Il y a dix ans disparaissait le plus fameux des chefs mercenaires, Bob Denard. Fédérés par leur association Orbs Patria Nostra, ses anciens « chiens de guerre » se sont retrouvés là où il repose, à Grayan-et-l’Hôpital, dans le Médoc, pour payer leur respect au patron à l’occasion de cet anniversaire. Que sont devenus les soldats de fortune du Katanga, du Congo, d’Angola, du Bénin, des Comores, du Tchad et autres zones de conflit ?

Le monde est leur patrie. Bob Denard était leur chef. Mais le « Vieux » est mort en octobre 2007, à 78 ans dans le dénuement le plus total, laissant ses hommes orphelins. Aujourd’hui, à travers l’association Orbs Patria Nostra1, les vieux baroudeurs prolongent le combat et continuent à honorer sa mémoire. Tous les ans, à Grayan-et-l’Hôpital, une petite commune du Médoc où repose le patron, quelques nostalgiques se retrouvent autour de sa tombe pour un adieu qui n’en finit pas. Mais cette année, pour les 10 ans de sa mort, ils étaient plus nombreux. 

Après un départ matinal de Paris, des heures de voiture et un trajet en bateau, nous voilà enfin arrivés à la salle des fêtes de Grayan, louée par l’association le temps du week-end anniversaire. Une oriflamme aux couleurs d’Orbs Patria Nostra trône dans la salle, pour l’instant quasiment vide à l’exception de quelques admirateurs de Denard, habitants du coin qui se retrouvent tous les ans pour témoigner de leur respect au Colonel. Au même titre qu’ils connaissaient le général de Gaulle et la reine Elisabeth II… Peu à peu, la salle se remplit. Accompagné d’une jeune femme qui semble un peu perdue parmi tous ces vieux baroudeurs, un homme détonne, bien plus jeune que les autres. Bruno, la quarantaine, fait partie de ceux qui ont accompagné Denard dans ses dernières missions, au Zaïre en 1996 puis au Congo-Brazzaville. Après avoir entendu parler du Colonel pour la première fois lors de l’émission Ciel, mon mardi ! de Christophe Dechavanne quand il y présentait son livre Le Roi de fortune, Bruno, alors âgé d’une vingtaine d’années, s’est « pointé » chez Denard à l’improviste pour lui offrir ses services. « Tu sais qu’on n’a pas de Sécurité sociale ? » lui aurait alors répondu le Vieux. « Je sais ce que je veux, je sais ce que je fais, je veux travailler pour vous », aurait rétorqué Bruno, sûr de lui. Quelques mois passent, puis Denard l’embarque au Zaïre, où il restera huit mois en tant que chef de section chargé du renseignement. 

« Des rêves de gloire et d’aventure »

 

« J’étais militaire à l’époque et j’avais cet idéal d’être utile, de servir à quelque chose, raconte Bruno. Aussi, pour moi, c’était le Saint-Graal de pouvoir partir à l’étranger dans des missions opérationnelles, ce qui était à l’époque difficile au niveau de l’armée française. C’était l’objectif suprême, et Denard représentait tout ça. Il n’y avait rien d’anticommuniste chez moi, ni pour les autres de ma génération, dans le fait de le suivre. Ce qui nous a motivés pour partir en Afrique avec le Vieux, c’est le désir d’aventure. » 

L’aventure, un mot qui reviendra maintes fois tout au long de ce week-end, fédérant les baroudeurs bien au-delà du souvenir du Colonel lui-même. « Je suis un enfant de province. Grandissant, je trouvais la vie un peu triste et les lectures que j’ai pu avoir sur la guerre d’Indochine ou d’Algérie m’ont montré qu’il y avait des gens qui risquaient leur vie et qui voyageaient beaucoup. C’est ce qui m’a attiré, je pense », renchérit Pascal, la soixantaine, pilote. Et d’ajouter : « Le souvenir que j’en garde aujourd’hui : une vie merveilleuse que je souhaite à tout le monde, même si j’ai eu des épisodes difficiles avec des accidents. Mais je me suis bien remis et je suis reparti travailler en Afrique, barouder avec des camarades. Je n’ai que de bons souvenirs et on voudrait que ça ne s’arrête jamais. C’est pour ça qu’on vient ici, pour se retrouver. » Contrairement à Bruno qui revoit très peu ses anciens camarades car « beaucoup ont suivi d’autres voies après les missions », Pascal les rencontre encore régulièrement. « C’était le but de l’association. Bien sûr, de perpétuer la mémoire du Colonel, mais aussi se retrouver entre anciens mercenaires, de s’entraider. On continue même à travailler parfois ensemble », explique-t-il. 

