Rappel : Le 24 février 2022 à l’aube, le président Vladimir Poutine annonce le lancement d’une « opération militaire spéciale » en Ukraine.

Après des bombardements des sites de la défense aérienne et de transmissions, les forces terrestres russes pénètrent sur le territoire ukrainien suivants quatre axes.
. depuis le Nord, deux offensives, l’une visant la capitale Kiev, l’autre la ville de Kharkiv.
. depuis l’Est (Donbass) vers le nord-ouest pour rejoindre Kharkiv, vers le sud-ouest avec comme objectif Marioupol.
. depuis la Crimée au Sud vers Kherson à l’Ouest, le long du Dniepr vers le nord et à l’est vers Marioupol.

Le 26 février, l’armée russe reçoit l’ordre d’élargir son offensive « dans toutes les directions ». En réalité, c’est Poutine qui, mal renseigné par ses services secrets et son armée(1), pensait que l’Ukraine allait s’effondrer en quelques heures, a voulu donner un « coup de fouet » à ses troupes.

Le lendemain, le 27 février, devant les réactions des Occidentaux qui – contre toute attente – présentaient un front uni contre l’invasion, il proclame la mise en alerte en alerte sa « force de dissuasion » (qui ne comporte pas que des armes nucléaires). Cette mesure psychologique est surtout destinée à ce que les Occidentaux, n’aillent pas trop loin dans leur soutien militaire à l’Ukraine, ce qui a évité la création d’une zone d’interdiction aérienne et la livraison d’avions MiG-29 par la Pologne via les Américains(2).

Le 2 mars, des troupes aéroportées russes arrivent à Kharkiv et dans le Sud-est, l’artillerie russe bombarde Marioupol qui est assiégée.
Le 3 mars, après des combats acharnés, les forces russes prennent le contrôle de Kherson et de la centrale nucléaire de Zaporijjia.Le 9 mars, l’armée russe bombarde un hôpital pédiatrique ukrainien à Marioupol qui fait trois victimes. Les Russes démentent parlant d’une « opération sous faux pavillon » puis Moscou dit déclencher une enquête.
Sans doute pour faire diversion, Moscou affirme avoir découvert des laboratoires de recherche pour armes chimiques et bactériologiques financés par les États-Unis. Pour le moment, aucune preuve crédible n’a été présentée. Les Occidentaux et les Ukrainiens rétorquent qu’ils craignent que les Russes ne fassent usage de telles armes comme cela aurait été le cas dans le passé en Syrie.
Au début mars, les forces russes ont engagé la quasi totalité de leurs forces prépositionnées autour de l’Ukraine soit environ 200.000 hommes (sur les 390.000 que compteraient l’armée de terre). Ces effectifs sont insuffisants pour tenir les terrains conquis. C’est pour cette raison que des unités de la Garde Nationale russe forte de 340.000 personnels(3) ont été dépêchés en Ukraine, en particulier dans le Sud ainsi que des Tchétchènes et peut-être des mercenaires syriens.

À côté de la guerre, trois rounds de négociations entre Russes et Ukrainiens ont eu lieu en Biélorussie. Il en est sorti une mesure : l’établissement de couloirs humanitaires pour évacuer les populations des villes assiégées. Cette mesure est partiellement appliquée.
Parallèlement, le président turc Recep Tayyip Erdoğan est entré en contact téléphonique à plusieurs reprises avec son homologue russe. Le 10 février, il a pu organiser une rencontre au niveau des ministres des Affaires étrangères russe et ukrainien à Antalya. Même si elle n’a rien donné de concret, cela a été une première entrevue qui pourrait être suivie par d’autres dans l’avenir.
Le président français et le chancelier allemand ont également continué à entretenir le dialogue (de sourds ?) avec Poutine.
L’ex chancelier allemand (1998-2005) Gerhard Schröder (qui est visé en Allemagne par une plainte pour «crimes contre l’humanité» en raison de ses liens avec le Kremlin), président du conseil de surveillance de Rosneft, le premier groupe pétrolier russe, s’est rendu à Moscou pour parler à son « ami » Poutine le 10 mars.
Tout cela pour dire que les contacts existent encore entre le Kremlin et les Européens (et la Turquie). Les seuls qui refusent de parler aux Russes (du moins officiellement ; les deux pays maintiennent des représentations diplomatiques dans les différentes capitales) sont les Américains. Washington continue à défaire les derniers liens qui pouvaient relier les États-Unis à la Russie. Si cette dernière va indéniablement souffrir de cette rupture économique quasi-totale, Washington va nettement moins être impacté car les États-Unis sont peu dépendants de Moscou. Ceux qui vont souffrir par l’effet boomerang, ce sont les Européens…

