Tout l’Occident a les yeux rivés sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le président Joe Biden traite son homologue Vladimir Poutine de « criminel de guerre » puis de « boucher » avant de se féliciter de la « défaite » que représente la guerre en Ukraine pour Moscou.
Pour la Maison-Blanche, la « communauté internationale » est convaincue de la prééminence des États-Unis et des « valeurs universelles » qu’elle défend.
Curieusement, la carte en en-tête de cet article semble montrer que les pays qui ont adopté des sanctions contre la Russie que cette « communauté internationale » se réduit au continent nord-américain, à l’Europe, à l’Islande, à l’Australie, à la Nouvelle Zélande, au Japon et à la Corée du Sud. Il est vraisemblable que ces pays qui représentent plus de la moitié de l’humanité ne partagent pas non plus les « valeurs universelles » prônées par l’Occident et qu’ils ne sont pas prêts à suivre aveuglément la politique dictée à Washington.
Mais le naturel des gouvernants américains revient de temps en temps au galop. Joe Biden a déclaré à propos de Poutine en Pologne : « pour l’amour de Dieu, cet homme ne peut pas rester au pouvoir ». Certes, la Maison-Blanche a rectifié disant qu’elle n’appelait pas à un « changement de régime » en Russie mais il semble que le POTUS a commis un lapsus révélateur.
Aujourd’hui, les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN (malgré la « renaissance » de l’Alliance) sont considérablement affaiblis sur le plan géopolitique et militaire car ils ne peuvent plus imposer leur loi à l’ensemble de la planète. En réalité, cela préfigure une recomposition générale dont on ne connaît pas aujourd’hui le résultat final mais qui va se passer dans la douleur, en particulier pour les Européens.
Enfin, pour en terminer pour l’instant avec l’Ukraine qui a été attaquée militairement par la Russie, le ton moralisateur de son président commence a être lassant. Certes, il tient très bien son poste de président de pays en guerre mais il n’a aucune légitimité pour entraîner derrière lui le monde dans une confrontation apocalyptique avec la première puissance nucléaire de la planète. Surtout, il n’a pas à donner de leçons de morale à qui que-ce soit. Certes il n’y a pas de « guerre propre » mais, dans le domaine des horreurs, des témoignages commencent à remonter (à moins que ce soit le fruit de la propagande russe, ce qui n’est pas impossible) sur les exactions de citoyens ukrainiens vis à vis de leurs compatriotes pour des motifs divers (comme le pillage), par une chasse aux « espions russes » qui tourne à la paranoïa et à des l’assassinat de prisonniers russes. Même si le premier responsable de cette guerre reste Vladimir Poutine – quelques soient les bonnes raisons qu’il puisse avancer – l’Histoire devra juger les crimes des deux côtés.
Corée du Nord. Tir du plus gros missile jamais lancé
La première dictature qui sent le vent tourner (certes depuis un certain temps) et celle de Kim Jung-un. Bien que visée par des sanctions internationales, la Corée du Nord a encore accru ses activités nucléaires et balistiques en se riant des interdictions décrétées par Washington et par l’ONU…
Après avoir tiré depuis le début de l’année une dizaine de missiles divers et variés(1), elle a ainsi procédé à deux essais du missile balistique intercontinental Hwasong-17 qui avait été présenté publiquement en 2020. Selon les spécialistes, le Hwasong-17 est le plus gros missile monté sur un véhicule-érecteur-lanceur (à onze essieux). Il aurait une longueur de 24 mètres et sa capacité d’emport allant jusqu’à 100 tonnes de carburant liquide pourrait mettre en œuvre une charge militaire de 15 à 20 tonnes. Il est possible que cette dernière soit une ogive « mirvée » (emportant plusieurs têtes nucléaires ou conventionnelles ayant chacune leur trajectoire lors de la rentrée dans l’atmosphère.
La propulsion de la fusée aurait été testée le 27 février puis le 5 mars sous le prétexte du développement d’un « satellite de reconnaissance ».
Le 16 mars, un premier lancement d’un Hwasong-17 fut un échec. Il aurait explosé à une vingtaine de kilomètres d’altitude.
Le 25 mars, l’agence nord-coréenne KCNA officialisait à force de propagande un deuxième tir réussi la veille en ces termes : « le missile, lancé depuis l’aéroport international de Pyongyang, a atteint une altitude maximale de 6.248,5 km et a parcouru une distance de 1.090 km pendant 4.052 secondes avant de frapper avec précision la zone prédéfinie [dans la zone économique exclusive du Japon] ».