Notier, lui, en revanche, voit « les autres irrégulièrement, mais toujours avec plaisir ». « Je suis venu pour rendre hommage, retrouver des potes que je ne verrais plus sinon, se raconter nos vieilles guerres parce qu’on est un club de vieux », ajoute avec humour celui qui s’est lancé dans le mercenariat, car « je m’emmerdais dans l’armée française », précise-t-il. « Je rêvais de gloire et d’aventure et, au début des années 80, en France, l’armée n’offrait rien de ça, il fallait faire profil bas avant tout. En apprenant mon départ, je me souviens que le chef de corps du dernier régiment où j’étais m’a demandé ce que j’allais faire, je lui avais répondu : ‟“Je serai mercenaire, au moins je vais m’éclater et me balader, parce que, là, on s’enquiquine un peu dans notre armée” », raconte-t-il, un sourire espiègle aux lèvres. « C’est comme ça que je suis parti aux Comores, en 1985, où j’ai rencontré Denard. J’ai d’abord été chef de section avant de commander la compagnie d’instruction puis de descendre dans le cratère du Karthala. J’y suis resté pas moins de deux ans, et après je suis parti me balader tout seul en Afrique du Sud, en Namibie, au Botswana… » se souvient-il. 

« Entre anciens mercenaires »

 

Après avoir renouvelé leur cotisation à Orbs Patria Nostra, les hommes se mettent à table. Canard, pommes de terre et bordeaux… Le Sud-Ouest est à l’honneur et l’assemblée trinque, heureuse de se retrouver après tant d’années. Ça parle, bien sûr, des gloires passées, mais pas seulement. Car la plupart des anciens mercenaires sont encore loin d’être rangés. Beaucoup ont de nouvelles aventures à raconter et de nouvelles femmes à présenter à leurs copains. Des amitiés se créent et des propositions de travail, pas toujours très orthodoxes, fusent, bien que la plupart des anciens présents ne connaissent même pas les vrais noms de leurs amis. « Entre nous, on utilise surtout des pseudos, mes proches sont au courant forcément, mais je pense que même si ce n’est pas la culture du secret, ça fait partie de l’intime. On continue à avoir une carrière professionnelle et on ne veut pas que cela nous pénalise », explique Pascal, bien conscient que les mercenaires n’ont pas toujours bonne presse. « Mes proches étaient au courant sans l’être, je disais “je pars”, sans plus de détails. Une de mes sœurs savait ce qu’elle devait savoir au cas où il m’arriverait quelque chose. La pauvre, je lui ai téléphoné une fois à 3 heures du matin, en 1995 quand nous étions retranchés dans le camp de Kandani et que nous pensions que l’armée française allait nous éliminer. Je lui ai dit : ‟“C’est fini, tu embrasseras les enfants, tu leur diras que je les aimais…” »

« Pour mes enfants, c’était plus compliqué : on marque quoi comme profession du père sur la fiche de rentrée à l’école ? Ça pose plein de questions, les gosses, et ça n’est pas toujours en âge de comprendre. Alors, on élude… » raconte Alfred, l’organisateur du week-end anniversaire. Il a suivi Denard trois fois aux Comores, au Tchad, au Congo-Brazzaville et en Côte d’Ivoire. 

