Le 18 février, un très étrange échange de prisonniers a eu lieu entre Israël et la Syrie sous la discrète supervision de la Russie. D’un côté, Israël a libéré Muhammad Ahmad Hussein et Tariq Ghasab al-Obeidan, deux bergers syriens qui avaient traversé la frontière vers le territoire israélien au début du mois alors qu’ils étaient en train de garder leurs troupeaux sur le Golan.

L’armée israélienne estime que le Hezbollah ainsi que d’autres groupes terroristes soutenus par Téhéran utilisent les bergers locaux pour mener à bien des missions de renseignement le long de la frontière. C’est certainement vrai mais cela ne fait pas de ces deux individus des espions de haut niveau – au plus des « observateurs » – dont la libération est jugée comme indispensable.

Dans un premier temps, il était prévu de libérer la militante syrienne Nihal Al-Maqt condamnée à trois ans de prion (c’est la sœur de Sidqi Al Maqt surnommé le « Mandella syrien » qui a passé 32 ans incarcéré) et Diyab Qahmuz, un résident de Ghajar condamné à 16 ans de prison en 2018 pour avoir planifié un attentat terroriste à la bombe en coordination avec le Hezbollah libanais. Ces deux personnes ont refusé d’être transférées en Syrie demandant à rejoindre leur lieu de résidence habituel, Israël.

Les deux bergers ont donc été échangés contre une jeune femme israélienne d’une vingtaine d’années qui résiderait dans une communauté ultra-Orthodoxe de Modiin Illit, l’implantation israélienne la plus importante de Cisjordanie. Selon la version officielle, cette dernière serait entrée « par erreur » le 2 février dans la région syrienne d’al-Qouneitra par les collines du mont Hermon, un secteur montagneux où il n’y a que peu de surveillance. Après être parvenue à pénétrer en Syrie, elle serait arrivée dans le village druze de Khader où elle a été arrêtée par les forces syriennes. Selon la presse israélienne, ce ne serait pas la première fois que cette jeune femme se serait livré à ce type d’escapade, en particulier vers la Bande de Gaza, mais elle avait toujours été récupérée en amont par les services israéliens…

Damas a informé Moscou de l’incident et la Russie a retransmis ces faits à Israël. Cela a permis de lancer un processus de négociations en vue d’un échange finalement conclu par l’intermédiaire de Moscou. Les deux Syriens ont passé la frontière dans la région de Qouneitra et l’Israélienne a transité par Moscou pour revenir à l’aéroport international Ben Gurion, près de Tel Aviv. Dans le vol Moscou – Tel Aviv, elle était accompagnée notamment par Asher Hayun, un proche collaborateur du Premier ministre Benjamin Netanyahu et d’Yaron Bloom, le coordinateur gouvernemental chargé des négociations concernant les prisonniers de guerre et les personnes portées disparues.

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a remercié le chef de l’État russe en ces termes : « Il y a quelques jours, une jeune Israélienne a traversé la frontière avec la Syrie. J’en ai parlé à deux reprises avec mon ami, le président russe Vladimir Poutine. Je lui ai demandé son aide pour favoriser le retour de la jeune femme et il a agi ». Il est vrai que la Russie, proche alliée du régime syrien, a servi régulièrement d’intermédiaire entre Jérusalem et Damas qui n’entretiennent pas de relations officielles et qui restent officiellement en guerre.

Cette affaire reste étonnante. D’abord, pourquoi et comment cette Israélienne a pu passer en Syrie ? Ses motivations sont vraisemblablement d’ordre psychologiques mais cela démontre une faille dans le système frontalier israélien.

Plus intéressant est la question : pourquoi Damas a si facilement laissé partir une Israélienne (contre deux malheureux bergers syriens) alors qu’elle constituait une otage de choix ? Il convient de rappeler qu’Israël bombarde toutes les semaines des objectifs militaires en Syrie. Il va être intéressant de voir si cette fréquence diminue dans les semaines à venir, ce qui signifierait que cela faisait partie du « deal ». Il est également question du paiement par l’État Hébreu de vaccins Sputnik V à la Syrie…

Enfin, mais ce n’est pas une question mais une constatation : la Russie reste le seul pays actuellement en mesure de parler à toutes les parties sur zone en obtenant des résultats tangibles : Syriens, Israéliens, Iraniens voire Turcs ou Libanais… Et pourtant, Poutine n’engage pas des moyens colossaux dans la région. Surtout et cela semble fort apprécié, il ne fait pas de leçon de morale à qui que ce soit…

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Texte

Alain Rodier

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