Kim Jong-un qui s’est mis en scène lors de ce lancement a fait remarquer que désormais le Hwasong-17 permettait à la Corée du Nord d’atteindre des cibles situées à plus de 15.000 km de distance, ce qui met les États-Unis et l’Europe à sa portée de frappe. Il a précisé que ce nouveau missile « fera prendre conscience au monde entier […] de la puissance de forces stratégiques » et que la République populaire démocratique de Corée est « désormais prête pour une confrontation de longue durée avec les impérialistes américains ».
Sur le plan technique, c’est la première fois qu’un missile est directement tiré depuis son véhicule-érecteur-lanceur ce qui, théoriquement, permet une mise en œuvre plus rapide. Cela dit, étant donnée le temps nécessaire pour faire le plein des réservoirs, la taille et le poids du système, il risque d’être repéré rapidement par les satellites qui surveillent en permanence la Corée du Nord.
Pyongyang affirme par ailleurs disposer de nouvelles armes : missiles semi-balistiques, missiles de croisière, planeurs hypersoniques, missiles de portée intermédiaire, etc.
Quant à la volonté de mettre en œuvre ces armements, il semble que Kim Jong-un ne soit pas très sensible à la stratégie de la dissuasion car la vie de ses concitoyens ne semble pas être sa priorité à la différence de la survie de son régime.
Par contre, à l’image de la Russie qui n’a pas hésité entrer en Ukraine pour une « opération militaire spéciale », le « grand leader » peut être tenté de faire la même chose en Corée du Sud et il n’est pas certain que l’ONU aura la même réaction qu’en 1950-1953.
Enfin, dans les querelles qui opposent les États-Unis et la Chine à propos de Taiwan et qui constitueront les risques de guerre de demain, le régime coréen et son attitude viendront compliquer encore un peu plus la donne (sans parler du problème des îles Kouriles qui oppose Moscou à Tokyo qui, il faut le rappeler, n’ont jamais signé de traité de paix).
Yémen. Les Houthis frappent encore en Arabie saoudite.
Les rebelles yéménites Houthis ont mené le 25 mars une nouvelle série de frappes en Arabie saoudite. L’une a provoqué un gigantesque incendie dans un site pétrolier à Jeddah. Ces actions interviennent à la veille du septième anniversaire de l’intervention de la coalition militaire dirigée par Riyad au Yémen (26 mars 2015). Selon Riyad, ces frappes n’ont fait aucune victime.
La coalition a indiqué que les Houthis avaient mené seize attaques dans le Sud et à Jeddah (ouest) visant différentes infrastructures dont une centrale électrique, une station d’eau et des installations pétrolières. La plus impressionnante a eu lieu à Jeddah contre des réservoirs du géant pétrolier Aramco provoquant un gigantesque incendie.
Les attaques, menées avec des missiles et des drones auraient été lancées depuis les villes de Sanaa d’Hodeida. La porte-parole du département d’État, Jalina Porter, a qualifié ces frappes d’« inacceptables » et elle a ajouté « nous continuerons à travailler avec nos partenaires saoudiens pour renforcer leurs systèmes de défense tout en oeuvrant à une solution durable mettant fin au conflit [au Yémen]».
Les prix du pétrole ont fortement augmenté depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février, ce qui a perturbé les approvisionnements mondiaux et les Houthis tentent de « toucher le nerf de l’économie mondiale » a affirmé le porte-parole de la coalition militaire emmenée par l’Arabie saoudite, Turki bin Saleh Al-Maliki.
Riyad a de nouveau mis en garde le 25 mars contre la menace que représentent ces attaques « pour la sécurité de l’approvisionnement mondial en pétrole […] L’Arabie saoudite n’assumera pas la responsabilité de toute pénurie d’approvisionnement en pétrole sur les marchés mondiaux ». Par ailleurs, l’Arabie saoudite accuse Téhéran de « continuer à fournir des drones et des missiles » les Houthis.
Déjà le 20 mars, l’une des attaques(2) avait contraint Aramco à réduire sa production et à puiser dans ses stocks pour compenser. Les pays occidentaux pressent depuis le début de la crise ukrainienne l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) menée par l’Arabie saoudite d’augmenter sa production. La monarchie du Golfe est cependant restée sourde à ces appels, fidèle à ses engagements auprès de l’alliance Opep+, qui inclut la Russie, deuxième plus grand producteur de pétrole.
L’Arabie saoudite a répliqué militairement le 26 mars lançant des bombardements sur la capitale yéménite Sanaa et le port de Hodeïdah, sur la mer Rouge afin de « protéger les sources d’énergie mondiales ». Riyad a affirmé que l’opération n’en était qu’à ses débuts et les Houthis devraient assumer les conséquences de leur « comportement hostile ».
