Lors d’une rencontre bipartite qui a eu lieu le 10 juin en marge du sommet sur la Sécurité du Shangri-La à Singapour entre les ministres de la défense américain et chinois (une première pour ces deux responsables), ce denier a déclaré que la Chine « n’hésiterait pas à débuter une guerre » et à « pulvériser » toute velléité d’indépendance de Taïwan.

Wei Fenghe a précisé à son homologue Llyod Austin : « si quiconque tente d’arracher Taïwan à la Chine, l’armée chinoise n’hésitera pas une seconde à se lancer dans la guerre quel qu’en soit le prix […] l’Armée populaire de Chine ( Armée populaire de libération, APL) n’aura pas d’autre choix que de combattre … et d’écraser toute tentative d’indépendance de Taïwan, de préserver l’indépendance nationale et l’intégrité territoriale [NdA : de la Chine]». Il a insisté sur le fait que : « Taïwan est la Chine… Utiliser Taïwan pour contenir la Chine de marchera jamais ».
La rencontre entre les deux ministres qui devait être brève a duré une près d’une heure, le double de ce qui était programmé initialement.

Austin avait déclaré la veille que Pékin devait s’« abstenir de poursuivre des actions déstabilisatrices vis-à-vis de Taïwan ». Il a bien affirmé que la position de Washington n’avait pas changé et a critiqué l’ « agression militaire chinoise » contre Taïwan évoquant les « multiples violations des zones de défense aériennes de l’île ». Les accusations de conduite agressives, non professionnelles et dangereuses des forces armées chinoises destinées à changer le statu quo existant avaient aussi été renouvelées. Pour mémoire, le président Joe Biden a déclaré lors d’un voyage au Japon en mars de cette année que Washington pourrait défendre militairement Taïwan en cas d’invasion de Pékin…

Parallèlement, Washington s’inquiète des menées chinoises en mer de Chine méridionale où les contestations d’eaux nationales sont nombreuses et historiques.

La présidente de Taïwan, Madame Tsai Ing-wen, a déclaré que son pays était déterminé à se défendre et que cette résolution serait « ralliée par les démocraties alliées à notre cause ». Les autorités de Taïwan affirment que seul le peuple (24 millions d’habitants insulaires) a le droit de déterminer le futur de l’île. Bien qu’elles souhaitent la paix avec la Chine, elles se défendront elle-même si nécessaire. L’Ukraine est citée en exemple pour son opposition aux « régimes qui poursuivent des objectifs expansionnistes ».

En ce qui concerne Pékin, les cartes sont clairement posées sur la table. La Chine n’est pas la Russie et constitue un adversaire encore plus redoutable pour les États-Unis d’autant qu’aucun président à la Maison-Blanche ne souhaite se voir entrainé dans un conflit nucléaire.

Avec seulement 146 millions d’habitants, la Russie semble être sensible à la stratégie de la dissuasion. C’est beaucoup moins le cas avec la Chine qui compte 1,4 milliard d’habitants)(1). En clair, le régime communiste chinois laisse entendre qu’il est prêt à sacrifier une partie de ses citoyens à ses principes fondamentaux.

Au niveau des budgets militaires (source SIPRI), si celui des États-Unis reste très largement le premier avec en 2021 801 milliards de dollars – en diminution de 1,4% -, la Chine a le second avec 293 milliards de dollars(2) – en progression de 4,7 % -.

Toutefois, les spécialistes – même taïwanais – s’accordent à penser que l’APL n’a pas encore la puissance militaire suffisante pour se lancer dans la conquête de l’île avec des chances raisonnables de succès. D’ailleurs, toutes les parties étudient ce qui se passe en ce moment en Ukraine pour en tirer des conclusions qui doivent amener des changements significatifs dans les tactiques en vigueur. Il semble que Pékin aura les moyens nécessaires pour une invasion à partir de 2025. La question fondamentale sera alors : est-ce que les Américains en général (qui étaient intervenus lors des « crises de Taïwan » de 1954, 1958 et 1995) et les Occidentaux en particulier accepteront de se faire tuer pour Taïwan (3) ? Pour information, la Chine possède aujourd’hui plus de 170 ogives nucléaires opérationnelles qui peuvent toucher le continent américain. Leurs forces sont constituées de missiles sol-sol dont une grande partie enterrés, air-sol et mer-sol (la Chine aurait sept SNLA opérationnels – un de type 092, six de type 094, quatre en construction – deux de type 094, deux de type 096 – et quatre de type 096 en projet). Ces sous-marins sont armés de douze missiles à têtes nucléaires ayant une portée de plus de 7.000 kilomètres.

1. 337 millions d’habitants aux USA.
2. Suivent l’Inde avec 76,6 milliards de dollars (+0,9%), la Grande-Bretagne avec 68,3 milliards de dollars (+3%) puis la Russie qui n’y a consacré « que » 65,9 milliards de dollars. (+2,9%). La France suit avec 56,6 milliards de dollars (+1,5%).
3. Fait historique peu connu, le général de Gaulle souhaitait que la France ait l’arme nucléaire, d’abord pour dissuader le Pacte de Varsovie d’attaquer les « intérêts vitaux » du pays, mais il pensait aussi à ce que les observateurs appelaient le « péril jaune ». La menace n’est donc pas nouvelle.

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Texte

Alain Rodier

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