« On ne parle de ce qu’on a fait qu’entre nous. Je pense que si on se mettait à en parler ouvertement à droite à gauche, les gens nous prendraient pour des fous ! On a fait des choses que d’autres personnes auraient été incapables de faire », ajoute Bruno. Et de développer : « C’est toujours très controversé, mais c’est vu par un certain angle de la lorgnette. Pour avoir côtoyé le Vieux au plus près, je sais que tout ce qu’il a fait, cela n’a jamais été pour se servir lui-même ou servir des desseins qui allaient à l’encontre de l’intérêt français. Alors, oui, c’est controversé avec du recul quand on se positionne d’un point de vue historique par rapport à ses actions, mais à l’instant T, cela correspondait à un besoin et le colonel Denard était le plus adapté pour y répondre. En ce sens, on n’a pas fait de mauvaises choses. » « On pense être des hommes droits, du côté du bien », conclut-il fièrement. En effet, être mercenaire, ce n’est pas seulement être « porteur de sabre », explique Alfred, avant d’ajouter : « J’ai découvert et apprécié le fait de bâtir quelque chose avec le Colonel. Aux Comores, la garde présidentielle a été unanimement reconnue comme l’une des plus belles unités de ce type. Sur le plan économique et social, le Colonel avait également la volonté de faire‟ “souche”. Dans ce pays, cela s’est traduit par la construction de logements pour nos sous-officiers, par le développement d’une ferme expérimentale ou encore par l’aide à l’implantation de projets pour le développement économique tels que les hôtels. » 

Le repas terminé, les hommes entonnent des chants paillards et finissent sur Les Oies sauvages, qu’ils répètent pour la cérémonie au cimetière, le lendemain. Ils s’y retrouveront le dimanche en fin de matinée, plus élégants les uns que les autres. Certains en costume, d’autres en uniforme. Tous portent leur cravate Orbs Patria Nostra, bleue ou verte. Après avoir jeté dehors une équipe de journalistes danois venus faire un documentaire sur les anciens du Congo, sans autorisation, et pris plusieurs photos de groupe pour le site de l’association, la procession s’avance, solennelle. Arrivée devant la tombe du Colonel, couverte de fleurs et de photos, l’assemblée se recueille pour une minute de silence. Philippe Denard prend la parole pour rendre hommage à son père et remercier ses hommes d’être venus. Et ces derniers d’entonner gravement Les Oies sauvages en canon. L’émotion est à son comble. 

« Pour lui, on aurait été prêt à tout »

 

De retour à la salle commune, l’assemblée lève son verre à ses morts, aussi bien à la mémoire du Colonel qu’à celles de ceux qui ont servi sous ses ordres. Pour Bruno, « Denard, c’était un homme extraordinaire pour lequel on était prêt à donner sa vie sur un simple claquement de doigts. Sur un simple signe de lui, on y allait sans se poser de questions. On savait que si on partait pour lui, on partait pour quelque chose de bien. Il avait du charisme, c’était un leader-né, il savait motiver les gens, les entraîner derrière lui. Il avait cette espèce de fibre à la fois paternelle et professionnelle qui faisait que, pour lui, on aurait été prêt à tout. » 

« Denard, c’était un des meilleurs chefs que j’aie jamais eu. Sinon je ne serais pas là ce soir. Je ne regrette rien. Si je devais repartir, je repartirais, mais plus calmement, j’ai la vue qui baisse. Comme disent certains, ce qui fait la différence, c’est la vitesse à laquelle on est capable de se jeter par terre », renchérit Notier avec autodérision. 

