Dans la nuit du 12 septembre, des hommes armés ont abattu María Daniela Icaza, directrice du pénitencier du Litoral, à l’est de Guayaquil, la plus grande prison pour hommes du pays et le théâtre de massacres les plus atroces qui ont secoué l’Équateur ces dernières années.

Icaza se rendait de la prison à l’hôpital Guasmo Sur à environ 17 kilomètres lorsque des sicarios ont intercepté son véhicule.

Un autre fonctionnaire de la prison qui l’accompagnait a été blessé lors de l’attaque.

L’incident s’est produit neuf jours seulement après qu’Álex Javier Guevara Angulo, le directeur de la prison de Sucumbíos, ait été tué dans la municipalité de Lago Agrio.

 

Cinq mois avant, c’est Cosme Damián Parrales Merchán, le directeur de la prison « El Rodeo » de la région de Manabi N°4 qui a été assassiné d’une balle dans la tête devant un restaurant à San Lorenzo de Jipijapa. Il venait à peine de prendre ses fonctions.

Ces assassinats ciblés de directeurs de prison ont eu lieu dans le cadre de la politique de répression du crime du président Daniel Noboa qui vise à réduire la violence dans les établissements pénitentiaires équatoriens.

Les gangs carcéraux équatoriens semblent vouloir reprendre le contrôle du système pénitentiaire qui pour eux est un espace vital à partir duquel ils dirigent leurs activités sur l’ensemble du pays.

Bien que le déploiement de personnel militaire pour réprimer les émeutes dans les prisons et prévenir les massacres soit censé être temporaire, Melania Carrión, experte en sécurité a déclaré que l’incapacité du gouvernement à résoudre des problèmes systémiques plus profonds montre l’absence de stratégies claires à moyen ou long terme pour contrôler le milieu carcéral.

Jusqu’à présent, les efforts visant à augmenter la capacité d’accueil des prisons et à imposer des décrets d’urgence n’ont pas réussi à affaiblir l’emprise des gangs sur ces établissements.

Les meurtres de directeurs de prison et une série d’actes violents, notamment des attaques de drones, des massacres et des assassinats ciblés à l’intérieur des prisons, soulignent que la violence reste le principal moyen de contrôle des gangs.D’ailleurs, le taux d’homicides dans le pays est passé entre 2017 et 2023 de 5 à 46 pour 100.000 habitants.

Ces gangs ont aussi traditionnellement exercé leur influence par le biais de la corruption des personnels pénitentiaires et de la police. Personne  n’a vraiment le choix constatant que même les plus hauts responsables qui sont théoriquement protégés constituent des cibles faciles pour les sicarios.

Comme l’a expliqué Mme. Carrión, l’Équateur manque de coordination entre tous les services de l’État pour purger le système pénitentiaire et apporter une réforme qui soit pérenne.

De plus, plusieurs analystes ont exprimé leur inquiétude quant aux conditions d’emploi inadéquates et au manque de formation des forces de sécurité – particulièrement les militaires -, qui les préparent mal à affronter le crime organisé.

Situation globale

Les nombreuses bandes criminelles en Équateur ont une présence territoriale importante ainsi que diverses sources de financements ce qui pose un énorme problème aux institutions de ce pays qui restent faibles avec des moyens limités. Le nouveau président Daniel Noboa a cité 22 groupes criminels les classifiant comme des « organisations terroristes », un nombre beaucoup plus élevé que les estimations officielles passées.

Selon Renato Rivera-Rhon, coordinatrice de l’Observatoire équatorien de la criminalité organisée (OECO), ces groupes sont généralement concurrents mais « il existe des alliances stratégiques à long terme et tactiques à court terme avec des objectifs très spécifiques ». Leur objectif actuel est de démontrer leur puissance, principalement au gouvernement mais aussi aux populations.

La concurrence latente entre les gangs rend difficile la guerre contre eux car toute opération militaire qui affaiblit considérablement une bande peut en favoriser une autre lui apportant  un avantage stratégique.

Selon un rapport du gouvernement équatorien de 2023, la combinaison du trafic transnational de coca et de la vente de drogues de détail en Équateur demeure la principale source de revenus criminels mais d’autres activités économiques se développent.

Ainsi, le trafic d’êtres humains, des crimes contre l’environnement, le racket, ont considérablement augmenté entre 2021 et 2022.

Le gouvernement, pour sa part, manque cruellement de ressources et dépend de plus en plus de la générosité de Washington.

À court terme, le gouvernement n’avait pas le choix : il fallait une réponse militarisée pour contrebalancer l’importance des gangs.

Toutefois, le président Noboa n’a pas précisé ce qui suivrait si la réponse militaire réussissait à rétablir l’ordre. À savoir que le combat contre le crime organisé doit être global et pas uniquement sécuritaire.

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Texte

Alain Rodier