La Société militaire privée (SMP) russe « Groupe Wagner » fondée par Evgueni Prigojine qui a trouvé la mort en compagnie des ses deux principaux adjoints, Dmitri Outkine, son chef militaire et Valéry Chekalov son logisticien, lors d’un tragique « accident » dont leur avion a été victime le 23 août 2023 près de Moscou, aurait été reprise en main par l’ancien colonel Andreï Trochev.
Vladimir Poutine, le général Yunus-Bek Yevkurov et le colonel (er) Andreï Trochev.
Mais l’affaire paraît bien plus complexe.
Le Wall Street Journal affirmait en novembre 2023 qu’un nouveau système de contrôle, d’orientation politico-militaire et de financement des activités non-officielles de la Russie labélisées sous le sigle « Wagner » devait être réorganisé.
Dans ce cadre, l’action russe sur le continent africain serait placée sous l’autorité du vice-ministre de la défense russe, le général Yunus-Bek Yevkurov et du chef des opérations clandestines du renseignement militaire russe (GRU) (unité 29155), le général Andrei Averyanov.
Les deux SMP « Redut » de Konstantion Myrzayants et « Convoy » de Konstantin Pikalov agiraient sur le terrain en prestataires de services.
Elles seraient soutenues financièrement par les deux oligarques Genary Timchenko pour Redut et Arkady Rotenberg pour Convoy.
Ces derniers organiseraient également le système financier nécessaire au rapatriement des revenus engrangés par les SMP en Afrique vers la Russie.
Mais selon l’agence de presse russe « African Initiative », le ministère de la Défense russe aurait également créé un « Corps Africain » une structure du Ministère russe de la défense dirigée par le général Yunus-Bek Yevkurov » qui « pourrait compter jusqu’à 40.000 hommes ». « Le transfert d’unités de ce corps vers des pays africains amis de la Russie garantirait la sécurité de ces mêmes pays et leur assurerait au moins un contrôle total sur l’ensemble de leur territoire. »
Toujours selon cette agence de presse, outre le fait qu’« une partie au moins des dépenses liées à son entretien est prise en charge directement ou indirectement par les pays africains », cette structure « permet de donner un statut officiel et de consolider les activités des employés des SMP qui se trouvent déjà dans les pays africains. »
En clair, les SMP sont des « prestataires de services » du Ministère russe de la défense via le « Corps Africain », ce qui signifie que Moscou doit désormais assumer directement toute la responsabilité des actions (et exactions) commises par ces entreprises privées devenues de fait d’« État. » De plus, si des difficultés surgissent dans des zones d’intervention, les SMP pourraient recevoir le renfort de forces officielles venues de Russie qui vraisemblablement prendraient le direction des opérations.
Cette nouvelle organisation a pu être observée sur le terrain.
Au cours du sommet Afrique-Russie de fin juillet 2023(1) alors que la rébellion de Prigogine venait à peine d’être matée, le général Yunus-Bek Yevkurov et le général Andrei Averyanov, sont apparus comme les grands « responsables » pour la partie russe. Prigogine tentera bien de faire une apparition depuis le « théâtre africain » le 21 août 2023 mais son sort était définitivement scellé.
Juste après sa disparition le 23 août 2023, une tournée officielle en Afrique a été emmenée par les généraux Yunus-Bek Yevkurov et Andrei Averyanov. Elle a conduit la délégation en Libye, au Burkina Faso, en Centrafrique puis au Mali. À cette occasion la présence de Konstantin Mirzayants, le commandant de la SMP « Redut », a également été remarquée.
Un élément intéressant est aussi la nomination en Centrafrique de Denis Vladimirovich Pavlov, qui serait un Officier de renseignement du SVR (le service de renseignement extérieur russe) sous couverture diplomatique.
Cela coïnciderait avec la mise en sommeil de Dimitri Sytyi, le responsable de Wagner en Centrafrique du temps de Prigojine. Pour mémoire, Sytyi âgé de 34 ans étendait ses activités en Centrafrique, au Soudan, au Mali et au Niger. Il n’avait pas le profil d’un mercenaire mais plutôt d’un commercial. Il était passé par plusieurs universités européennes, dont la SKEMA Business School de Lille avant d’être recruté pour intégrer une ferme de trolls de Wagner, pilotant la propagande anti-France en Afrique (il est parfaitement francophone.) C’est lui qui aurait eu la responsabilité de gérer les milliards d’euros issus de l’extraction de bois, d’or et de diamants.