Sahel. La situation se détériore
Le redéploiement de l’opération Barkhane au Mali donne de l’air aux jihadistes dépendant de Daech qui se réorganisent pour augmenter leurs opérations au Mali mais aussi au Burkina Faso et au Niger.
Le 8 mars des affrontements ont été signalés à Ménaka entre des éléments de l’État Islamique au Gand Sahara (EIGS) et du « Cadre Stratégique permanent » (CSP) regroupant des membres du Mouvement pour la salut de l’Azawad (MSA) et du Groupe d’autodéfense Touaregs, Imghad et alliés (GATIA). De nombreux civils ont été massacrés à Tamalat, Insinanane et à Abderemboukane. Les jihadistes se seraient ensuite dirigés vers la région des trois frontières.
Le 21 mars l’armée malienne a été attaquée à Tessit dans le cercle d’Ansongo. L’assaut est revendiqué le lendemain par l’État Islamique au nom de la « Province de l’État Islamique au Sahel » (EIS), indiquant que l’ex-EIGS s’était détaché de la province de l’État Islamique en Afrique de l’Ouest (connue sous le signe en anglais ISWAP)°à laquelle il était rattaché depuis 2019. L’EIS est dirigé par Abou al-Bara al-Sahraboui(3) depuis la neutralisation du fondateur de l’EIGS, Adnane Abu Walid al-Sahraoui]. Dans ce contexte, la province « EIS » a participé à la campagne de renouvellement d’allégeance des provinces de l’État Islamique(4) au nouveau « calife », Abou Hassan al-Hachimi al-Qourachi intronisé le 10 mars 2022 suite à la mort d’Ibrahim al-Hachimi al-Qourachi.
Depuis sa création en 2015 suite à l’allégeance de Abubakar Shekau, l’ISWAP était sous l’autorité de jihadistes nigérians. Suite à des malentendus avec le commandement de l’État Islamique, Shekau, successeur de Mohamed Yusuf le fondateur du mouvement assassiné en 2009 avait été évincé au profit du fils de ce dernier Abib Yusuf alias Abu Musab al Barnawi. Après avoir à son tour été rétrogradé en 2019, il était revenu en grâce au début 2021 pour reprendre le commandement de l’ISWAP. Attaqué dans son fief de la forêt de Sambisa courant mai 2021, Shekau s’était suicidé. Le sort d’Abib Yusuf disparu à l’automne 2021 est incertain. Il a été annoncé tué par l’armée nigériane…
Il n’empêche que les sept provinces (wilayat) dépendant de Daech sur le continent africain (en comptant la « wilayat Sinaï » qui a un pied à l’ouest de la mer Rouge sont actuellement à l’offensive sur le terrain et médiatique.
Les mouvements dépendant d’Al-Qaida « canal historique » dont le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) restent pour le moment plus discrets partagés entre l’envie de combattre et la nécessité de négocier.
Azerbaïdjan – Arménie
Moscou a accusé le 26 mars l’Azerbaïdjan d’avoir violé l’accord de cessez-le-feu avec l’Arménie signé après la guerre du Haut-Karabakh de 2020 dans les termes suivants : « entre le 24 et 25 mars, les forces armées de l’Azerbaïdjan ont violé l’accord trilatéral des dirigeants de la Russie, de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie, entrant dans la zone sous responsabilité du contingent russe de maintien de la paix au Nagorny-Karabakh ». Selon le ministère de la Défense russe, les forces azerbaïdjanaises ont installé un poste d’observation et ont effectué « quatre frappes avec des drones de type Bayraktar » sur les forces du Karabakh près de la localité de Farukh.
L’accord du 9 novembre 2020 signé par le président Poutine et ses homologues arménien, Nikol Pachinian, et azerbaïdjanais, Ilham Aliev, avait mis fin à un conflit de six semaines entre les deux pays. Profitant que la Russie regardait ailleurs, il n’est pas surprenant que l’Azerbaïdjan renforce ses positions dans les régions disputées en vue d’actions futures.
1. Voir : « Corée du Nord : tir de trois missiles hypersoniques » du 13 janvier 2022.
2. Voir : « Yémen : Dans l’indifférence générale, la guerre continue » du 22 mars 2022.
3. Il serait le frère de Dadi Ould Chougaid alias Abou Darda arrêté en juin 2021 par l’armée française.
4. Voir « CONFLITS : NOUVELLES BRÈVES. Daech a un nouveau calife » du 14 mars 2022.
Publié le
Texte
Photos
DR
Et aussi