Le Département du Trésor américain a sanctionné au début décembre Wan Kuok Koi alias « dent cassée » né en 1955, une haute figure du crime organisé chinois (1). Ancienne « tête de dragon » de la triade 14K à Macau (c’est-à-dire son chef) et membre de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC), une assemblée placée sous la direction du Parti Communiste Chinois qui permet à l’État-Parti de consulter les divers groupes ethniques et autres organisations avant de décider des lois et décrets, il poursuit une carrière lucrative dans les jeux et la cryptomonnaie. Trois entités qu’il possède ou qu’il dirige ont également été désignées : l’Association pour la culture et l’histoire des Hongmen (ou « la vaste famille » comparée à la Franc-maçonnerie) basée au Cambodge (2), le groupe Dongmei qui a son centre à Hong Kong(3) et l’Association culturelle des Hung-Mun sise sur les îles des Palaos.
Il est sorti de prison en décembre 2012 après avoir purgé une peine de 14 années de camp de travail pour tentative de meurtre contre un policier. Il avait fait ses classes dans la pègre de Macau avant de rejoindre la 14K où il avait alterné périodes de violence et grande vie. Comme les grands mafieux de la vieille époque, il aimait s’exhiber conduisant de superbes bolides ou arborant des bijoux et des vêtements de luxe. À noter que les mafieux sont aujourd’hui plus discrets dans leur apparence car ils savent qu’elle les désigne aux forces de police. Il a été marié trois fois et a eu six enfants. Mais il a aussi été marqué dans sa chair ayant été blessé par balles à deux reprises et ses bras ayant été tailladés à l’aide de hachoirs à viande, des blessures typiques infligées par la criminalité asiatique qui préfère estropier pour l’exemple que tuer.
Depuis sa libération, il s’est relancé dans le secteur des jeux et des hôtels (qui accueillent des casinos) en particulier au sein du nébuleux « groupe Dragon » à Macau.
La 14K, comme les autres triades criminelles chinoises (elles ne le sont pas toutes) est accusée de se livrer à tous les trafics, drogue, êtres humains, espèces protégées, pierres précieuses, jeux illégaux, blanchiment d’argent sale, racket, prostitution, etc.
Les triades auraient recruté nombre de personnalités en Malaisie et au Cambodge pour infiltrer le fabuleux projet commercial connu en France sous le nom de la « nouvelle route de la soie ». Son appellation officielle est aujourd’hui l’ »Initiative route et ceinture » (« Belt and Road Initiative » ou « BRI »). C’est à la fois un ensemble de liaisons maritimes et de voies ferrées qui doivent relier la Chine à l’Europe en traversant le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, la Pologne, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. Au total, ce projet devrait concerner quelques 68 pays pour un total de 4,4 milliards d’habitants. Il est facile d’imaginer que les Organisations criminelles transnationales (OCT) dont font partie les triades ont senti tous les profits qui pouvaient être tirés de ce projet pharaonique.
Les triades sont bien placées puisqu’elles se trouvent à la « case départ » de la « BRI ». Et là, on retrouve la vieille tradition chinoise : la coopération des entreprises chinoises avec les organisations criminelles dans la mesure où ces dernières restent « patriotiques », c’est-à-dire qu’elles défendent les intérêts de Pékin. En retour, les services chinois peuvent les utiliser pour mener différentes opérations illégales qui, en cas de découverte, n’impliquent pas directement le pouvoir. Pour le moment, les triades semblent surtout intéressées par le volet de la « sécurité » de la « BRI ». Ce n’est pas étonnant pour des mafias dont un des savoir-faire et le racket : proposer des « assurances » très chères contre des risques qu’elles provoquent elles-mêmes.
Mais ces OCT ne sont certainement pas les seules à être impliquées, tous les pays traversés ayant leurs propres criminalités. Comme d’habitude, ces dernières vont privilégier la coopération à la confrontation car il y a assez de profits à faire pour tout le monde et les guerres internes seraient contre-productives. Leurs armes principales sont les fonds – issus de tous les trafics – disponibles rapidement lorsque des financements sont nécessaires (et la « BRI » est très gourmande), la corruption qui peut toucher du haut au bas de l’échelle et l’absence totale de principes.
Washington a bien raison de désigner ce mafieux et ses « associations » qui servent à la couverture de ses activités délictueuses à la justice. Cela dit, il convient de ne pas être dupe ; si le but avoué est de lutter contre le crime organisé (pourquoi Wan n’a alors pas été désigné plus tôt), il consiste aussi de tenter d’entraver la « BRI » et par là, à nuire aux intérêts économiques de la Chine considérée désormais comme l’adversaire numéro un des États-Unis.
1 – Cité page 106 dans mon livre « Les triades, la menace occultée » aux éditions du Rocher (novembre 2012).
2 – La ville de Poipet est réputée pour être un repaires de brigands où son négociées de nombreuses affaires internationales.
3 – Une alliance baptisée le « syndicat des grands pères » à l’image de la coupole sicilienne, regroupe les triades présentes à Hong Kong : 14K, Wo Shin Wo et Sun Yee On (Hong Kong est le berceau de cette dernière).
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