Après trois mois d’une résistance héroïque dans les sous-sols de l’usine sidérurgique d'Azov Stal à Marioupol, les combattants servant dans les forces ukrainiennes se sont finalement rendus à l’armée russe le 17 mai après de discrètes négociations qui ont impliqué Moscou et Kiev, mais aussi l’ONU et la Croix rouge. Personne ne sait actuellement quelle sera la suite mais il semble évident que le Kremlin va tenter d’utiliser le sort de ces prisonniers à son avantage.

C’est la fin d’une résistance acharnée. Près de 300 soldats ukrainiens se sont ainsi rendus aux Russes. 53 étaient des blessés graves qui ont été conduits à l’hôpital en zone russe. 211 sont partis dans des bus en direction d’une autre ville contrôlée par les séparatistes pro-russes pour y être internés. Comme d’habitude, il convient de rester prudent avec les chiffres. Moscou parle d’un millier de prisonniers (voire de 1.700).

Le ministère de la Défense à Moscou assure qu’ils seront traités selon les conventions internationales sur les lois de la guerre.
La vice-ministre de la Défense ukrainienne a affirmé de son côté qu’ils seront bientôt échangés et qu’ils pourront rejoindre leur famille en Ukraine.
La majorité de ces militaires appartenaient au bataillon Azov créé en 2014, essentiellement par des militants d’extrême droite ou des néo-nazis. C’est ce qui avait permis au président Vladimir Poutine de justifier son invasion en expliquant qu’il voulait « dénazifier » l’Ukraine. Selon les Ukrainiens, ce bataillon a depuis été intégré à l’armée régulière et il a recruté des volontaires apolitiques.

Il est difficile de définir dans tout ce qui précède, ce qui est une réalité et ce qui relève de la propagande. Deux choses semblent claires, le bataillon Azov (qui fut « régiment » puis « brigade ») cultive une symbolique très particulière qui relève au minimum du fascisme , et il « ne fait pas bon » être prisonnier des Russes actuellement. Les références dans l’Histoire sont calamiteuses : pour leurs adversaires, le taux de morts sur le champ de bataille était inférieur à celui connu dans leurs camps de prisonniers.

Fin avril, les derniers civils avaient été évacués du complexe industriel de Marioupol. Restaient depuis environ un millier de soldats, dont au moins la moitié de blessés qui n’avaient quasiment plus de munitions mais ils manquaient aussi de nourriture et d’eau.
Pour en finir, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré : « Nous espérons sauver la vie de nos gars. L’Ukraine a besoin de héros vivants ».

Marioupol n’est plus qu’un champ de ruines, 90% des immeubles ayant été détruits. Les 400.000 habitants sont presque tous partis et le maire évoque le chiffre de 20.000 victimes parmi ses administrés.
Quant aux Russes, ils ont conquis cette ville stratégique située à mi-chemin entre le Donbass et la Crimée. Pour eux, la liaison terrestre avec la Crimée et le port militaire de Sébastopol est vitale.

Maintenant, les Russes vont interroger leurs prisonniers un à un et c’est là que de nouveaux problèmes vont commencer.
Pour les militaires ukrainiens, les Russes vont s’évertuer à « prouver leur orientation néo-nazie » et leur participation à des « crimes de guerre » pour contrer les mêmes accusations qui sont portées contre les soldats russes par Kiev et la « communauté internationale » représentés par l’OTAN et ses alliés. Les échanges seront possibles sur ces bases même si la Douma russe menace de promulguer une loi pour les interdire (ce qui est clairement une manœuvre d’intimidation). Il est aussi possible que quelques cadres du bataillon Azov très «marqués» par les services de renseignement russes ne disparaissent…

Un autre problème réside dans le nombre de prisonniers à échanger, les deux camps n’ayant pas divulgué exactement combien ils en détenaient et leur qualité. Un officier n’a pas la même « valeur marchande » qu’un simple soldat ; c’est triste à dire sur le plan humain mais c’est comme cela que cela se pratique. A titre d’exemple, le premier échange qui a eu lieu au début avril avait concerné un officier de police russe contre cinq militaires du rang ukrainiens.

Le véritable problème va surgir avec les combattants étrangers qui avaient rejoint les rangs de l’armée ukrainienne (en particulier au sein de la Légion internationale). Deux Britanniques sont déjà officiellement détenus mais ces chiffres et nationalités pourraient considérablement augmenter avec l’afflux de Marioupol. Cela va permettre à Moscou de se livrer à une sorte de chantage vis-à-vis des pays d’origine des volontaires, car le statut de ces « internationalistes » n’est pas clair au niveau du droit international. Ils peuvent être considérés comme des « mercenaires » (même s’ils ne sont pas payés), et cette activité est interdite par l’ONU.

Les « héros de l’antiquité » d’un côté, et les « mercenaires criminels de guerre » de l’autre , la désinformation va battre son plein dans les semaines à venir.

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Texte

Alain Rodier

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