Par nature, secrètes, les opérations clandestines militaires font rarement l’objet de communiqué. A cet égard, Londres, plus que tout autre gouvernement, observe un mutisme qui peut même aller jusqu’au déni, y compris devant les parlementaires. Pourtant, au Yémen, en Syrie, en Irak, en Libye, les unités spéciales britanniques sont sur tous les fronts.
A partir du début de l’année 2016, la Grande-Bretagne décide de lancer des opérations militaires clandestines en Libye contre l’Etat islamique, et cela avec le soutien de la Jordanie. A la mi-janvier de cette année, le 11 exactement, une réunion secrète a lieu aux Etats-Unis, réunissant des membres des gouvernements américains1 et britanniques, des militaires hauts gradés de ces deux pays, mais aussi le roi de Jordanie et son cabinet militaire. Abdallah II propose à ses interlocuteurs d’envoyer en Libye ses forces spéciales aux côtés des unités clandestines anglaises et américaines. L’avantage de ses soldats, dira-t-il, est que le parler jordanien s’apparente au dialecte libyen et qu’ils pourront ainsi mieux s’intégrer et aider les formations loyalistes libyennes pour combattre les forces de l’Etat islamique.
Les USA n’ont pas de stratégie claire !
Mais les discussions n’avancent pas, au grand dam du roi, lequel déclare haut et fort que les Américains n‘ont pas de stratégie claire. « Depuis cinq ans, Washington hésite et sa politique est incohérente et inefficace en Syrie, dira l’un de ses conseillers. Maintenant, les Américains donnent la priorité à la destruction de l’Etat islamique à l’éviction de Bachar el-Assad. Pour nous, l’un et l’autre sont aussi mauvais. » Le ton est donné !
Aussi, le roi de Jordanie se tourne vers les Britanniques et leur offre une coopération totale, des forces spéciales à disposition et des bases où stationner. Il faut dire qu’Abdallah II a des liens étroits avec les forces armées britanniques, car il a été formé à la Royal Military Academy de Sandhurst en 1980, avant de servir brièvement comme officier de l’armée britannique. Mais, au fil des mois, les services secrets et gouvernements américains et européens vont s’apercevoir que cette coopération anglo-jordanienne s’opère aussi en Libye pour aider les forces « gouvernementales » libyennes qui combattent l’Etat islamique également présent en Libye.
Fin mars, les premiers bruits, révélés par la presse, font état de la présence d’une cinquantaine de forces spéciales britanniques aux côtés des forces du gouvernement El-Sarraj ou gouvernement d’entente nationale. Ces dernières se préparent à attaquer le fief de l’Etat islamique dans la région de Syrte2. Le gouvernement britannique nie en bloc.
En avril 2016, dans une lettre adressée au ministre britannique des Affaires étrangères Philip Hammond, le président de la Commission des affaires étrangères, Crispin Blunt, expliquait avoir appris, au cours d’une visite en Egypte et en Tunisie, « l’existence de plans britanniques visant à fournir plus de 1 000 soldats à une force internationale forte de 6 000 hommes qui serait déployée dans un avenir proche en Libye ». Le démenti ne tarde pas. « Ce que les membres de la Commission des affaires étrangères ont entendu pendant leur récente visite est faux sur plusieurs points », réplique aussitôt dans un communiqué le porte-parole du gouvernement britannique. « Il n’y a aucun projet d’étendre les frappes aériennes à la Libye ou d’envoyer des troupes britanniques pour assurer la sécurité dans ce pays », affirme-t-on, alors que des équipes de SAS/SBS anglaises et de FS jordaniennes sont déjà présentes en Libye depuis un mois.
Déjà, fin février, le secrétaire d’Etat à la Défense Michael Fallon avait déclaré, devant les députés britanniques : « Avant de nous engager dans toute opération militaire en Libye, nous devons, bien sûr, y être invités par le gouvernement libyen et nous impliquerons, bien entendu, ce parlement. » Et il avait aussi affirmé que Londres n’avait « pas l’intention de déployer des troupes au sol » et nié la participation de pilotes de la Royal Air Force à des opérations aériennes au-dessus de la Libye. Mais les déclarations du roi de Jordanie sur la présence de soldats britanniques et jordaniens qui combattent secrètement l’Etat islamique en Libye mettent à mal les déclarations de Michael Fallon. Le secrétaire d’Etat à la Défense comme le Premier ministre David Cameron vont être l’objet de pressions intenses exercées par l’opposition.
A coups de missiles Javelin
Fin mai, plusieurs témoignages de combattants libyens font état de la présence active de forces spéciales britanniques, afin d’assurer le guidage aérien pour la désignation de cibles, mais aussi l’encadrement tactique d’unités de combat du gouvernement d’entente nationale. Ainsi, le 12 mai, selon un commandant d’une milice de Misrata, les Britanniques tirent un missile Javelin sur un camion-suicide et bloquent ainsi une attaque-suicide de l’EI, à environ 80 km au sud de Misrata. Et ce commandant de déclarer : « Mon unité travaille uniquement avec des Britanniques. » Car d’autres milices opèrent avec d’autres forces spéciales européennes et américaines. Ainsi, les Américains sont présents dans la région de Misrata, mais aussi de Syrte, et les forces spéciales italiennes ont mené des opérations près de Benghazi en collaboration avec Khalifa Hafter, chef de l’armée nationale libyenne (ANL). Comme, d’ailleurs, les forces spéciales françaises, qui opèrent aussi avec l’ANL à Benghazi.
