Des mouvements de troupes syriennes auraient actuellement lieu au Kurdistan syrien (Rojava) au niveau de la frontière turque (Kobane, Ayn Issa et Qamichli). Les Forces démocratiques syriennes (FDS) créées par les Américains en 2015 pour combattre Daech accompagneraient ces déploiements.

Cela aurait pour objectif de dissuader la Turquie de lancer une offensive dont le but serait d’établir une zone tampon d’une trentaine de kilomètres à l’intérieur du territoire syrien. Les milices des FDS composées majoritairement de Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), la branche armée du Parti de l’union démocratique (PYD), ont annoncé que 550 militaires syriens étaient arrivés à Ain Issa et à Kobane. D’autres forces devraient être déployées dans la région de Manbij (plus à l’ouest) et dans d’autres zones non désignées.

Ces mouvements font suite à un accord conclu entre les forces armées syriennes et les FDS pour s’opposer à toute nouvelle tentative d’invasion de la Turquie. Selon des observateurs locaux, un convoi de l’armée syrienne guidé par des véhicules des SDF comportait des véhicules blindés et des pièces d’artillerie. Il se dirigeait vers Ain Issa et Kobané. D’autres affirment que les militaires dépendant des 4ème, 7ème et 28 divisions syriennes. Si cette information est vérifiée, cela voudrait dire que des membres de la Garde républicaine, des forces spéciales et d’infanterie sont engagées.

Dans le même temps, la presse russe a fait état de l’arrivée de 500 parachutistes à l’aéroport de Qamichli plus à l’est à la frontière turque. Ils devraient pour s’opposer aux « gangsters soutenus par la Turquie », sous-entendu les milices turkmènes syriennes qui servent de paravent aux forces spéciales turques.

Les Kurdes sont inquiets car le 26 mai, le président turc Recep Tayyip Erdoğan, a menacé de mener une nouvelle opération dans le nord-est de la Syrie (à l’est de l’Euphrate). Le document transmis aux médias nationaux et internationaux dit : « les opérations existantes et nouvelles à mener visent à débarrasser nos frontières sud de la menace terroriste [représentée par le PKK et assimilés dont le YPG cité plus avant] ».

L’armée turque est engagée depuis mai 2019 dans le nord de l’Irak afin d’en déloger le PKK et contrôle en grande partie la région frontalière syrienne à l’ouest de l’Euphrate jusqu’à la province d’Idlib où la situation reste confuse entre les zones de déconfliction tenues par les Russes au sud et les Turcs au nord et les rebelles syriens – en réalité très proches des Turcs – au centre.

Depuis le début de la révolution syrienne en 2011, Ankara se livre à un jeu trouble sur zone. Ses relations avec les puissances intervenantes, États-Unis, Russie et Iran, sont ambivalentes. Depuis 2020, en plus de la zone de déconfliction d’Idlib citée plus avant, elle participe avec la Russie à des patrouilles le long de la frontière à l’est de l’Euphrate (du côté syrien) et occupe déjà une « zone de sécurité » entre Tal Abyad et Sere Kanye. Mais discrètement, les forces légalistes de Damas se sont réinstallées ponctuellement sur zone tout en ayant toujours maintenu deux îlots sous leur contrôle : Hassaké et Qamichli.

En 2019, les forces spéciales américaines déployées sur place depuis 2016 pour encadrer les FDS s’étaient redéployées autour des champs d’hydrocarbures plus au sud-est sous prétexte de poursuivre la lutte contre Daech (qui est toujours présent en 2022 de manière clandestine) mais en réalité, surtout pour en interdire l’accès au régime de Damas.

Des militaires syriens étaient présents en petit nombre sur zone depuis 2019, mais le demi-millier d’hommes signalés (plus les 500 parachutistes de Qachmili) formeraient l’avant garde d’unités beaucoup plus nombreuses.

Alors que Ankara se fait tirer l’oreille pour accepter l’adhésion de la Suède et de la Finlande au sein de l’OTAN(1), l’ennemi prioritaire actuel de l’Occident étant la Russie suite à l’invasion de l’Ukraine, il semble que la monnaie d’échange pour obtenir les bonnes grâces d’Ankara soit le sacrifice des Kurdes. Leur sort n’est pas sans rappeler celui des Palestiniens. Mais les Russes n’entendent pas laisser Ankara entrer librement en Syrie et, pour cela, utilisent l’armée régulière syrienne pensant que sa seule présence empêchera toute initiative belliciste turque.

Les intérêts en jeu dépassent largement la situation au Kurdistan syrien (comme irakien) qui ne sont que des théâtres d’opérations où les grandes puissances s’affrontent par intermédiaires qui, pour leur part, n’ont pas les mêmes objectifs.

1. Voir : « les Turquie tire des avantages de l’intégration de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN »du 30 juin 2022. L’affaire n’est pas terminée puisque ces deux pays son mis en demeure par Ankara d’extrader les « terroristes » présents sur leur sol vers la Turquie

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Alain Rodier

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