Le 8 janvier, le nouveau président équatorien entré en fonction en novembre 2023, Daniel Noboa, a décrété l’état d’urgence pour 60 jours après la constatation de l’évasion d’un célèbre criminel, Adolfo Macías Villamar alias « Fito », suivie de soulèvements dans des prisons : « je viens de signer le décret qui instaure l’état d’exception dans tout le pays afin que les Forces Armées reçoivent le soutien politique et légal dont elles ont besoin pour agir. Ce que nous vivons prouve que la situation doit changer dans le pays et que les lois actuelles ne garantissent pas la paix. Nous ne négocierons pas avec les terroristes ». Après qu’une télévision ait été prise d’assaut par un groupe criminel, il a ajouté que le pays était « en état de conflit armé interne ».

Il a aussi donné une liste non exhaustives des groupes criminels les plus connus : « Aguillas, AguilasKiller, Ak47, Caballeros Oscuros, ChoneKiller, Choneros, Covicheros, Cartel de las Feas, Cubanos, Fatales, Ganster, Kater Piler, Lagartos, Latin Kings, Lobos, Los p.27, Los Tiburones, Mafia 18, Mafia Trébol, Patrones, R7, Tiguerones… ».

Après l’instauration de l’état d’urgence, la police a également rapporté des violences dans la province d’Esmeraldas (Nord-Ouest), contrôlée par des gangs. Des policiers et des militaires ont pénétré lourdement armés dans plusieurs prisons, notamment celles où des gardiens ont été séquestrés.

Trois fonctionnaires de la police qui étaient de service ont ensuite été enlevés à Machala au sud-ouest du pays puis un quatrième policier a été kidnappé à Quito.

 

L’évasion de l’ennemi public numéro un qui a déclenché la crise actuelle

Adolfo Macías Villamar alias « Fito », âgé de 44 ans, est devenu le chef du gang des « Choneros » le principal acteur du narcotrafic en Équateur (Junior Alexander Roldán Paredes présenté comme son leader a été assassiné en Colombie en mai 2023).

« Fito » s’est enfui le 7 janvier d’une prison de Guayaquil où il purgeait depuis 2011 une peine de 34 ans de prison pour crime organisé, trafic de drogue et meurtre. Mais le gouvernement n’est même pas certain de la date de son évasion étant donné le désordre qui est la règle dans l’administration pénitentiaire. « Fito »s’était déjà évadé d’une prison de haute sécurité en 2013 et avait été repris trois mois plus tard.

Le parquet a ouvert une enquête contre deux surveillants « qui auraient participé à l’évasion » du prisonnier.

« Fito » qui serait très charismatique a suivi des études de droit en prison jusqu’à obtenir un diplôme d’avocat.

Le secrétaire à la communication du gouvernement, Roberto Izurieta, l’a  été qualifié de « criminel aux caractéristiques extrêmement dangereuses, dont les activités présentent des caractéristiques de terrorisme ».

Il a été cité ces derniers mois après l’assassinat début août de l’un des principaux candidats à l’élection présidentielle (1).

 

Un phénomène en expansion : l’extorsion (le racket)

 

La situation sécuritaire en Équateur qui est calamiteuse s’est encore détériorée ces dernières années car ce pays est devenu un carrefour pour la cocaïne provenant de ses pays voisins, Colombie et Pérou.

Mais en dehors du trafic de drogue qui provoque des luttes sans merci, l’extorsion (le racket) qui touche toute la société civile a augmenté de plus de 65 % entre 2022 et novembre 2023 et de près de 400 % depuis 2021.

La police équatorienne divise l’extorsion en quatre catégories : virtuelle, courante, sexuelle et de « protection ».

-L’extorsion virtuelle se caractérise par des appels des messages menaçants qui proviennent souvent des prisons. Les appelants s’identifient souvent comme membres d’un groupe criminel connu, même s’ils n’y sont pas liés.

-L’extorsion courante est constituée des « crimes d’opportunité » qui peuvent inclure les « enlèvements express » dans lesquels une personne est séquestrée pendant une courte période tout en étant forcée de retirer ou de transférer de l’argent aux ravisseurs. Les criminels volent également des biens, souvent des motos, puis exigent le paiement de leur restitution.

-L’extorsion sexuelle consiste à faire chanter la victime pour son comportement sexuel.

-Pour obtenir une « protection » concernant sa personne, ses proches ou ses affaires, des citoyens doivent payer une « assurance » sous peine de subir des dommages physiques ou matériels. Ce phénomène a augmenté de près d’un quart au cours de la dernière année.

Ce système impose un contrôle territorial que seuls les grands groupes criminels peuvent établir. Les criminels ciblent principalement les petites et moyennes entreprises, y compris les distributeurs et les sociétés de logistique au service de grandes multinationales. Cela entraîne la fermeture massive de restaurants, de bars et d’autres commerces parce que les propriétaires ne peuvent plus payer l’« assurance ».

L’accroissement de l’extorsion serait dû au fait que dans le passé, les plus grands gangs d’Équateur ont pris de l’ampleur en se nourrissant du trafic de cocaïne. Le principal d’entre eux était « los Choneros », un important fournisseur de services pour les réseaux transnationaux de trafic de drogue. Mais après l’assassinat Le 28 décembre 2020 de son chef Jorge Luis Zambrano González, « los Choneros » se sont divisés en factions belligérantes et ont été attaqués par une coalition de petits groupes auparavant sous leur contrôle.

Certaines de ces factions plus petites, comme « los Lobos » et « los Tiguerones », sont devenues des groupes sophistiqués de trafic de drogue. Mais beaucoup se sont retrouvés sans connexions, infrastructures ou savoir-faire pour continuer à se livrer à cette activité criminelle. Ces groupes se sont alors tournés vers l’extorsion.

Le cycle actuel de fragmentation – marqué par des trahisons, des assassinats et des massacres de prisons – laisse un nombre toujours croissant de petits gangs se battre pour le contrôle de territoires et d’économies criminelles.

Enfin, depuis plus de deux ans, le marché nord-américain de cocaïne est moins importateur. Aujourd’hui, près de 70 % de la cocaïne exportée par l’Équateur est destinée à l’Europe. Mais les bénéfices ont considérablement décru, les gangs étant poussés à se livrer à d’autres activités rémunératrices dont le racket qui impacte directement la société civile.

En décembre 2023, une vaste opération de police avait entraîné l’arrestation de près de 30 juges, procureurs et policiers pour liens avec les narcotrafiquants. L’opération appelée « Métastases » est intervenue quelques jours après une déclaration de l’ambassadeur américain en Équateur sur l’étendue de la pénétration du narcotrafic dans le pays, particulièrement le monde du football et dans les médias.

Comme ailleurs en Amérique latine, la corruption permet aux criminels d’étendre leurs activités sans rencontrer trop de problèmes. Leurs seuls soucis sont les guerres internes toujours sanglantes.

 

1. Voir : « Équateur : assassinat des tueurs du candidat à la présidentielle » du 12 octobre 2023.

 

 

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Texte

Alain Rodier