Avant de débuter le récit de cette affaire, il est utile de se rappeler que le journaliste saoudien Jamal Khashoggi a été assassiné le 2 octobre 2018 à Istanbul avec, selon les autorités turques, la complicité manifeste des personnels du Consulat général d’Arabie Saoudite basé dans cette mégapole même si une équipe avait été envoyée en renfort pour mener à bien cette « disparition » (c’était l’objectif recherché mais les autorités turques ont été prévenue par la fiancée du journaliste qui l’attendait et s’était étonnée de ne pas le voir ressortir…).

Le plan initial qui consistait – vidéosurveillance à l’appui – à affirmer qu’il avait bien quitté les locaux diplomatiques, un comparse ayant revêtu ses habits, n’a pas pu fonctionner comme prévu.

Au printemps 2018, soit plusieurs mois avant cette affaire, le Ministère des Affaires étrangères norvégien a reçu une singulière demande de la part de son homologue saoudien. Riyad prévoyait d’envoyer dix personnels supplémentaires chargés de la sécurité intérieure des locaux de son ambassade à Oslo et demandait qu’ils bénéficient d’un passeport diplomatique. Or seuls les personnes de haut rang au sein des A.E. bénéficient d’un tel passeport, le « petit personnel » (expression en vigueur au Quai d’Orsay) n’ayant qu’un passeport de « service ». Ce dernier octroie presque les mêmes avantages et en particulier l’impunité dans le pays d’accréditation, mais il n’a pas un prestige identique ce qui peut limiter le champ d’action de son titulaire. Or, les gardes des ambassades ont très majoritairement un passeport de service.

Suivant cette demande, Oslo n’a accepté de délivrer qu’un seul passeport diplomatique au « chef » de cette garde renforcée (désigné comme « attaché » sur l’annuaire diplomatique norvégien), les autres (arrivant en juillet 2018) qu’avec un passeport de service.
Autre point troublant, les personnels en poste à l’ambassade saoudienne avant la venue de ce renfort ne comptait que 18 personnes… Dix de plus pour assurer la sécurité des locaux de l’ambassade à Oslo, il y a effectivement de quoi s’interroger !

Le Service de Police de Sécurité (PST) norvégien a prévenu Iyad el-Baghdadi (43 ans), un journaliste apatride d’origine palestinienne, farouche opposant au régime de Riyad réfugié en Norvège depuis 2014 (année de son expulsion des Émirats arabes unis (EAU) après un bref passage en Malaisie), qu’il devait se tenir sur ses gardes. Il aurait même été contraint de déménager en catastrophe. Il était une connaissance de Khashoggi avec lequel il échangeait depuis 2014. Ce dernier, ancien proche du prince Mohamed Ben Salmane (MBS) avec lequel il avait rompu en 2017, lui avait rendu visite à Oslo en mai 2018 quelques mois avant être assassiné.

Iyad el-Baghdadi est une figure des « révolutions arabes » qu’il a accompagné sur les réseaux sociaux. Il lui serait particulièrement reproché d’être proche des Frères musulmans. Cela a bien sûr attiré l’ire de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis qui l’ont expulsé puis de l’Égypte quand le général (depuis, maréchal) Abdel Fattah al-Sissi a pris le pouvoir en 2013 en chassant les frères musulmans.

L’ambassade saoudienne contactée à ce sujet par la presse locale a répondu par un communiqué parlant de « fausses informations fabriquées avec l’intention d’insulter le Royaume ». Il y est précisé que M. Iyad el-Baghdadi n’est pas saoudien et qu’il est inconnu dans ce pays.

Mais la CIA est revenue à la charge au printemps 2019 affirmant que le journaliste était visé par les services saoudiens. Depuis, il vit sous protection policière avec interdiction de se déplacer à l’étranger. Oslo n’a pas dit si la représentation diplomatique saoudienne en Norvège avait connu une déflation des effectifs…

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Texte

Alain Rodier

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