Au début décembre, le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif a déclaré que l’Iran était prêt à « échanger des prisonniers » sans citer de cas précis. L’Iran a effectivement libéré le 25 novembre Kylie Moore-Gilbert, une chercheuse australo-britannique spécialiste du Moyen-Orient après plus de 800 jours de détention. Elle avait été condamnée pour espionnage au profit d’Israël. En échange, trois Iraniens, Mohamad Khazaei, Masoud Sedaghat Zadeh et Saeed Moradi, emprisonnés en Thaïlande depuis une tentative manquée d’assassinat contre des diplomates israéliens en février 2012 ont aussi été élargis. Zarif a affirmé que c’était une opération que le pays était prêt à réitérer. « Nous pouvons le faire demain. Nous pouvons même le faire aujourd’hui ».

Le cas d’Ahmadreza Djalali, scientifique irano-suédois spécialisé dans la médecine d’urgence de catastrophes, coopérant avec de nombreuses universités étrangères, condamné à mort pour espionnage au profit d’Israël, vient toutefois à l’esprit. Il est incarcéré depuis 2016 à la prison d’Evin à Téhéran et désormais en attente de son transfèrement pour subir sa peine (la pendaison) prononcée le 21 octobre 2017. À noter qu’à chaque fois, ces « espions » à la « solde » de l’État hébreu ont été arrêtés en Iran par les services secrets alors qu’ils y avaient été invités officiellement par d’autres administrations…

Et du côté iranien, un diplomate et trois doubles nationaux arrêtés en Europe en 2018

Un échange pourrait avoir lieu avec le diplomate iranien Assadollah Assadi (troisième secrétaire à l’ambassade d’Iran à Vienne) actuellement jugé par le tribunal d’Anvers en Belgique pour sa participation supposée à un projet d’attentat qui visait à Villepinte le 30 juin 2018 le rassemblement annuel du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), une coalition d’opposants comprenant les Moudjahiddines du peuple (MEK). Une peine de 20 ans de prison a été requise et il doit être fixé sur son sort le 20 janvier 2021. M. Assadi serait en réalité membre du ministère iranien du Renseignement (MOIS) dont une des missions est « l’observation intensive et la lutte contre des groupes d’opposition à l’intérieur et à l’extérieur de l’Iran ».
Il a été jugé avec trois complices supposés contre qui des peines de 15 à 18 ans de prison ont été requises :
. le couple belgo-iranien Nasimeh Naami et Amir Saadouni vivant à Anvers arrêté à Stockel le 30 juin 2018 dans la banlieue de Bruxelles avec dans le coffre de leur Mercedes une charge de TATP de 500 grammes et un détonateur (dans deux colis différents). Ce couple avait tenté à plusieurs reprises de rejoindre (ou d’infiltrer) l’opposition iranienne à l’étranger. Amir Sadouni était arrivé en Europe – via la Turquie – au début des années 2000 et avait travaillé pour des compagnies maritimes. Il aurait été recruté par sa future épouse issue d’une famille « proche » des services de renseignement iraniens.
. Le poète Mehrdad Arefani officiellement opposant au régime et réfugié en Belgique depuis le milieu des années 2000, mais décrit par l’accusation comme un « complice présumé » et « proche » d’Assadi. Ce dernier l’aurait chargé d’accueillir le couple sur le lieu où la bombe devait être mise en oeuvre. Il a été arrêté en France le jour même de la tentative d’attentat et extradé peu de temps après vers la Belgique. Le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) le disculpe partiellement en déclarant que « sa femme, qui s’est séparée de lui, était liée à un officier du Renseignement iranien ». Mais la justice belge a maintenu les charges qui pesaient contre lui.

Ce que l’on sait de la tentative d’attentat à Villepinte

Selon Jaak Raes, administrateur général de la Sûreté de l’État belge, le projet d’attaque a été conçu au nom de l’Iran, et sous son impulsion ; il ne s’agirait pas d’une initiative personnelle d’Assadi. Du côté des parties civiles, on considère que l’immunité diplomatique ne peut être invoquée dans les affaires de terrorisme (il est vrai qu’Assadi a été appréhendé en Allemagne alors qu’il était accrédité en Autriche).
L’arrestation in extremis le jour même à Bruxelles du couple Naami-Saadouni avait permis d’éviter un « bain de sang » selon l’expression des parties civiles (le CNRI et une vingtaine de personnalités politiques qui le soutiennent). Sur le plan purement technique, cette déclaration semble exagérée même si 500 grammes de TATP sont effectivement très dangereux. Cela dépend de l’endroit où la charge a été placée. Lors de la saisie, la bombe n’était pas activée (le détonateur était séparé de la charge explosive) et il n’y avait pas ce qui peut être le plus vulnérant dans une foule : des shrapnells (clous, boulons, etc.).
En France, les autorités politiques tiennent le ministère iranien du Renseignement (MOIS) pour responsable. Elles ont d’ailleurs expulsé quelques jours après un diplomate iranien en fonction à Paris. Il est fort probable que c’était le chef de poste déclaré des services iraniens. L’Union européenne a, quant à elle, gelé les avoirs d’une unité des services de renseignement iranien et de plusieurs membres de l’administration…
La justice belge était rapidement remontée jusqu’à Assadi, repéré l’avant-veille des faits à Luxembourg en train de remettre au couple un paquet contenant peut-être la bombe (les conditions de cette rencontre « conspirative » n’ont pas été révélées). Ce diplomate a été arrêté le 1er juillet en Allemagne où il ne bénéficiait effectivement pas de l’immunité diplomatique, mais ce cas semble tout de même très « limite » selon les lois internationales.
Ce projet d’attentat aurait été déjoué grâce à la Sûreté de l’État belge en collaboration avec les services de renseignement allemand et français (DGSI). En réalité, ce serait le Mossad qui serait à l’origine du renseignement.

Il sera intéressant de savoir, si l’affaire se fait (ce qui n’est pas encore certain) quels sont les « échangés » du côté iranien. Pour le diplomate, c’est évident, mais si le couple et le « poète » font partie du lot (et acceptent de rentrer en Iran), cela prouvera qu’ils étaient bien des infiltrés ou des recrutés du MOIS et que l’acte terroriste prévu contre les opposants était une réalité (en dehors de la thèse de l’attentat, on se demande d’ailleurs pourquoi ce couple avait en sa possession cette charge explosive). Si seul le diplomate est échangé, les doutes seront plus que permis sur une éventuelle manipulation du Mossad qui permet, à terme, permettraient l’échange évoqué en début d’article.

Il n’en reste pas moins que quatre autres Européens possédant la double nationalité iranienne (non légalement reconnue par Téhéran ce qui permet aux autorités d’affirmer qu’il s’agit d’affaires internes au pays) sont toujours détenus en Iran, la République Islamique d’Iran pratiquant la technique de la prise d’otages depuis sa création. Les pétitions des États, des organisations internationales, des ONG n’ont que peu d’influence sur les mollahs, voire l’effet inverse. Ce qu’ils cherchent, c’est à marchander à des conditions très avantageuses pour eux. Si le terrorisme d’État s’est arrêté il y a des années, car il n’était jugé comme pas suffisamment efficace, la prise d’otages est toujours d’actualité.

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Texte

Alain Rodier

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