Les services secrets turcs, le MIT (Millî İstihbarat Teşkilatı, Organisation nationale du renseignement) ont annoncé le 15 juin avoir capturé un responsable de Daech en Syrie et l’avoir exfiltré vers la Turquie.

Kasım Güler alias « Abou Ousama le Turc » est présenté par Ankara comme le responsable des opérations de Daech en Turquie. Selon Ankara, il se préparait à mener des attentats de grande ampleur en Turquie depuis la Syrie. Il figurait au plus haut niveau sur la liste des terroristes recherchés par le Ministère de l’Intérieur (sur une échelle de cinq niveaux de dangerosité décroissant : rouge, bleu, vert, orange et gris).

Le MIT a également saisi de nombreux documents concernant le groupe que dirigeait Güler. Ce dernier aurait combattu en Afghanistan et au Pakistan en 2008-2010 puis il aurait rejoint la Syrie en 2011 où il aurait adhéré à Daech en 2014. Il aurait occupé des responsabilités vraisemblablement d’ordre financier et logistique couvrant la Russie, l’Europe et la Turquie.

Si la polémique reste importante sur le rôle qu’a tenu Ankara vis-à-vis des mouvements salafistes-jihadistes combattant en Syrie, il n’en reste pas moins que depuis 2013, Daech a mené dix attentats-suicide, sept attentats à la bombe et dix attaques à main armée en Turquie occasionnant la mort de 315 personnes dont des étrangers. Le choix des autorités de combattre Daech n’a pas été fait uniquement en raison de ces actions terroristes mais surtout quand il a été certain que le régime de Bachar el-Assad ne s’effondrerait pas (après l’intervention militaire russe qui a débuté fin septembre 2015). Daech est alors vraiment devenu une cible pour le MIT sans que celui-ci n’oublie ses ennemis principaux : les séparatistes kurdes, les mouvements révolutionnaires d’extrême gauche et un ancien allié du président Recep Tayyip Erdoğan, Fetullah Gülen et la confrérie qu’il dirige depuis les États-Unis où il est réfugié depuis 1997.

Ainsi, en août 2020, Huseyin Sagir, un activiste présumé de Daech avait été interpellé dans un hôtel d’Istanbul suite à une enquête sur la préparation d’un attentat dans la mosquée Sainte Sophie. Son interrogatoire avait permis l’arrestation quelques jours après de l’« émir » de Daech pour la Turquie et trois de ses complices dans la province d’Adana : Mahmut Ozden alias Abou Hamzi. Cette opération avait permis de découvrir des actions terroristes en préparation.

À la mi-septembre 2018, un commando des services secrets turcs avait mené une opération clandestine qui avait permis d’enlever à Lattaquié en Syrie et de rapatrier en Turquie Yusuf Nazik le coordinateur présumé du double attentat à la voiture piégée de Reyhanli (province de Hatay frontalière du nord-ouest de la Syrie) ayant eu lieu le 11 mai 2013. Cette opération était osée puisque Nazik, un ancien marxiste-léniniste du Parti communiste de Turquie/marxiste-léniniste (TKP/ML) évoluait dans une milice soutenue par Damas. À noter que le connivence entre le régime du clan Assad et les mouvements révolutionnaires d’extrême gauche internationalistes agissant en Turquie est historique.

Le MIT, un service secret exemplaire ?

Le MIT a la réputation d’être une organisation de renseignement et d’actions clandestines très performante dans les pays voisins de la Turquie. Il est aussi compétent à l’intérieur, particulièrement dans le domaine du contre-terrorisme. Le président Recep Tayyip Erdoğan s’appuie sur ce service et son directeur – depuis 2010, le sous-secrétaire d’État Hakan Fidan – pour assurer sa sécurité et faire la chasse à tout ce qu’il considère comme étant une menace pour son régime.

Deux très grands succès sont attribués au MIT : la capture d’Abdullah Öcalan au Kenya, en 1999 – certes avec la coopération des Américains, des Israéliens et des Kenyans – et la libération en septembre 2014 de 46 otages turcs du consulat général de Mossoul détenus par Daech en Irak du Nord depuis juillet de la même année. Comme par hasard, le Parlement turc a autorisé les forces armées Turques à lancer des opérations contre Daech en Irak et en Syrie le 2 octobre qui a suivi.

Toutefois, le MIT a aussi connu des échecs retentissants particulièrement avec l’enlèvement en Irak du Nord de deux de ses officiers traitants (Erhan Pekcetin et Aydin Gunel) par le PKK en août 2017. Ils ont déclaré à leurs gardiens que l’assassinat de trois militantes kurdes à Paris, en janvier 2013 était l’œuvre du MIT, même si leurs aveux peuvent être sujets à caution.

À la mi-février 2020, des raids aériens et une opération héliportée dirigée contre le PKK au Kurdistan irakien ont permis à l’armée turque de prendre la grotte de Gara située à 60 km au sud de la frontière. Le but était de libérer treize prisonniers mais l’opération a tourné au fiasco, les gardiens du PKK assassinant leurs prisonniers. Les corps des treize victimes, des civils, mais aussi des policiers, militaires et agents du MIT ont été rapatriés. Trois militaires turcs ont aussi trouvé la mort lors de ce raid.

Une affaire peut aussi dégénérer dans l’avenir. Le « Baba »(1) mafieux turc Sedat Peker réfugié aux Émirat arabes unis multiplie depuis des semaines sa chaîne YouTube de graves accusations à l’encontre de proches du président Erdoğan qu’il a pourtant servi pendant des années. Or il pourrait très bien donner des détails sur les relations entretenues depuis des temps immémoriaux entre le MIT et certaines mafias turco-kurdes. Ses révélations pourraient être explosives pour les services turcs, pour le président Erdoğan, pour les responsables actuels du crime organisé. Ce qui le retient peut-être encore, c’est qu’elles le seraient peut-être aussi pour lui, et au sens littéral du terme.

1. Le « Père », version turque du « Parrain ».

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Texte

Alain Rodier

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