En réponse, l’armée talibane a attaqué dans la nuit du 11 au 12 octobre des positions pakistanaises le long de leur frontière commune à l’est de la province afghane de Kunar au nord, et de Kandahar au sud.


Le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, a affirmé que vingt avant-postes militaires pakistanais avaient été capturés, que « 58 soldats [pakistanais] avaient été tués, 30 blessés, et que des armes et des munitions avaient également été saisies. » Il a précisé que neuf combattants talibans avaient trouvé la mort lors de ces opérations en territoire pakistanais.
Le porte-parole du ministère de la Défense des talibans, Enayat Khowarazm, a confirmé que ces opérations avaient été lancées en réponse aux « violations répétées de l’espace aérien afghan et aux bombardements aériens sur le territoire afghan par l’armée pakistanaise.»
Il est vrai que l’armée talibane n’a aucuns moyens pour détecter et s’opposer à des raids aériens adverses.
Cela dit, il semble qu’à Kaboul, l’objectif visé (Noor Wali Mehsud) n’a pas été atteint.

De son côté, l’armée pakistanaise revendique avoir repoussé les assauts des talibans. Pour faire bonne mesure, Islamabad a affirmé que les talibans afghans avaient frappé au Pakistan avec le soutien de la « Fitna al Khawarij soutenue par l’Inde », nom donné au TTP par l’État pakistanais.
En effet, le Pakistan tente de toujours rejeter la responsabilité de l’insurrection du TTP au Pakistan sur l’Inde alors que c’est un problème purement interne.
Pour résumer, durant trente ans, pour Islamabad, il y a eu les « bons talibans », c’est-à-dire les Afghans qui combattaient le pouvoir corrompu de Kaboul et les « mauvais talibans » : ceux qui luttaient contre le gouvernement pakistanais.
La Division des relations publiques interarmées pakistanaise (ISPR) a qualifié les attaques des talibans d’« acte lâche, comprenant des tirs et quelques raids physiques » et visant à « déstabiliser les zones frontalières afin de faciliter le terrorisme. »
Selon l’ISPR, 23 soldats pakistanais et plus de 200 combattants talibans ont été tués au cours des combats.
Une histoire complexe
Le gouvernement pakistanais est directement responsable de la montée du TTP. Au départ, le Pakistan a soutenu les talibans afghans depuis leur fondation en 1994 et les a utilisé pour créer une « profondeur stratégique » – tant géographique en Afghanistan que comme force de d’appoint – face à son principal adversaire, l’Inde.
En 2007, le TTP a été fondé à partir de talibans majoritairement pachtounes et d’activistes d’Al-Qaida(1) qui s’opposaient à Islamabad. L’objectif du mouvement était d’imposer une révolution fondée sur la charia à travers tout le Pakistan, mais en particulier dans les zones tribales administratives (FATA, Federally Administered Tribal Areas) frontalières de l’Afghanistan directement administrées par le gouvernement central.


Après la prise de pouvoir des talibans afghans à Kaboul en 2021, le TTP leur a renouvelé son allégeance.
Depuis sa création en 2007, il a mené de nombreuses attaques à travers le Pakistan.
Rien qu’en 2022, le TTP et ses groupes affiliés ont mené 367 attaques dans le pays.

Depuis 2018, Noor Wali Mehsud alias Abu Mansur Asim est le quatrième émir du TTP après que son prédécesseur, Mullah Falullah , ait été tué par un drone américain dans la province de Kunar en Afghanistan.
À cette époque, le TTP est diminué car il ne tient plus de territoire au Pakistan. Mehsud ordonne d’épargner les civils pour ne cibler que les forces de sécurité afin de réhabiliter l’image du groupe et de se démarquer de l’État Islamique (en particulier de la province Khorasan.)
Dans le même temps, il change le programme initial du TTP qui consistait à renverser le gouvernement pakistanais pour privilégier une sécession des zones peuplées de Pachtounes.

Il parvient à négocier un bref cessez-le-feu de juin à novembre 2022 avec le gouvernement pakistanais mais il relance la lutte armée « en réponse aux opérations militaires pakistanaises en cours contre les moudjahidines. »
La situation pour le pouvoir d’Islamabad est alors difficile sur le front intérieur. L’éviction de l’ancien Premier ministre Imran Khan par un vote de défiance en avril; les manifestations à travers le pays qui ont suivi et la retraite du chef d’état-major de l’armée (Chief of the Army Staff, COAS) déstabilisent le pays. Le quasi-effondrement de l’économie pakistanaise augmente la misère et la contestation. Sur le plan international, le Pakistan se confronte à l’Inde à propos de la région contestée du Cachemire.
À noter qu’un conflit opposera les deux pays du 23 avril au 10 mai 2025 suite à l’attaque de Pahalgam du 22 avril 2025 contre des touristes dans le Jammu-et-Cachemire en Inde(2). Les activistes appartiendraient à une émanation du Lashkar-e-Taiba (LeT), mouvement terroriste hébergé au Pakistan.

Fin novembre 2022, le général Asim Munir a été nommé nouveau chef d’état-major des armées. Ce poste de responsabilité joue un rôle primordial sur les affaires intérieures et étrangères pakistanaises, en particulier envers l’Afghanistan et l’Inde.
L’objectif principal du COAS est de faire diminuer la menace du TTP. Les armées tentent de reprendre de l’influence dans les zones tribales et essaient de rétablir les relations avec les populations pachtounes locales.
Une pression est exercée sur Kaboul pour trouver une sorte de résolution juridique pour neutraliser officiellement le TTP.
Malgré ces efforts, les talibans afghans continuent de fournir aux militants un refuge sûr et de dépeindre les violences comme une question interne pakistanaise.
En conséquence, depuis janvier 2023, il y a eu une vague d’expulsions de citoyens afghans du Pakistan envoyant ainsi un signal fort à Kaboul pour tenter d’influencer les talibans afin qu’ils cessent de soutenir le TTP.
À plus grande échelle, le Pakistan n’a pas l’économie nécessaire pour conduire des opérations intérieures de sécurité d’importance ou de mener pour mener des frappes transfrontalières efficaces contre les réduits du TTP.
(1) Voir : « Al-Qaida bien présent en Afghanistan » du 6 février 2024.
(2) Voir : « Inde – Pakistan : au bord de la catastrophe ? » du 28 avril 2025.