Kiev doit se faire bien du souci avec les livraisons d’armes « faramineuses » faites par Washington récemment. En effet, le Pentagone a donné les détails concernant les dernières fournitures en matière de postes de tir anti-chars et de missiles associés. Le porte-parole du Pentagone, le Lieutenant Colonel Anton Semelroth a précisé le 9 décembre que l’aide de 60 millions de dollars incluait 30 postes de tir Javelin et 180 missiles associés. En fait, ces armements seraient arrivés le 30 octobre !

Or, les unités russes basées aux frontières ukrainiennes sont estimées par Washington à plus de 100.000 hommes qui devraient être opérationnels en janvier (les effectifs pourraient alors avoisiner les 125.000 militaires sous les armes). Bien qu’aucun chiffre n’ait été avancé, cela implique que le corps expéditionnaire russe pourrait compter des milliers de chars de bataille sans parler des dizaines de milliers de véhicules blindés de tous types(1). Ce ne sont pas 180 missiles qui pèsent bien lourd dans l’équation tactique. Cela dit, ils peuvent être utilisés dans le cadre de la guerre de positions qui a lieu dans le Donbass.

Il est exact que l’aide américaine pour 2021 à Kiev est montée à 450 millions de dollars pour « aider le pays dans sa capacité à défendre sa souveraineté et son intégrité territoriale ». Une aide supplémentaire de 200 millions de dollars serait toutefois prévue si la Russie maintien sa posture « agressive ». Le budget de la défense ukrainienne pour 2021 s’est monté à 9,6 milliards de dollars (source : Globalfire Power 2021).

Le pire, c’est que Moscou joue le jeu en forçant la note. Le ministre des affaires étrangère Sergueï Lavrov a déclaré au début décembre: « de plus en plus de forces et d’équipements sont accumulés sur la ligne de front du Donbass, le tout soutenu par un nombre croissant d’instructeurs occidentaux ». Le président Volodymyr Zelensky aimerait bien que cela soit vrai puisqu’il appelle désespérément à la présence de soldats américains, britanniques, australiens – tout cela hors OTAN car il a compris que l’Alliance ne s’engagerait pas et il compte encore moins sur l’Union européenne -. Pour lui, la présence de militaires étrangers qui pourraient être en première ligne en cas d’offensive russe représente la garantie que Moscou hésitera à se lancer dans l’aventure.

À la fin novembre, Kirylo Budanov, le chef du service de renseignement ukrainien a révélé que des postes de tir Javelin avaient été testé par les forces ukrainiennes et utilisés dans le Donbass mais rien n’est venu confirmer cette assertion..

Une ambiance qui reste très tendue

Le 11 décembre, le président Joe Biden a réitéré l’avertissement qu’il avait fait à son homologue russe lors de son entretien vidéo du 7 décembre: la Russie paiera un « prix terrible » et devra faire face à des conséquences économiques dévastatrices si elle envahit l’Ukraine. Par contre, il a bien pris soin de préciser qu’envoyer des forces américaines sur le terrain en cas d’invasion était une option qui « n’avait jamais été sur la table ». À contrario, le « flanc est » de l’OTAN pourrait être renforcé.
La secrétaire d’État américaine adjointe chargée de l’Europe, Karen Donfried, se rend en Ukraine et en Russie de lundi à mercredi pour rencontrer de hauts responsables gouvernementaux « et renforcer l’engagement des États-Unis en faveur de la souveraineté, de l’indépendance et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine […] et insister sur la possibilité de réaliser des progrès diplomatiques pour mettre fin au conflit dans le Donbass en mettant en œuvre les accords de Minsk ».

Toujours aussi anti-Russes, les Britanniques par la voix de leur chef de la diplomatie Liz Truz à l’ouverture du sommet du G7 de Liverpool a déclaré le 11 décembre: « nous devons nous rassembler avec force pour faire face aux agresseurs qui tentent de limiter le champ de la liberté et de la démocratie. Pour cela, nous devons parler absolument d’une seule voix [face aux] régimes autoritaires ».
Les Allemands se joignent au concert anti-russes mais pour une fois pas directement motivés par l’influence de Washington. La partie écologiste du nouveau gouvernement considère que la certification du gazoduc Nord Stream 2 ne peut avoir lieu en raison de « normes européennes ».

Enfin, le président Poutine semble avoir placé la barre un peu haut en demandant l’assurance écrite que l’OTAN ne s’étendrait pas plus à l’Est (Ukraine, Géorgie). Il était évident que qu’il ne pouvait se heurter qu’à un refus et maintenant, il n’a que deux issues possibles : la fuite en avant ou se déjuger.

Les voix soulignant les risques apocalyptiques que font courir toutes ces déclarations martiales aux États-Unis(2) en Europe sont rares. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a tenu à rappeler la période du début des années 1990 : « la fin de la Guerre froide nous a laissé une impression fausse et dangereuse : celle que la menace d’une guerre nucléaire appartenait au passé. C’est on ne peut plus faux ». Il s’est dit alarmé par des relations « empreintes de méfiance et de rivalités » entre certains pays dotés de l’arme nucléaire, alors que « le dialogue est largement absent […] le paysage nucléaire est donc une véritable poudrière, qui risque de s’embraser au moindre accident ou mauvais calcul ». Il a ajouté : « personne ne sera épargné si une arme nucléaire venait à être utilisée. La fragilité de notre monde n’a jamais été aussi évidente ».
La 10e Conférence d’examen des parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires se tiendra du 24 au 28 janvier 2022. Il y a peu de chance que, dans l’ambiance électrique actuelle, des résultats notables soient obtenus.

Enfin, pour mémoire, le conflit dans l’est de l’Ukraine a débuté après les « évènements » de Maïdan de 2014 qui ont conduit les « peuples des Républiques » du Donetsk et de Lougansk à proclamer leur indépendance reconnue par personne – y compris la Russie -.

1. « Ukraine : non, il n’y aura pas d’invasion en janvier » du 6 décembre 2021.
2. Le sénateur républicain du Mississippi, Roger Wicker, numéro deux du comité sénatorial des forces armées, a suggéré au président Joe Biden de garder l’option de première frappe nucléaire sur la table. En résumé, il est persuadé qu’une guerre nucléaire « limitée » est gagnable…

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Texte

Alain Rodier

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