Patrick, qui a suivi Denard aux Comores en 1978, se montre un peu moins extatique. « Ce n’était pas Vercingétorix, non plus ! Mais ce qui m’a plu chez lui, c’est son le courage et son côté aventureux. Quelqu’un qui ramait contre l’histoire. Je pense, de par les engagements qu’il a pu avoir, qu’il faisait corps avec les types avec qui il se battait. Il avait le sens du commandement par-dessus tout. » 

« Vous savez qu’il n’avait que son certificat d’études ? Même si cela était respectable à l’époque, cela n’était pas extraordinaire non plus. Militairement parlant, il était sous-officier dans la marine de formation. Donc, là encore, rien d’extraordinaire ! Et pourtant… » lance Alfred, rendant hommage à une personnalité « complexe et hors du commun », à un homme « qui fonctionnait aux sentiments, mais pouvait ne pas en faire, suivait son intuition, mais savait aussi être calculateur ». « Denard était un condottière, un meneur d’hommes inouï, avec une très forte personnalité, beaucoup d’intelligence politique et humaine. C’est une chance rare de croiser un seigneur qu’on suivrait n’importe où ! Quand on est partis faire notre coup d’Etat aux Comores, il y avait sur le bateau des mécaniciens qui ignoraient tout de ce qu’on allait faire, et qui ont ensuite voulu rester avec nous », se souvient avec amusement Tressac, qui a été l’officier de transmissions du Colonel aux Comores pour le coup d’Etat de 1978, puis trois ans à la garde présidentielle avant de le suivre au Tchad pour aider Hissène Habré à chasser du pouvoir Goukouni Oueddei. « Le Colonel était un personnage charismatique, généreux, qui en tout point a donné envie de le suivre, car il avait une formule très vraie : “Suivez-moi, vous deviendrez riches, mais riches de souvenirs”. Et ça, c’est le plus beau », conclut Pascal avec émotion, avant d’aller s’attaquer à la paella géante qui nous attend à l’extérieur.

A table, Alfred essaye de convaincre Marie-Elise, celle qui parmi les épouses de Denard aura le plus compté pour lui, de faire un discours pour « les gars ». « Vous savez, ça va leur faire chaud au cœur, c’est difficile de motiver tout le monde après tout ce temps pour venir de si loin juste pour un week-end, ça leur coûte cher en plus. Juste un mot de votre part, ça les touchera beaucoup », lui dit-il. Très émue, la vieille femme se laisse convaincre et monte sur l’estrade pour remercier les hommes de leur fidélité après « toutes ses années ». Ces derniers saluent son message d’une salve d’applaudissements. Puis on sert le café. C’est le temps des embrassades, pour certains. Ou des poignées de mains viriles, pour d’autres. « L’année prochaine, on essayera de faire ça en région parisienne, ça sera moins compliqué », lance Alfred à qui veut l’entendre, avant d’embarquer. Sur le bateau, une dernière bière, quelques ultimes anecdotes sur les blessures de guerre qui ont failli avoir raison d’eux, et les hommes de Denard s’en vont regagner leur foyer séparément. Jusqu’à l’année prochaine.

Une vie de mercenaire

 

Robert Denard est né le 7 avril 1929 à Bordeaux. A 16 ans, il s’engage dans la Marine et, à 19 ans, il se porte volontaire pour l’Indochine. Il quitte l’armée en 1952 (suite à une altercation dans un bar), avec le grade de quartier-maître. Denard part alors pour le Maroc, comme mécanicien puis policier. En 1956, accusé d’avoir participé à une tentative d’assassinat du président du Conseil Pierre Mendès-France, il passe 14 mois en prison avant d’être acquitté. 

Anticommuniste convaincu, à partir des années 60, Denard s’engage dans de nombreux conflits issus de la décolonisation. En 1961, il part au Katanga soutenir Moïse Tshombe, qui vient de déclarer indépendante l’ancienne province du Congo belge. Il se distingue alors en faisant défiler tous ses officiers, noirs ou blancs, dans une stricte égalité. Deux ans plus tard, après la chute de Kolwezi, le MI6 le sollicite pour aider l’armée royaliste du Yémen, avec 17 mercenaires, afin de lutter contre les républicains soutenus par les soldats égyptiens de Nasser. En 1965, à la demande de Tshombe rallié au gouvernement central, il retourne dans l’ex-Congo belge pour combattre les rebelles soutenus par la Chine populaire. Il y commandera 1 200 hommes de 21 nationalités et y gagnera ses galons de colonel. Toutefois, en 1967, différents événements vont provoquer la révolte des « Affreux », et ces derniers vont se retrouver face à l’Armée nationale congolaise. L’aventure se terminant pour eux à Bukavu, après que Denard a été grièvement blessé. Dès lors, les autres grands chefs mercenaires Jean Schramme et Mike Hoare ne seront plus appuyés par leurs puissances tutélaires (Belgique et République sud-africaine), et Bob Denard règnera en Afrique comme leader incontesté des mercenaires.

