Depuis le temps qu’il se dit que la Guerre froide est de retour, un pas risque d’être franchi par Varsovie et Washington. À savoir que Richard Grenell, l’ambassadeur américain en Allemagne et, depuis février 2020, directeur par intérim du Renseignement national américain qui couvre les 17 agences de renseignement US, a déclaré qu’en cas de refus de Berlin de continuer à accueillir des armes nucléaires de l’OTAN (en réalité américaines), la Pologne se ferait un devoir de prendre la place. L’ambassadrice US en Pologne, la très conservatrice Georgette Mosbacher a surenchéri « Si l’Allemagne veut diminuer les capacités nucléaires et affaiblir l’OTAN, peut-être que la Pologne – qui est un pays qui comprend les risques et qui a un rôle important dans la couverture du flanc ouest de l’OTAN – pourrait accorder des facilités sur place. »
De plus en plus de voix s’élèvent en Allemagne contre le maintient d’une vingtaine de bombes nucléaire B61 sur la base de Büchel dans le land de Rhénanie-Palatinat. Actuellement elles peuvent être mises en œuvre par le Panavia-Tornado mais cet appareil doit être remplacé dans les années qui viennent par des Eurofighters EF 2000 (ou Typhoon). Washington souhaite que Berlin s’équipe aussi de F/A-18E/F car la qualification nucléaire de l’Eurofighter est chère et prendrait de trois à cinq ans. Ce choix provoque un tollé dans l’opposition politique allemande.
Ces déclarations pour le moins inquiétantes ont eu un grand retentissement à Moscou où il a été souligné que le déploiement d’armes nucléaires en Pologne détruirait ce qui reste du traité Russie-OTAN de 1997 qui dit que « l’OTAN et la Russie ne se considèrent pas comme des adversaires ». De son côté, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a demandé à Berlin de garder les armes américaines en raison de « l’agression russe ». Il entend par là le déploiement (non prouvé) d’armes nucléaires russes dans l’enclave de Kaliningrad, la modernisation fortement médiatisée de l’arsenal militaire (dont le nucléaire) russe, l’annexion de la Crimée, l’agression contre l’Ukraine, la Géorgie, etc. De plus, il menace Berlin d’être exclu des réunions de l’OTAN où il est question de l’armement nucléaire…
La mission de l’OTAN avait été bien définie en 1996 : « aussi longtemps que les armes nucléaires existeront, l’OTAN restera une alliance nucléaire… Les forces stratégiques de l’Alliance, en particulier celles des États-Unis, sont la garantie suprême garantie de la sécurité des Alliés… La stratégie de dissuasion nucléaire de l’OTAN repose aussi sur les armes nucléaires américaines déployées en Europe et sur les facilités et infrastructures fournies par les Alliés concernés. Les appareils à double capacité de l’OTAN dont l’une consiste à mettre en oeuvre des missions de dissuasion nucléaire restent le point central de cet effort. »
Il n’en reste pas moins que déployer des armes nucléaires de l’OTAN (mais dont la « clef » se trouve à la Maison Blanche) aux frontières même de la Russie serait un geste politique agressif d’une ampleur considérable qui rappelle la crise de Cuba en 1962 ou des SS-20 – Pershing II (1977-1987). La différence réside dans le fait que lors de ces deux précédentes crises, c’est le Kremlin qui en avait été à l’origine. Cela avait fait dire au président François Mitterrand le 20 janvier 1983 au Bundestag à Bonn (RFA), « Les pacifistes sont à l’Ouest, et les missiles sont à l’Est. »
Selon le cœur de la charge qui est installé, la bombe B61 peut avoir une puissance de 0,3 kt (arme tactique) ou de 100 kt (stratégique). En dehors de l’Allemagne, d’autres bombes nucléaires de même type sont déployées en Europe à Kleine Brogel en Belgique, Aviano et sur la base de Ghedi en Italie, Volkel aux Pays Bas et Incirlik en Turquie. Au total, cela ferait quelques 150 armes prêtes à l’emploi. Un nouveau modèle est en cours de réalisation : la B61-12 qui devrait être mise en œuvre par le chasseur bombardier américain F-35. En fait, c’est actuellement la seule arme nucléaire tactique (ou du « champ de bataille ») américaine emmenée sous aéronef. Sur un plan purement opérationnel, ces bombes lisses emmenées sous avions – de plus en plus vulnérables – sont dépassées même si elles peuvent faire des millions de morts. En effet, la technologie moderne permet de vitrifier n’importe quel point de la planète sans avoir à utiliser ce type d’armement qui ne sert en fin de compte que d’épouvantail politique.

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Alain RODIER

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