Les uns partiront lorsque les nouveaux arriveront, certains seront rénovés. Quel sort la loi de programmation militaire réserve-t-elle aux véhicules de l’Armée de terre ? Le résumé de RAIDS en 10 points.

La publication de la loi de programmation militaire (LPM) nous procure l’occasion de faire un point sur la politique de remplacement des parcs de véhicules de l’Armée de terre. Il est vrai que la salade d’acronymes qui accompagne Scorpion et quelques informations contradictoires (sauf dans votre magazine préféré) furent de nature à créer des confusions et interprétations diverses. Nous avons donc tenté de regrouper en un seul tableau commenté tout le processus de changement de génération qui a démarré avec le Leclerc dans les années 90 et qui va continuer à s’opérer jusqu’en 2035 avec la fin de la phase 2 de Scorpion.

  Les chars Leclerc et les 18 DCL (dépanneur du char Leclerc) en parc vont être rénovés par Nexter Systems à partir de 2020. Cela permettra à ce char de tenir jusqu’en 2040, date à partir de laquelle il pourrait être remplacé. La LPM évoque 200 Leclerc rénovés (pour 241 en parc) : une quarantaine de chars seraient-ils donc « oubliés » ? Aujourd’hui, le projet MGCS est étudié en France et en Allemagne, et les deux pays sont d’accord pour discuter d’un programme commun. Comme nous l’avons analysé dans le hors-série n°64 de RAIDS, le chemin sera d’autant plus long que les visions techniques, commerciales et industrielles ne sont pas forcément partagées et que d’autres options s’offrent à la France avec des pays (Italie, Inde, Etats-Unis, certains pays arabes, Royaume-Uni) qui ont l’avantage d’être industriellement plus ouverts et plus souples en matière de règles export.

– Les VBCI seront « scorpionisés » au cours de la phase 2 de Scorpion. Le contenu de cette opération n’est pas connu, mais on peut raisonnablement penser que le but sera de rendre les VBCI compatibles avec le reste de la flotte : intégration de SICS, de CONTACT, de la vétronique Thales, des écrans multifonctions, du système de vision périmétrique Antares, entre autres. Le remplacement des tourelleaux FN1 des VPC par des T2 de Renault Trucks Defense (RTD) n’est pas exclu, cela permettrait une homogénéité totale du parc.

– Les 248 Jaguar2 vont remplacer trois types de véhicules qui totalisent un parc cumulé de 460 matériels. Le retrait du service des Sagaie va laisser la cavalerie dans une situation très particulière. Elle ne disposera d’aucune capacité entre le VBL Ultima de 5 tonnes et le Jaguar de 26 tonnes. D’où l’introduction dans notre tableau d’un Véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE) « combat » qui disposerait d’un canon de moyen calibre, a priori un 25 mm dans un souci d’approvisionnement commun en munitions avec le VBCI. Ce VBAE « combat » serait le compagnon de route des VBMR légers engagés en conflit de basse intensité ou dans le cadre de l’échelon d’urgence. 

– Tout le monde a désormais compris que le VAB sera remplacé par deux plates-formes, le Griffon de classe 25 tonnes et le VBMR léger de classe 15 tonnes. Ce qui explique les quantités prévues par les marchés passés auprès du GME EBMR (1 668 Griffon3) et de Nexter Systems (2 038 VBMR légers), si toutes les tranches conditionnelles sont affermies. Le Griffon retient toutes les leçons de l’Afghanistan, le VBMR léger celles de Serval et de Barkhane. A part quelques versions de transmissions, toutes les versions de Griffon sont dupliquées sur VBMR léger (VTT Félin, génie, mortier, ambulance, PC, MMP).

– Tout comme le parc VAB, le parc VBL a souffert d’une attrition significative due aux opex, par destruction et usure mécanique. Une grosse moitié sera portée au standard Ultima, soit 800 matériels, en attendant le VBAE. La classe de masse du VBAE n’est pas connue. Il est vrai que la très récente expérience du VBMR léger, qui est passé de 10-12 à 15 tonnes, incite à l’humilité. Par rapport à un VBL Ultima capable de plus de 5 tonnes grâce à ses nouveaux essieux, l’armée de terre voudra plus de protection et d’emport (quatre pax). On peut imaginer qu’un VBAE à moins de 7-8 tonnes serait une illusion. Avec une exigence de potentiel de croissance et l’intégration d’un armement lourd sur certaines versions « combat », le VBAE sera plus probablement autour de 10 tonnes. Attendons de lire la spécification.