Après des missions logistiques lors de la guerre du Biafra, Bob Denard sera notamment impliqué au Gabon, au Kurdistan, en Mauritanie et en Libye. En 1975, il intervient une première fois aux Comores, où Ahmed Abdallah vient de déclarer l’indépendance unilatéralement. Mais il n’y reste pas, pour incompatibilité idéologique avec le président mis en place, Ali Soilih, qui se révèlera être un tyran collectiviste. En 1976, Denard envoie des hommes soutenir l’UNITA en Angola, face aux Cubains. En 1977, il tente un poser d’assaut avec un vieux DC-7, afin de renverser le régime marxiste du Bénin, mais il échoue. La préparation ayant fuité, il était attendu par des Nord-Coréens. 

En 1978, avec un vieux chalutier de haute mer, Denard retourne aux Comores avec 46 hommes pour destituer Soilih. Il replace Ahmed Abdallah au pouvoir, organise une garde présidentielle encadrée par des Européens et s’occupe du développement du pays. Afin de s’intégrer, il se convertit à l’islam, de façon à épouser une Comorienne. En 1982, il monte une opération avec une poignée d’hommes au Tchad, contribuant à chasser le gouvernement soutenu par les Libyens. Fin 1989, Abdallah autorise la garde présidentielle comorienne à désarmer son armée par peur d’un coup d’Etat, mais le Président est alors tué dans des circonstances obscures. Denard et ses hommes doivent se replier en Afrique du Sud. Lui y restera trois ans. En 1993, il rentre en France afin de se disculper. Mais il est de suite incarcéré. Après deux mois de sursis, il est remis en liberté provisoire pour l’affaire des Comores et condamné à cinq ans avec sursis pour le Bénin. Néanmoins, en 1995, il retourne aux Comores, à nouveau par la mer, accompagné d’une trentaine d’hommes pour renverser le président Djohar. Huit jours après son débarquement réussi, la France envoie la marine pour le déloger. Cerné par 600 militaires français, Denard se retranche avec ses hommes au camp militaire de Kandani, lors d’une opération ultra-médiatisée. Il finit par négocier une amnistie pour ses hommes avant de se rendre. Il passera alors neuf mois à la prison de la Santé, tandis que la France se gardera bien de remettre Djohar au pouvoir. Jusqu’en 2003, il apportera son « expertise » aux gouvernements du Zaïre, du Congo-Brazzaville et de la Côte d’Ivoire. 

C’est dans le dénuement le plus total et atteint de la maladie d’Alzheimer que Bob Denard, le plus grand chef mercenaire des temps modernes, s’éteint d’un arrêt cardiaque en octobre 2007. 

« Denard était un corsaire » interview de Hugues de Tressac, l’un des anciens de Denard

 

Comment avez-vous rencontré Bob Denard ? 

– Je m’étais engagé dans l’armée rhodésienne. L’avenir politique de la Rhodésie ayant été compromis par les accords Kissinger, avant la fin de mon contrat je me suis retrouvé libre de mes engagements et, sur place, j’avais rencontré un Français, lui-même en contact indirect avec Bob Denard. 

 

  Qu’avez-vous fait à ses côtés ? 

– Comme j’avais eu une formation radio, j’ai été son officier transmissions. D’abord aux Comores, pour le coup d’Etat de 1978, puis pendant trois ans à la garde présidentielle. Ensuite au Tchad pour aider Hissène Habré à chasser du pouvoir Goukouni Oueddei, inféodé à Kadhafi. Lors de cette très discrète opération, nous n’étions que trois. J’ai donc bossé avec le Colonel de fin 1977 à 1982.

