos de personnes coupées en morceaux, torturées vivantes jusqu’à la mort. Des photos d’appartement où l’on rassemble tous les billets pour que des personnes viennent les chercher avec un niveau aussi de corruption et de violence insoupçonné. C’est ce que j’appelle du narco-terrorisme finalement, parce que l’idée est de décourager les gens de s’attaquer à ces problématiques sous peine de risquer leur vie. »
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Anvers. la principale porte d’entrée européenne de la drogue.

En parlant du crime organisé, le procureur général de Bruxelles, Johan Delmulle, a déclaré le 15 septembre « c’est un problème national, ce qui se passe à Anvers nous concerne tous. Le danger plane sur nous que la Belgique soit qualifiée de ‘narco-État’ ».

En 2021, une quantité record de 89,5 tonnes de cocaïne a été saisie dans le port.
Les autorités craignent que ces sommes astronomiques en jeu ne permettent la corruption d’agents (douaniers, policiers, dockers, etc) et d’entreprises utilisées comme « sociétés écrans » pour blanchir l’argent sale.

Sur le plan logistique, la drogue est majoritairement dissimulée dans des containers maritimes car les contrôles sont difficiles. D’ailleurs, le directeur général des Douanes, Kristian Vanderwaeren, précise que seulement 1,5% des 12 millions conteneurs débarqués annuellement à Anvers sont inspectés. Il ajoute : « on estime qu’une part de 10 à 20 % de la cocaïne en transit est interceptée, mais chaque année (NdA, souvent sur renseignements), le trafic augmente et nous n’avons pas les moyens de répondre aux besoins grandissants. »

Mi-août, le maire d’Anvers, Bart De Wever, a encore une fois tiré la sonnette d’alarme, en demandant au gouvernement fédéral d’intervenir. La police judiciaire mobilise déjà 20% de ses effectifs sur les affaires de drogue, et plusieurs magistrats menacés par les cartels ont été placés sous protection policière.

Une partie du trafic à Anvers passe ensuite par les Pays-Bas, déjà dénoncés dans les années 2000 comme une « narco-nation » par leur propre ministre de la Justice avant d’être expédié vers différentes villes d’Europe.

La « Mocro Maffia ».

À Anvers la communauté marocaine est souvent montrée du doigt en raison de la présence de la « Mocro Maffia ». Cinq familles belgo-marocaines sont soupçonnées de contrôler le marché. La « Mocro Maffia » qui a pour devise : « tous ceux qui parlent, mourront » fait des dizaines de victimes par balles chaque année en Belgique mais aussi aux Pays-Bas, en Espagne, au Maroc en Afrique noire et jusqu’en Amérique latine.

Mais elle n’est pas seule sur le marché.
Pour la police des Pays-Bas, le « roi de la drogue du port d’Anvers » serait Jos Leijdekkers, surnommé « Bolle Jos » (« Jos le gonflé ») ou « El Presidente ». Tout renseignement permettant l’arrestation de ce ressortissant néerlandais est rémunéré jusqu’à 75 000 euros.

En septembre 2021, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte avait été mis sous protection policière car ses soupçons d’une éventuelle opération d’enlèvement (ou d’assassinat) semblait en préparation(1).

Depuis l’assassinat le 6 juillet 2021 du journaliste d’investigations Peter R. de Vries à Amsterdam par deux tueurs à gages (les commanditaires ne sont pas connus avec certitude), les Pays-Bas renforcent la protection des avocats, des magistrats, des journalistes, des fonctionnaires et leurs familles.

En 2019, la « Mocro Maffia » était déjà impliquée dans l’assassinat de Derk Wiersum, un avocat d’Amsterdam spécialisé dans le crime organisé et les réseaux de trafic de drogue. Son client, Nabil B., un repenti dont le frère avait été assassiné en 2018, avait livré à la police des informations-clés sur le boss de la mafia marocaine, Ridouan Taghi. Ce criminel de « premier rang » dirigeait aussi des réseaux aux Émirats Arabes Unis et en Afrique Le 16 décembre 2019, il a été arrêté à Dubaï et extradé vers les Pays-Bas. Il est depuis incarcéré à l’isolement à la prison de haute sécurité de Vught. Il affirme préférer passer sa vie en prison que de livrer un seul nom à la justice.

1. Voir : « Pays Bas : la ‘Mocro Maffia’ menace le Premier ministre ? » du 28 septembre 2021

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