Après avoir nié la veille avoir bombardé Odessa 23 juillet, le lendemain le ministère russe de la défense reconnaissait finalement : « des missiles de haute précision et de longue portée lancés depuis la mer (Ndr : le 23 février) ont détruit un navire militaire ukrainien à quai et un stock de missiles antinavires Harpoon livrés par les États-Unis au régime de Kiev […] une usine de réparation et de modernisation de navires de l'armée ukrainienne a aussi été mise hors d'usage ».

Ces informations n’ont pu être vérifiées de manière indépendante, Kiev affirmant que quatre missiles avaient été tirés et de deux avaient été abattus.  Le président ukrainien Volodimir Zelensky accusait alors son homologue russe, Vladimir Poutine, d’avoir « craché au visage » de l’ONU et de la Turquie et d’avoir volontairement compromis l’application de l’accord signé le 22 juillet à Istanbul portant sur la reprise des exportations des céréales bloquées par la guerre.

a/s l’accord

À savoir qu’après de nombreuses tractations, le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, était parvenu à permettre la signature d’un accord entre la Russie et l’Ukraine autorisant ces deux pays à exporter par la voie maritime des céréales, des engrais et autres denrées alimentaires. Dans le détail, l’affaire est complexe. Kiev n’a pas voulu mettre son paraphe sur un document signé par la Russie. Ce sont donc deux documents séparés – mais au contenu identique – qui ont été signés avec la Turquie, pays intermédiaire, sous la supervision de l’ONU.

Cet accord a donc été signé pour un document par le ministre de l’infrastructure ukrainien Oleksandr Kubrakov, et pour le deuxième document par le ministre de la défense russe Sergueï Choïgu. C’est le ministre de la défense turc Hulusi Akar qui fait l’interface en parafant les deux documents au nom de la Turquie.

Cet accord est valable pour trois mois renouvelables. La cérémonie s’est tenue au palais de Dolmabahçe sur le Bosphore sous la supervision du président Erdoğan et du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.

Le point vital prévu est l’établissement à Istanbul d’un « centre de coordination conjoint » où siègeront des représentants turcs, russes, ukrainiens et de l’ONU pour assurer le transit des navires vers et depuis les ports d’Odessa, de Pivdennyi et de Tchornomorsk.

Les contrôles pourront être effectués par des équipes mixtes dans les ports turcs, particulièrement pour s’assurer que les cargos entrants n’ont pas d’armements ou d’équipements militaires à bord. La marine et l’aviation turques vont avoir un rôle tactique extrêmement important à jouer, en particulier en tant que forces d’« interposition » entre les Russes et les Ukrainiens.

Les premières difficultés

Après la joie qui a suivi la signature de l’accord puis la déception après le bombardement d’Odessa, de nombreuses questions se posent.
Selon le « Ananke Group », l’accord ne constitue pas un cessez-le-feu et ne comporte aucun mécanisme coercitif en cas de violation par un des signataires.
Moscou estime donc pouvoir continuer à cibler les cibles militaires en Ukraine, y compris dans les ports désignés pour l’exportation des céréales dont celui d’Odessa.
Kiev a pensé que cet accord pouvait sanctuariser Odessa et le commandement russe a vraisemblablement voulu mettre les choses brutalement au point en rappelant qu’il ne fallait pas espérer pouvoir accumuler troupes et équipements militaires dans ces ports en pensant qu’ils y seraient à l’abri.

Sur le plan technique, l’accord ne sera pas opérationnel avant quelques semaines car il convient de mettre sur pied ce fameux « centre de coordination conjoint » établi en Turquie dont la composition de l’équipe formée de représentants de l’ONU, de Turcs, des Russes et d’Ukrainiens n’est pas encore connue.
C’est cet organisme qui doit définir précisément la zone tampon et le corridor de transport puis établir un calendrier des rotations des navires et enfin définir quels seront les ports turcs dans lesquels auront lieu les inspections des navires marchands avant leur entrée en Mer Noire.

L’accord lui-même ne sera valide que si ONU et Moscou signent en parallèle un autre accord garantissant qu’aucune sanction occidentale ne s’appliquera pour les exportations de céréales et d’engrais russes… de « manière directe ou indirecte » !
Malgré les assouplissements annoncés par l’Europe, personne ne sait actuellement ce que Moscou entend par « manière directe ou indirecte ».
L’absence de l’Union européenne et des États-Unis en Turquie lors des négociations risque de pénaliser l’accord car, pour qu’il ne devienne pas caduc, il faut maintenant que Washington et Bruxelles clarifient leurs positions à propos des céréales et engrais russes. Cela risque de provoquer de nouveaux retards voire de le faire capoter.

Que peut en tirer la Turquie ?

La Turquie a une fois de plus, montré son rôle incontournable dans la politique régionale. À noter que si elle a bien condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie et même si elle a livré de nombreux drones à l’Ukraine, elle n’a pas suivi sur les sanctions et profite largement des exportations russes à des prix avantageux.

Il est possible qu’en tant que premier exportateur mondial de farine de blé, elle profite du déblocage de la situation pour en faire bénéficier ses minoteries et ses exportateurs.

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Texte

Alain Rodier

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