Les premières leçons

Les observateurs comme Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas-More ? remarquent que : « L’offensive éclair a échoué, la progression se poursuit, mais est plus lente. On s’achemine vers une guerre de siège. On a basculé dans une guerre de haute intensité, pour ne pas dire une guerre totale, existentielle […] si les Russes veulent prendre Kiev, ce sera dans la durée, avec des combats urbains, préparés par des bombardements sur des infrastructures essentielles, comme les hôpitaux et les sites fournissant l’eau, le gaz, l’électricité […] c’est comme en Tchétchénie ou en Syrie.».
L’armée ukrainienne forte de 150 000 hommes (renforcée par 68 000 personnes de retour au pays selon Kiev) oppose une résistance acharnée. Le Pentagone estime de 2 000 à 4 000 le nombre de soldats russes tués en Ukraine.
Toujours selon Mongrenier, l’armée russe « a sous-estimé le niveau de modernisation de l’armée ukrainienne […] les Russes ont changé d’ordre de grandeur : ce n’est pas la Crimée, pas le Donbass, pas la Syrie. […] au Nord, les Russes rencontrent beaucoup de difficultés malgré les frappes préliminaires et la suppression des défenses antiaériennes […] L’opération spéciale devait être menée en deux ou trois jours, elle a été rattrapée par l’intendance et le manque de carburant, mais aussi des problèmes électroniques, de brouillage de communication, de coordination entre l’armée de l’air et l’armée de terre. ».
Si tout ce qui précède est vrai, il convient de se rappeler que les Russes sont capables d’encaisser des pertes en hommes et en matériels importantes sans que cela ne les arrête. Selon Global Fire Power, IISS Military Balance, l’aviation russe possède 1.511 avions de combat, 544 hélicoptères d’attaque, 12.240 chars de bataille, 30.122 véhicules blindés divers, etc. Si l’on part du principe que la moitié de l’armée de terre est engagée en Ukraine et si l’on retire des chiffres avancés ci-avant un tiers des matériels qui doivent être indisponibles pour des raisons de maintenance, cela laisse tout de même la possibilité de déployer environ 4.000 chars de bataille et 10.000 véhicules blindés sur le théâtre. Quant à l’aviation, il faut compter un millier d’avions qui sont disponibles pour intervenir (par rotations). Par rapport aux forces ukrainiennes, cela reste considérable. Il n’en reste pas moins qu’une guerre qui devait être courte est partie pour durer « un certain temps ».

En plus d’être une faute, l’invasion de l’Ukraine décidée par Poutine à la surprise de nombreux analystes a été une erreur stratégique majeure. Il n’empêche qu’elle rebat totalement les cartes de la géopolitique mondiale et qu’il est difficile de prévoir de quoi sera fait demain dans la mesure où l’on s’est déjà trompé sur ce qui s’est passé hier.
Il semble toutefois que le temps du « rideau de fer » est revenu avec quelques différences toutefois, dont la nouvelle entente entre Moscou et Pékin n’est pas la moins importante.

1. Il est vrai que ses grands subalternes du renseignement et militaires n’osaient lui dire que ce qu’il voulait entendre. C’est un classique, et pas seulement dans les dictatures. Voir : « Pourquoi avoir envahi l’Ukraine maintenant ? » du 4 mars 2022.
2. Voir : « Ukraine : pourquoi une zone d’exclusion aérienne est impossible à mettre en œuvre » du 9 mars 2022.
3. La Garde Nationale a pour mission première la sécurité à l’intérieur de la Fédération de Russie. Elle ne peut donc détacher à l’extérieur qu’une petite partie de ses effectifs.

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Texte

Alain Rodier

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