Deux chefs de guerre s’affrontent aujourd’hui en Ukraine. D’un côté, l’agresseur, le général russe Alexandre Dvornikov âgé de 61 ans qui vient de prendre ses fonctions de commandant en chef des forces d’invasion(1), de l’autre, le défenseur, le jeune général de 48 ans Valeri Fedorovych Zaluzhnyi surnommé par ses hommes qui l’apprécient le « général de fer incassable ». La bataille qui se prépare à l’ouest du Donbass promet d’être extrêmement dure pour les deux parties et le sort des armes est incertain.

Valeri Zaluzhnyi est né le 8 juillet 1973 dans une famille de militaires. Son père était alors en garnison à Novohrad-Volynsky dans la région de Zhytomyr située à proximité de la frontière biélorusse.

Après de brillantes études, il intègre l’Institut des forces terrestres de la Faculté militaire d’Odessa. À l’issue, il suit le cursus classique d’officier d’infanterie : chef de section, commandant de compagnie en unité opérationnelle puis instructeur en école, chef de bataillon. En 2005, il est reçu à l’Université de la Défense Nationale Ivan Cherniakhovskyi à Kiev dont il sort breveté (équivalent du diplôme d’état-major) deux ans plus tard De 2009 à 2012, il commande la 51è brigade mécanisée de la Garde avant de revenir à l’Université militaire de Kiev pour suivre une formation supérieure (équivalent à l’école de Guerre) d’où il sort en 2014 alors du la révolution de Maïdan a débuté (21 novembre 2013 – 23 février 2014).

Dans le Donbass à l’est de l’Ukraine, la majorité de la population russophone et russophile s’oppose au nouveau pouvoir mis en place à Kiev. Les insurgés qui ont autoproclamé l’indépendance de la république populaire de Donetsk (RPD) et la république populaire de Lougansk (RPL) sont soutenus par des militaires russes « retraités » ou « en permission » ainsi que par des Société militaires privées (SMP) dont la plus connue est le Groupe Wagner. Officiellement, cela permettra au Kremlin d’affirmer qu’il n’est pour rien dans cette « première guerre du Donbass » qui début le 26 mai 2014. Le président Vladimir Poutine ne reconnaîtra l’existence des deux républiques séparatistes que le 21 février 2022, trois jours avant l’invasion de l’Ukraine.

Zaluzhnyi prend alors le commandement de la 24è brigade mécanisée de la Garde en août 2014 à Debaltseve où vont se dérouler les plus durs combats de la guerre en janvier 2015. Les forces gouvernementales ukrainiennes subissent de lourdes pertes. Ce serait d’ailleurs pour les limiter que le Président Petro Porochenko aurait été contraint de signer les accords de Minsk II en février 2015 dans des termes jugés très défavorables pour Kiev.

Zaluzhnyi enchaîne ensuite des postes de responsabilité au sein d’états-majors avant de retourner de nouveau à l’Université militaire de Kiev pour obtenir une maîtrise en relations internationales. Il est nommé Major général (général de brigade) le 23 août 2017.

Le 27 juillet 2021, le Président Zelensky démet Ruslan Khomchak de son poste de général en chef des forces armées qu’il occupait depuis le 21 mai 2019 car ce dernier ne parvient pas à s’entendre avec le Ministère de la défense. Le même jour, il le remplace par Zaluzhnyi alors chef du commandement opérationnel du Nord qui est promu au grade de Lieutenant général (général de division) le 24 août 2021. Il atteindra le grade de général (le plus élevé en Ukraine) en pleine guerre le 5 mars 2022.

Zaluzhnyi prend soin d’éviter toute notoriété tapageuse laissant le rôle de communication politique au président Volodymyr Oleksandrovytch Zelensky, qui, de par sa formation, est plus qualifié que lui pour cela. Il avoue être un militaire dans l’âme et n’avoir jamais imaginé occuper de si hautes fonctions.

Toutefois, il n’a jamais caché qu’il souhaitait que l’effort militaire devait être mieux soutenu – en particulièrement financièrement – par la société civile. Mais lorsque la guerre débute le 24 février 2022, son exigence est simple : laissez les soldats faire leur travail – et surtout n’émettez pas de doutes sur la manière dont les opérations sont conduites -.

Enfin, il affirme aujourd’hui que l’Ukraine a arrêté la seconde armée la plus puissante au monde « bloquant l’adversaire dans toutes les directions […] nous lui avons causé des pertes qu’il n’avait jamais connu ou aurait pu imaginer […] tous les Ukrainiens le savent. Le monde le sait ».