Là aussi, le Kremlin semble avoir repris les rênes.
Quels sont les objectifs de Moscou ?
Globalement, les Russes souhaitent étendre leur influence sur le continent africain (où ils sont présents depuis de très longues années) qui est délaissé par les Américains qui s’intéressent prioritairement à l’Extrême-Orient. Une de leurs réussites qui marquera les « écoles d’espionnage » en matière de politique d’influence dans les années à venir est d’être parvenus à « éjecter » la France d’une partie de son pré-carré africain, sur le fond avec peu de moyens.
Plus prosaïquement, en Libye et au Soudan, les Russes visent – depuis des années – à obtenir des bases navales à Tobrouk, Benghazi et Port Soudan, histoire de concurrencer les Occidentaux sur les voies maritimes en Méditerranée et en mer Rouge.
Au Soudan, Wagner était en soutien des Forces de Soutien Rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Dogolo alias « Hemeti » comme pour le maréchal Haftar en Libye. La position de Moscou semble avoir changé depuis 2023 vis-à-vis du président de la Transition, tchadien Mahamat Idriss Déby. À savoir que Wagner soutenait des groupes d’opposition tchadiens réfugiés en Libye. Après la mise de côté de Prigojine, Moscou a initié une approche plus pacifique invitant en janvier Mahamat Idriss Deby en Russie. Il semble que Moscou veut créer un axe Libye – Soudan -Tchad…
Au Mali, officiellement le groupe Wagner – même si ce n’est plus vraiment lui – poursuit son action aux côtés des Forces armées maliennes (FAMA) dans la lutte contre les groupes armés jihadistes et les indépendantistes touaregs.
La junte malienne joue également un rôle important d’« intermédiaire » dans l’expansion des activités russes au Sahel.
Ainsi, les militaires maliens ont permis l’établissement des relations initiales entre responsables russes et le pouvoir militaire burkinabè après la prise du pouvoir par le capitaine Ibrahim Traoré en septembre 2022. Sous la menace de plusieurs tentatives de renversements, le capitaine-président a fait appel aux paramilitaires russes pour garantir sa sécurité. Ensuite, les relations entre les deux pays se sont encore resserrées.
Des militaires russes sont arrivés à Ouagadougou le 10 novembre 2023.
Avec la junte militaire du Niger, les services maliens ont facilité leurs premiers contacts officiels avec la Russie officielle et les SMP russes. Début août 2023, une réunion entre la délégation russe et le général Salifou Mody, ministre de la Défense nigérien, considéré comme le numéro deux de la junte nigérienne était organisé à Bamako.
Les services maliens auraient même proposé la prise en charge initiale du déploiement de Wagner au Niger compte tenu des sanctions de la CEDEAO contre le pays.
Lors de la visite du général Yunus-Bek Yevkurov à Niamey le 4 décembre 2023, un protocole d’accord de renforcement de la coopération militaire avait été signé entre les deux pays selon le même processus qu’avec les juntes militaires malienne et burkinabè.
Toutefois, le déploiement de forces paramilitaires russes au Niger se heurte aux États-Unis. Il semble en effet improbable que Washington maintienne ses 648 soldats de la base 201 d’Agadez aux côtés des éléments des SMP russes. Qui de Moscou ou Washington sera le plus persuasif ?
À noter que les trois États d’Afrique de l’Ouest qui ont entretenu des liens étroits avec Wagner – Mali, Niger et Burkina Faso – ont tous annoncé leur retrait du bloc régional ECOWAS et la création de leur propre « Alliance des États du Sahel. »
Des intérêts partagés
Pour les juntes militaires qui dirigent ces pays, la présence militaire russe présente des intérêts évidents.
Au début, ces juntes avaient des dirigeants de transition. Ils étaient censés organiser des élections et assurer un retour aux institutions démocratiques. Maintenant des paramilitaires russes leur permettent de rester aussi longtemps qu’ils le veulent.
En échange d’une assistance en matière de sécurité considérable, Moscou a besoin d’une réciprocité.
Le modus operandi russe standard est que les SMP couvrent leurs coûts de fonctionnement avec des activités commerciales parallèles. En Afrique, c’est principalement par le biais de concessions minières.
Ainsi, la Russie aurait extrait 2,5 milliards de dollars d’or d’Afrique au cours des deux dernières années,
Aujourd’hui, il faut particulièrement s’intéresser à l’évolution des quelques 600 entreprises qui n’ont pas de liens entre elles mais qui appartenaient à Evgueni Prigojine.