Face à l’EI en Syrie
Fin avril 2016, des informations commencent à filtrer dans la presse britannique, sur la présence de forces spéciales nationales en Jordanie, qui régulièrement effectuent des opérations en Syrie avec les rebelles syriens. Et les FS de Londres ont pour mission de s’attaquer aux combattants de l’Etat islamique. Selon un commandant de la Nouvelle Armée syrienne (NAS), unité composée d’anciens soldats des forces spéciales syriennes, les SAS/SBS britanniques ont traversé la Jordanie pour aider à la défense du village d’Al-Tanf après une série d’attaques de l’EI. Un mois auparavant, 11 combattants de la NAS avaient été tués dans un attentat-suicide devant Al-Tanf. Bien que le roi Abdallah de Jordanie révèle que deux bataillons de forces spéciales de l’opposition syrienne opérant contre l’EI avaient été formés en Jordanie3, avec l’aide sous-entendue des SAS anglais, au même moment le secrétaire de la Défense Michael Fallon déclare au Parlement que le gouvernement ne prévoit aucune sorte de rôle de combat pour des troupes ou la Royal Air Force en Libye, et cela deux jours seulement avant que d’autres informations transpirent sur le rôle des SAS/SBS de Sa Majesté aux côtés de groupes armés de Misrata. Pourtant, en 2015, le Premier ministre David Cameron avait annoncé un plan pour accroître la capacité des forces spéciales, avec un investissement de 2 milliards de livres, visant spécifiquement à lutter contre l’EI.
Dans la presse anglaise, Sara Elizabeth Williams explique, dans le Times, que les forces spéciales britanniques sont basées aux côtés des forces spéciales américaines sur une base militaire jordanienne où les trois frontières jordaniennes, irakiennes et syriennes se rejoignent. Une zone idéale pour opérer soit en Syrie, soit en Irak. Et quand cette journaliste a demandé à l’un des commandants de la NAS comment il savait que les soldats des forces spéciales à la base al-Tanf étaient britanniques, celui-ci a répondu : « Parce qu’ils nous ont formés, et parce qu’ils se sont présentés comme des forces spéciales britanniques. »
Eliminer les dirigeants de l’EI
Outre les Britanniques, les services secrets d’Amman travaillent aux côtés des opérationnels de la CIA tant pour former les combattants de l’opposition à Assad dans les différents camps d’entraînement, que pour assurer leur approvisionnement en armes et en munitions, et même jusqu’en en Syrie, la frontière se révélant très « poreuse », selon les spécialistes.
Les équipes SAS/SBS franchissent la frontière irakienne, comme elles l’avaient fait durant la première guerre du Golfe en 1990, travaillant d’ailleurs quasiment dans les mêmes zones4 pour effectuer des reconnaissances profondes, des désignations d’objectifs et, comme le déclareront certains spécialistes, l’élimination de Britanniques membres de l’EI, désignés comme tortionnaires, présents dans la région de Mossoul. Action qui, selon un ancien officier de l’armée britannique, est aussi employée par les SAS/SBS en Libye pour tuer les chefs de l’Etat islamique afin de tenter de stopper sa présence dans ce pays d’Afrique du Nord.
Toujours plus au nord en Irak, on note la présence quasi officielle d’équipes de FS britanniques auprès des forces kurdes. Ces équipes travaillent sur la ligne de front, pour guider les avions de combat de la RAF et de la coalition, pour aider durant l’offensive de Mossoul, mais aussi, et surtout, pour rassembler tous les renseignements possibles sur l’EI, en particulier sur les combattants de nationalité britannique.
Actuellement, la Grande-Bretagne aurait plus de 200 soldats des forces spéciales en Irak dans le cadre de l’opération Shader. Celle-ci a débuté en août 2014, et les premières équipes SAS/SBS auraient participé à l’évacuation des réfugiés yézidis dans les montagnes du Sinjar. Plus tard, durant la bataille de Kobané, des SAS et des FS américaines étaient présents (et le sont encore) aux côtés des Kurdes des Unités de protection du peuple (en kurde : Yekîneyên Parastina Gel, abrégé YPG), qui forment la branche armée du Parti de l’union démocratique (PYD) contre l’EI.
Ainsi, depuis plus de deux ans, le Royaume-Uni mène des opérations militaires clandestines au Yémen, en Syrie, en Irak et en Libye. Chaque fois, elle envoie ses unités spéciales. Mais silence !
Comme toujours, le ministère de la Défense a déclaré dans un communiqué laconique : « Nous ne commentons pas les opérations des forces spéciales. »
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