– A l’origine, l’armée de terre avait identifié trois besoins : le VBMR léger, le VLTP-P segment haut, et le VLTP-P segment bas ; les deux derniers se distinguant par leur charge utile. Finalement et logiquement, les deux premiers fusionnèrent tant étaient proches leurs performances attendues. Le VLTP-P segment bas sera une sorte de « voiture-balai ». Ce sera un « gros PVP » sur lequel seront intégrées toutes sortes de charges utiles que l’on trouve aujourd’hui sur des TRM2000, des VLRA, voire des VAB très spéciaux, et que l’on souhaite mettre sous blindage. Un fourgon protégé d’appui et de soutien, donc.

– On rappelle que le remplacement de la P4 a objectivement démarré par la mise en service des PVP qui était, dans l’esprit de ses géniteurs, une P4P « industrialisée »4. Le PVP a connu, lors de sa mise en service, quelques soucis qu’une opération de rétrofit chez le constructeur a corrigés. D’où l’expression « PVP rétrofité » du tableau. La chute accélérée des parcs P4, l’irruption de Sentinelle, et la longue instruction des projets de remise à hauteur des P4 qui n’aboutiront finalement pas, ont conduit l’armée de terre à initier plusieurs opérations. L’achat de 1 000 Ford Ranger correspond à un besoin de véhicules de service au sein de tous les régiments en métropole. Les Land Rover Defender servent au sein de Vigipirate et de Sentinelle (à côté des Renault Kangoo…). Il reste donc les VLTP-NP de RTD et les Masstech T4 pour couvrir le besoin véritablement opérationnel avec possibilité de projection en opex.

-) C’est sans doute le programme qu’il va falloir surveiller de très près, car ce camion tactique 5-7 tonnes est le remplaçant de l’increvable GBC dont l’ADN remonte à la fin des années 50 dans la gamme Berliet des véhicules sahariens Gazelle. Le GBC est le contemporain de la Renault 4CV et du Mystère IV ! Après 60 ans de bons et loyaux services, le GBC sera remplacé par une gamme ou une plateforme unique. L’ampleur du programme (7 000 exemplaires) va aiguiser les appétits de tous les constructeurs européens de camions : Iveco, Scania, Mercedes, Rheinmetall MAN, Tatra, voire Kamaz. Il sera intéressant de suivre les stratégies de Soframe, qui travaille avec Iveco sur le PPT, et de RTD qui dispose toujours du Sherpa Medium dans sa gamme. Mais d’autres acteurs français pourraient surgir. INEO n’a-t-il pas concouru pour VBMR léger ? Et quid de Nexter associé à un grand nom du domaine ?

– Une récente interview de l’amiral Isnard, le GCOS, nous apprend que 53 Masstech T4 baptisés VPS-2 seront commandés en urgence pour pallier l’attente du VLFS de RTD qui prend du retard. Des buggys armés sont aussi envisagés pour certaines actions cinétiques, sans que l’on en sache plus sur les modalités d’acquisition. Le COS disposera aussi d’une partie des 300 fardiers commandés chez UNAC. 

– Le Module d’appui au contact n’apparaît pas dans la LPM. Avec les engagements urbains systématiques dans la zone de crise, c’est pourtant un besoin urgent. Sera-t-il le premier véhicule chenillé commandé au titre de Scorpion ? C’est à souhaiter.

 

Plus de 6 000 véhicules de transport

 

On pourrait compléter cet état des lieux par un rapport d’étonnement sur la cible finale 2030-2035. Et les chiffres sont surprenants. Scorpion prévoit la mise en service d’un peu plus de 6 000 véhicules de transport, d’appui et de soutien à roues5 (Griffon, VBMR légers, VLTP-P) pour moins de 250 engins de combat, les Jaguar. Soit un rapport de 24 à 1, si le VBAE ne redresse pas la tendance. Les 32 AUF1 seront remplacés par autant de Caesar, si tout va bien6. Le nombre de VBCI et de Leclerc reste inchangé. On peut donc en conclure que, de 2018 à 2035, l’armée de terre n’augmente pas sa puissance de feu7, malgré l’introduction du missile MMP (400 postes de tir) et le montage de tourelleaux sur tous les véhicules de transport. 

En deuxième lieu, on note que l’armée de terre française sera la seule à faire cohabiter dans le même créneau tactique un 8 x 8 de 28 tonnes, le VBCI, et un 6 x 6 de 25 tonnes, le Griffon. En outre, toutes les versions du Griffon 6 x 6 sont dupliquées en version 4 x 4 à 15 tonnes avec le VBMR léger. Si, prises individuellement, ces trois plateformes sont très pertinentes et performantes, leur présence simultanée au sein de la même flotte sera une particularité française. Aucune autre armée de l’OTAN n’a fait ces choix pour le moment.

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Marc CHASSILLAN