 

Pourquoi vous êtes-vous lancé dans le mercenariat ? 

– Par conviction idéologique et par goût de l’aventure, je me suis engagé dans l’armée rhodésienne. Je touchais 100 dollars rhodésiens par mois, autant dire rien. C’est dans la foulée que j’ai connu Denard, et quand on est dans cet état d’esprit, travailler avec lui était une formidable opportunité, tout en restant fidèle à ses convictions. Le personnage avait un charisme incroyable, et avec lui l’aventure avec un grand A nous tendait les bras.

 

Pourquoi avez-vous arrêté ?

– J’avais d’autres projets personnels, arrêtés dès mon adolescence. Faire le tour du monde à la voile. Ce que j’ai donc fait après le Tchad, en solitaire pendant quatre ans. Par la suite, j’ai fondé une famille, et j’ai accordé la priorité à celle-ci. On aurait pu imaginer ici ou là une mission brève et pas trop exposée physiquement, compatible aussi avec mes autres activités professionnelles. Ça m’aurait amusé, mais ça ne s’est pas fait, et ça ne m’a pas empêché de m’épanouir ici.

 

En quoi l’aventure auprès de Denard a-t-elle impacté votre vie ? 

– En plein de choses. J’ai vécu avec des seigneurs, que vous ne croiserez jamais dans un bureau, à commencer bien entendu par le Vieux. Et ai partagé avec eux des choses très fortes. J’ai aussi dû me démener seul au bout du monde, dans un environnement inimaginable, terriblement létal. Ça donne un prix extraordinaire à la vie, et de la distance à l’égard de notre monde frelaté.

 

Aujourd’hui, vos proches sont-ils au courant ?

– Oui, j’assume totalement tout ça.

 

Voyez-vous encore les autres ?

– Ayant continué à voyager assez longtemps, mais dans un environnement différent, j’ai gardé peu de contacts, sauf avec une poignée d’intimes. Pour autant, quand l’occasion se présente (parfois une manif ou un meeting…), j’ai beaucoup de plaisir à ces retrouvailles. 

 

Les hommes à la Denard ont-ils disparu, selon vous ?

– A l’échelle de Bob Denard, oui, ça a complètement disparu en France. Denard était un corsaire, c’est-à-dire coordonné avec les services secrets français. Le politiquement correct a anesthésié l’Etat. Il existe encore, au coup par coup, des microéquipes qui font des interventions ponctuelles dans des pays d’Afrique, comme au Congo, mais ça ne dure pas longtemps et ça ne permet pas d’asseoir durablement des équipes, avec un leader incontesté. A l’inverse, il y a des sociétés militaires privées anglo-saxonnes qui sont des officines d’anciens des services américains ou anglais, complètement pilotées par les gouvernements en question. Elles sont parfaitement structurées et officielles, contrairement aux nôtres. Mais le rôle de ces SMP tient beaucoup plus de la logistique et de la sécurité privée que des opérations militaires dans les conflits. Ça s’est énormément développé, j’ai des amis qui bossent là-dedans. 

 

Pourquoi, dix ans après sa mort, Bob Denard fascine-t-il toujours autant ?

– Parce qu’il incarne une époque de liberté et d’efficacité avec très peu de moyens, dans un monde où l’on prétend régler des conflits partout sans rien régler du tout, avec pourtant des budgets considérables et sur des durées invraisemblables. Nous, on arrive, et en quatre heures, c’est plié. Au début des années 80, alors que Kadhafi constituait un danger public, Giscard avait demandé à Bob de faire le boulot en Libye, à savoir l’éjecter. Au dernier moment, feu rouge du politique. Résultat, 30 ans plus tard, tandis que non seulement celui-ci ne représentait plus aucun danger, mais était seul à même de tenir la Libye, Sarkozy fera intervenir l’OTAN pour le chasser du pouvoir, avec le merdier innommable que l’on sait depuis. Et l’exil des populations vers nos côtes à nous…

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Raphaëlle DE TAPPIE