Il fait partie de cette nouvelle génération d’officiers qui a rompu avec l’ex-Armée Rouge en bénéficiant de l’aide de l’OTAN. Cela a été complété par leur expérience au feu au Donbass à partir de 2014.

Rompant avec la sclérose des tactiques héritées de l’URSS, ces officiers ont réussi à mettre sur pied des méthodes militaires qui allient souplesse et initiative aux plus bas échelons. Pour y parvenir, des pays de l’OTAN ( États-Unis, Grande-Bretagne, Canada, Pologne, Lituanie et d’autres) ont ouvert des centres d’entraînement dans l’ouest de l’Ukraine.
Alors que le monde entier – en dehors des services de renseignement anglo-saxons – ne croyait pas à l’hypothèse d’une offensive générale sur l’Ukraine, le pire est arrivé le 24 février avec les tirs de missiles dans la profondeur du pays et le déboulé de blindés sur Kiev et toutes les frontières Est et Sud du pays. L’armée ukrainienne a parfaitement su manœuvrer pour emporter de haute lutte la première phase.

Le président Vladimir Poutine furieux aurait limogé de nombreux responsables dont nombre d’officiers de renseignement. Sur le plan tactique, un commandement unique pour l’Ukraine a été créé et les objectifs revus considérablement à la baisse. Une offensive avec des moyens regroupés depuis le Donbass vers l’ouest semble se préciser. Personne n’est capable aujourd’hui de définir quel sera le sort des armes entre les forces commandées par le général Zaluzhnyi et celles du général russe Alexandre Dvornikov de 13 ans son aîné. À noter que son surnom est peu enviable : le « boucher de Syrie » en référence à son temps de commandement sur zone.

Il semble que, pour Washington et une partie des pays de l’OTAN, la bataille qui se prépare pourrait être favorable aux forces Ukrainiennes. C’est cet optimisme qui pousserait le président Joe Biden à étendre ses accusations de « crimes de guerre et contre l’humanité » à celle de « génocide ». Si une négociation peut avoir lieu, ce n’est certainement pas avec Poutine qualifié de cette manière car sa place est alors devant un tribunal international comme celui de Nuremberg(2). L’espoir de Biden réside peut-être dans une révolution de palais pouvant avoir lieu au Kremlin mais cela reste pour l’instant du domaine de l’hypothèse.

Mais parier sur une victoire militaire n’a rien d’évident car, sur le front du Donbass les Russes ont des lignes logistiques raccourcies alors que celles des Ukrainiens sont rallongées et constituent des cibles de choix pour l’aviation. Surtout, les Russes risquent de tenter de submerger leurs adversaires par des tirs roulants d’artillerie suivis d’un déferlement d’assauts blindés. Le terrain local se prête à des déboulés de ce type et les Ukrainiens n’ont pas assez de chars de combat(3) pour parer à une tactique qui est alors évolutive et rapide. Même les servants des missiles anti-chars qui ont été très efficaces dans les régions urbaines de Kiev et de Karkiv, risquent cette fois de se retrouver isolés par les manœuvres de l’adversaire surtout si c’est une défense dans la profondeur qui est adoptée. Il convient de rester prudent en ne sous-estimant pas l’armée russe qui, si elle n’a pas été à la hauteur tactique lors de la première phase de la guerre, peut se reprendre. Les prochaines semaines vont être décisives pour la suite du conflit…

Il n’en reste pas moins qu’alors que tous observateurs guettent le début de l’offensive russe à terre, le navire amiral russe de la Flotte de la mer Noire, le lanceur de missiles Moskva a été sérieusement endommagé par un incendie et la majorité de l’équipage a été évacuée. La version russe est que cet incendie est accidentel et celle ukrainienne est qu’il a été causé par deux missiles. Quoiqu’il en soit, c’est encore une image désastreuse pour l’efficience de l’armée russe.

1. Voir : « UKRAINE. Enfin un chef à la tête des forces d’invasion russes ? » du 11 avril 2022.
2. À recréer car les juridictions internationales actuelles ne sont pas reconnues par Washington (ni par Moscou et Pékin).
3. D’où la recherche de T-72 et la proposition de Krauss Maffei d’une cinquantaine de Leopard I (mais quid des munitions pour son canon de 105 mm ?).

 

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Texte

Alain Rodier

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