Le Kremlin a désigné le général d’Armée Alexandre Dvornikov comme commandant en chef des forces d’invasion russes en Ukraine. Il semble que ce poste n’avait pas été créé précédemment ce qui, sur le plan opérationnel, était une erreur fondamentale. On ne dirige pas des manoeuvres militaires complexes depuis l’arrière.

En effet, cette « opération spéciale » qui consistait à envahir un pays de 45 millions d’habitants et à décapiter son gouvernement a été, jusqu’à maintenant, un échec patent car elle avait été sous-estimée par le président Vladimir Poutine.

Si la nouvelle se confirme, une explication technique vient d’être donnée : le Kremlin considérait réellement cette invasion comme une « opération spéciale » mais pas comme une « guerre »(1). Vraisemblablement mal informé par un entourage de courtisans aux ordres, le président Poutine semblait persuadé que tout allait être décidé en quelques jours. L’Ukraine devait tomber comme un fruit mûr.

L’expérience de la prise de la Crimée en 2014 par les « petits bonhommes verts » puis de l’intervention surprise en Syrie en septembre 2015 a été trompeuse. Tout s’était alors très bien passé avec des moyens militaires relativement limités. Même les opérations de soutien aux provinces séparatistes du Donbass s’étaient déroulées correctement en 2014 – mais un signal d’alerte aurait déjà dû retentir car la tâche avait été plus difficile que prévu alors que les populations locales sont russophones et russophiles -.

Ce sentiment de toute puissance a vraisemblablement égaré Poutine. Il a sans doute pensé que tout pouvait être dirigé en direct depuis Moscou. Le haut responsable militaire en charge des opérations était le chef des armées, le général Valery Gerasimov qui est toujours officiellement en place aujourd’hui même s’il se montrer relativement discret.

Aucun état-major dédié ne devait donc être mis en place puisqu’il n’était pas question de « guerre ». Ce fut une erreur fondamentale car elle explique en partie les « dysfonctionnements » sur le terrain qui ont été constatés par tous les observateurs.
Au départ cinq offensives lancées quasi indépendamment les unes des autres sans réelle coordination. Personne ne semblait distinguer où était l’effort principal.
La coordination des forces était, au mieux déficiente, au pire inexistante. Les moyens aériens ont été mal employés et ne sont jamais parvenus à obtenir la maîtrise du ciel qui était indispensable pour toute victoire terrestre.
La logistique a été totalement défaillante en raison de l’élongation des lignes mais surtout par une impréparation évidente. Si la soldatesque russe a parfois pillé les magasins (et sans excuser ces faits), c’est qu’elle avait simplement faim la logistique ne suivant pas.
Quant aux exactions impardonnables, elles sont vraisemblablement la conséquence d’une troupe mal encadrée et démoralisée par les défaites locales.
Enfin, Moscou avait oublié que l’armée ukrainienne s’était considérablement renforcée en hommes et en matériels. Surtout, depuis 2014, les cadres ont connu par rotations l’expérience irremplaçable du feu au Donbass. On ne reviendra pas sur le nationalisme ukrainien qui s’est renforcé face aux actions hostiles de Moscou.

Cette période semble être terminée. Un « commandant en chef » a été désigné vraisemblablement avec la mise place d’un état-major dédié.
Le général Alexandre Dvornikov, né en 1961, a rejoint l’Armée rouge en 1978. Il a été décoré de l’Ordre du mérite militaire en 1996 et, après un rôle de premier plan lors de la guerre en Syrie en soutien des forces de Bachar el-Assad, il a reçu le titre de héro de la Fédération de Russie. En 2020, le président russe Vladimir Poutine l’a promu au rang de général d’Armée.
Point important Dvornikov avait été désigné le 20 septembre 2016 comme commandant du district militaire sud qui englobe depuis 2014 la Crimée. Logiquement, c’est lui qui avait la responsabilité des fronts Sud. Ce sont eux qui ont remporté le plus de succès tactiques sur le terrain puisqu’ils ont vu à l’ouest la prise de la ville de Kherson, au nord celle de la centrale nucléaire de Zaporizhzhia, à l’est celle du port de Berdiansk puis le siège de Marioupol et enfin la jonction avec les forces venant du Donbass.

Dans tout conflit, le rôle d’un commandement unique est non seulement indispensable sur le plan opératif mais aussi sur celui du moral des combattants. Les noms de chefs militaires qui ont galvanisé leurs troupes reviennent en boucle comme celui du maréchal Gueorgui Joukov pour l’URSS.
À l’évidence, Poutine s’est rendu compte que son « opération spéciale » était une « guerre » et qu’il fallait revoir les méthodes et les moyens. C’est inquiétant pour l’avenir car les négociations semblent être dans l’impasse et la guerre risque de durer jusqu’à l’épuisement total d’une des deux parties. Si on ne fie qu’aux chiffres, la Russie a largement l’avantage des moyens humains et matériels. Il faudra attendre pour voir si la nomination de ce chef de guerre a changé la face des choses. Elle devrait améliorer la coordination des opérations, les rotations de troupes et la logistique.
À noter que pour les Russes, recentrant leur action sur le Donbass et les côtes sud de l’Ukraine, la coordination des opérations va devenir plus simple et les lignes logistiques seront raccourcies. Par contre, celles des Ukrainiens vont être rallongées de quelques 500 kilomètres, ce qui ne va pas être aisé à gérer en se prémunissant des frappe adverses.

1. Au même titre que les interventions en Crimée, au Donbass et même en Syrie ne sont pas considérées à Moscou comme des guerres mais comme des « opérations spéciales ».

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Texte

Alain Rodier

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