Son fils, Pavel, âgé d’à peine 25 ans, a été vu récemment en Centrafrique. Il est en effet le principal héritier de l’empire financier de son père bien que les avoirs les plus stratégiques aient déjà été saisis et que les immenses marchés étatiques qui ont fait sa fortune, notamment ceux de l’armée, commencent à changer de mains. Il ne devrait pas avoir un avenir radieux…
Historique de Wagner en Afrique
La SMP Wagner fondée en 2014 en Crimée avec quelques centaines de volontaires a participé à la guerre en Ukraine et en Syrie. Elle aurait compté jusqu’à 50.000 hommes.
Elle a été projetée en 2017 au Soudan, au début 2018 en Centrafrique puis de manière plus conséquente en Libye à la mi-2018 en soutien du Maréchal Haftar.
Par contre, elle a connu un échec au Mozambique en 2019 contre la rébellion emmenée par l’État Islamique Province de l’Afrique Centrale (ISCAP) où ses hommes ne sont restés que quatre mois.
En 2020, les premiers putschs militaires maliens et burkinabè n’avaient rien à voir avec elle.
Mais à partir de 2021, la SMP a prospéré en Afrique francophone.
Au Mali, après le coup d’État d’août 2021, la junte militaire d’Assimi Goïta a fait appel aux mercenaires russes pour dix millions de dollars par mois (source officielle US AFRICOM) et a rompu la coopération militaire avec la France.
Jusqu’en 2023, les activités africaines de Wagner étaient variées. Ainsi, elle a fourni une assistance militaire à au moins cinq pays du continent, mais également des opérations d’influence politique, des réseaux de trafics de ressources naturelles ou d’autres natures à une douzaine de pays africains.
Il est donc logique que les dirigeant actuels pleurent leurs anciens soutiens et attendent de Moscou la poursuite des efforts entrepris.
Wagner était la plus médiatisée des SMP russes mais elle n’était pas la seule. Au cours des dernières années, on a vu des combattants passer d’une SMP à l’autre
Le groupe Redut est l’une des SMP les plus connues de la vingtaine d’organisations militaires russes actives (Convoy, Patriot, Redut, Enot ou encore Fakel), lesquelles ont connu un essor particulier à partir de 2014 et l’annexion de la Crimée par la Russie.
La SMP Redut est apparue dans le courant des années 2000 comme société de protection des installations de Stroytransgaz, une société d’extraction de gaz affiliée à Gennady Timchenko, un oligarque et ami de longue date de Vladimir Poutine.
Redut protège encore ses installations en Syrie et a également participé à la formation de personnels militaires local en Irak.
Dès le début de l’invasion en Ukraine, quatre escouades de 250 hommes de Redut ont été mobilisées sur le front ukrainien dans les zones de Gostomel et Kharkiv. Ils se seraient retirés en avril 2023.
Le groupe Convoy a été créé en 2022 par Sergueï Aksionov, qui a été nommé par Vladimir Poutine, gouverneur de la Crimée à la suite de l’annexion de la péninsule. C’est un homme d’affaires soupçonné d’être en lien avec le crime organisé et d’avoir créé Convoy pour défendre l’influence de la Russie en Crimée. Elle est dorénavant dirigée militairement par l’ancien commandant de Wagner en Centrafrique, Konstantin Pikalov.
Que va-t’il se passer ?
Il est difficile de prévoir ce que seront les résultats russes en Afrique d’autant que leur passé ne plaide pas en faveur de succès faramineux. Leur politique s’apparente aujourd’hui à une sorte de colonialisme qui consiste à soutenir des dirigeants qu’ils mettent à leur solde pour exploiter au maximum les richesses existantes pour les rapatrier en Russie.
À la différence des Français avant eux, ils ne sont pas intéressés à développer des réseaux de relations via les « expatriés » qui ont eu leur heure de gloire lors de la France-Afrique. Cette manière de procéder a vécu et sert aujourd’hui de repoussoir anti-français habilement exploité par la propagande de Moscou. Les Russes – comme les Chinois – se gardent de tout « copinage » qu’ils estiment désormais comme contre-productif.
Mais l’Afrique est exigeante et changeante. Ses sables mouvants ont absorbé – au propre comme au figuré – bien des aventuriers dans le passé.
1. Voir : « RUSSIE ET WAGNER : QUELLE POLITIQUE EN AFRIQUE ? » du 28 juillet 2023.
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