La guerre qui déchire le Yémen depuis bientôt huit ans continue dans l’indifférence générale. Il faut dire qu’à la différence de celle qui se déroule en Ukraine, au Yémen il est difficile pour l’opinion publique de distinguer les « gentils » des « méchants ».

La dernière action importante a été lancée par les rebelles Houthis (Ansar Allah) qui ne sont pas des « gentils » étant anti-américains, anti-israéliens et antisémites. Il convient de se souvenir que le slogan de ce mouvement politico-religieux nationaliste est : « Allah est plus grand, mort à l’Amérique, mort à Israël, malédiction aux juifs, victoire à l’islam ». Ces propos les classent logiquement dans la catégorie des « méchants » et ils ne peuvent revendiquer l’appellation de « résistants ». De plus, ils ont démis le président Abdrabbo Mansour Hadi « démocratiquement élu » le 21 février 2012 avec 99,8% des suffrages. Il était le seul candidat… Ce maréchal toujours président en titre reconnu par la communauté internationale réside actuellement à Riyad.

Le problème réside dans le fait que le régime saoudien aujourd’hui dirigé de facto par le prince héritier Mohammed ben Salmane ben Abdelaziz Al Saoud (MBS) ne fait plus vraiment partie des « gentils » depuis le meurtre le 2 octobre 2018 du journaliste Jamal Khashoggi à Istanbul. En plus, les exécutions « pour terrorisme » de 81 détenus le 11 mars 2022 qui sont venues s’ajouter aux 11 décapitations ayant eu lieu dans le royaume depuis le début de l’année ont interpellé dans les chancelleries occidentales – mais sans réaction audible (1)-. Il n’empêche que le régime saoudien ne fait pas non plus partie des « méchants », ce qui lui interdirait d’acquérir les armes et munitions avec lesquelles il pilonne le Yémen. Étant donnée la puissance financière de Riyad, tous les marchands d’armes de la planète sont présents (Russes y compris) pour proposer leurs produits.

Les bombardements houthis du 20 mars

Le 20 mars, les Houthis ont lancé deux salves successives de missiles balistiques et de croisière ainsi que des drones contre différents objectifs situés en Arabie Saoudite. Selon les déclarations de leur porte-parole Yehia Sarie : « la première phase comprenait le bombardement de plusieurs installations vitales et sensibles d’Aramco à Riyad et la région de Yanbu (au nord de Djedda le long de la mer Rouge) et d’autres zones avec en Arabie saoudite des avancées des missiles de croisière, balistiques et de drones […] Immédiatement après la première phase, les forces armées ont mené la deuxième phase en bombardant plusieurs cibles vitales et importantes dans les régions d’Abha, Khamis Mushait, Jizan, Samtah et Dhahran Al Janub avec un lot de missiles de croisière, balistiques et de drones (plus proche de la frontière) ».

Selon Riyad, les objectifs étaient des installations de gaz liquéfié, de désalinisation de l’eau de mer, pétrolières et une centrale électrique. Il n’y aucune victime à déplorer. La défense aérienne serait parvenue à intercepter l’attaque sur Yanbu qui visait un site de pétrole liquéfié de Aramco.

Cette opération survient après que le Conseil de Coopération du Golfe ait invité les différents protagonistes à des négociations à Riyad. Les Houthis ont répondu qu’ils ne participeraient (comme par le passé) qu’à des négociations se tenant dans un pays neutre et que leur exigence préalable est la levée du blocus dont le Yémen est l’objet.

La guerre a causé des centaines de milliers de victimes (377.000 dont 223.000 indirectes en raison de malnutrition et de maladies) et quatre millions de déplacés intérieurs. Les Nations Unies ont qualifié cette situation de « pire crise humanitaire mondiale » et ont organisé une souscription qui devait atteindre 4,27 milliards de dollars. Elle n’a reçu que 1,3 milliards de dollars.
Les Houthis ciblent régulièrement les installations en Arabie saoudite et celles des Émirats arabes unis (EAU).

Ces derniers qui eux sont considérés comme « très gentils » après l’accord d’Abraham signé le 13 août 2020 normalisant les relations avec Israël et le traité de paix du 15 septembre de la même année. Cela dit, Washington s’interroge sur le dirigeant de fait des EAU, le prince Mohammed ben Zayed ben Sultan, qui continue à entretenir des relations normales avec la Russie, Pékin et Téhéran. Pire encore, le 18 mars, il a reçu officiellement à Abou Dhabi le président Bachar el-Assad. Les EAU avaient rouvert leur ambassade en Syrie le 27 décembre 2018 …

Riyad et Abu Dhabi sont les pays leaders de la coalition militaire impliquée dans la guerre yéménite depuis que les rebelles se sont emparés de la capitale Sanaa en 2014/15 puis d’une partie nord et ouest du pays. Les EAU ont retiré les troupes au sol en 2019 mais restent extrêmement actifs sur ce sujet soutenant les séparatistes sudistes d’Aden (ceux là, personne ne sait dans quelle catégorie les ranger). D’ailleurs, ils tiendraient l’île stratégique de Socotra située au sud-est du pays avec l’appui des EAU. La rumeur dit qu’Israël serait en train d’y installer une base secrète… L’Arabie saoudite serait pour sa part en train de se redéployer(2).

Ces frappes sont survenues au moment où Aramco a annoncé avoir augmenté ses ventes de 124% en 2021 avec (110 milliards de dollars contre « seulement » 49 milliards de dollars en 2020). Personne ne sait quelles vont être les répercutions sur l’approvisionnement en hydrocarbures de l’Occident alors que la guerre en Ukraine rebat complètement les cartes.

1. Voir « nouvelles brèves du 14 mars » du 14 mars 2022.
2. Voir : « Yémen : l’Arabie saoudite redéploie son dispositif militaire » du 18 novembre 2021.

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Texte

Alain Rodier

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