Bénéficiant d’un encadrement de qualité et d’un solide esprit de corps, les Bérets noirs de la 155e brigade de la garde, qui est rattachée à la flotte du Pacifique, est une des grandes unités emblématiques de la Morskaya pekhota, l’infanterie de marine – ou navale – russe. Cela, en raison notamment de la dimension géostratégique que revêtent les îles Kouriles, qui verrouillent l’accès de la mer d’Okhotsk pour la flotte russe du Pacifique.
Depuis le 1er novembre 2010, date de la visite du président Dmitri Medvedev sur une des îles de l’archipel des Kouriles – une première, en fait, pour un chef d’Etat russe depuis 1945 –, les choses ont beaucoup évolué dans cette partie du monde, située entre l’extrême nord du Japon et la pointe sud du Kamtchatka. La péninsule du Kamtchatka accueille à Vilioutchinsk, sur la baie d’Avatcha, une importante base de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), la seule de la flotte du Pacifique. A son extrémité, de petites îles volcaniques forment une ligne discontinue de 1 200 km, qui sépare ainsi la mer d’Okhotsk de l’océan Pacifique. Cet archipel fait partie, aujourd’hui, de la Fédération de Russie, plus précisément de l’oblast (région) de Sakhaline. Mais le Japon réclame toujours les îles Kouriles les plus méridionales (Kounachir, Itouroup, Chikotan et l’archipel des îles Hobomai), soit un tiers de la surface totale.
Depuis 2010, les îles Kouriles ont reçu plusieurs visites de ministres russes, notamment du ministre de la Défense Anatoli Serdioukov, venu inspecter, le 4 février 2011, la 18e division d’artillerie. Dmitri Medveded se rendra de nouveau, par deux fois, aux îles Kouriles, d’abord le 3 juillet 2012, puis le 22 août 2015, pour inspecter l’aéroport d’Itouroup, ouvert en septembre 2014. Entre-temps, le 18 avril 2014, le ministère de la Défense a annoncé l’adoption d’un programme détaillé de construction d’infrastructures militaires sur les îles Kouriles du Sud, notamment à Kounachir. Plus récemment, dans le cadre de la réorganisation des forces armées russes, Moscou a laissé clairement entendre qu’il envisageait de créer de toutes pièces une base aéronavale à Matoua. Une mission de 200 techniciens de la Société géographique russe et des forces armées a été dépêchée sur cette île inhabitée, au printemps 2016, afin d’étudier la faisabilité du projet. Cet été, un autre groupe a été envoyé sur place pour compléter cette expédition.
Si ce projet va de l’avant, il est fort probable que des Bérets noirs de la flotte du Pacifique seront déployés à Matoua, comme, du reste, par rotation, dans d’autres îles des Kouriles. D’ici là, Moscou, qui entend manifester sa détermination dans cette région, a décidé, en juillet dernier, de déployer les premiers systèmes mobiles de défense côtière K-300P ou Bastion-P (SSC-5 Stooge), armés de missiles P-800 Oniks/Yakhont (SS-N‑26 Strobile) d’une portée de 300 km (ils ont été déployés plus précisément dans la partie orientale du kraï du Primorié).
Brigade d’élite
Rattachée à la flotte du Pacifique, commandée actuellement par l’amiral Sergei Iosifovich Avakyants, qui a son quartier général à Vladivostok et relève du District militaire oriental – ou Commandement stratégique interarmées (CSI) Est –, la 155e brigade d’infanterie de marine – ou navale – de la garde (Otdelnaya brigada morskoy pekhoty) est une des quatre brigades organiques de la marine russe (voir encadré page 55). Depuis la fin de la guerre froide, ses missions prioritaires sont demeurées inchangées : saisie de points clés, détroits et îles stratégiques, préalablement à l’arrivée des troupes terrestres ; assauts amphibies, y compris à l’arrière du dispositif ennemi ; protection des navires et des infrastructures navales. Aujourd’hui, si les grands assauts amphibies semblent révolus du fait du contexte géopolitique actuel – et des capacités amphibies réduites de la marine russe par rapport à son aînée soviétique après le retrait massif des LPD classe Ivan Rogov notamment –, de nouvelles missions lui ont été assignées depuis les années 1990, tel le déploiement de forces légères d’intervention ou de lutte anti-insurrectionnelle (sécurité intérieure), comme cela a été le cas lors des deux guerres en Tchétchénie.
En fait, mis à part les opérations de sécurité intérieure, les missions confiées à la 155e brigade, comme du reste à toutes les unités de la Morskaya pekhota, sont comparables à celles dévolues à l’US Marine Corps (USMC), dont la capacité de projection et la puissance de feu demeurent aujourd’hui inégalées. Ainsi, pour les opérations amphibies, les Bérets noirs de la flotte du Pacifique ne peuvent compter que sur quelques unités d’assaut amphibie, de type LST/LCT classe Ropucha de 4 100 tonnes à pleine charge (Project 775 dans la nomenclature militaire russe), dont trois unités sont en service dans la flotte du Pacifique, en l’occurrence les Osliabia, Admiral Nevelsky et Prevest, ainsi qu’un bâtiment de la classe Alligator de 4 600 tonnes à pleine charge (Project 1171), le Nikolay Vilkov. Comme chalands de débarquement, les Bérets noirs de la 155e brigade disposent de trois unités de la classe Ondatra (Project 1176 Akula), d’une unité classe Serna (Project 11770) et d’une toute nouvelle unité classe Dyugon (Project 21820). L’ensemble de ces moyens est mis en œuvre par la 100e brigade d’assaut amphibie (brigada desantnykh korabley), basée à Fokino (kraï du Primorié).
Qui plus est, la 155e brigade, et là aussi comme toutes les autres grandes unités de la Morskaya pekhota, ne dispose pas de moyens d’appui aérien propres, contrairement à l’USMC. Les Bérets noirs de la flotte du Pacifique ne peuvent compter pour l’appui aérien rapproché que sur l’aviation navale, voire sur les forces aériennes stationnant dans la région. A ce propos, rappelons que pour l’exercice Vostok 2014, qui restera dans l’histoire pour avoir été l’un des plus importants, voire le plus important en termes de moyens humains et matériels mis en œuvre depuis la fin de la guerre froide1, la 155e brigade, qui était tout naturellement de la partie, a bénéficié notamment de l’appui d’avions d’attaque Su-25 « Frogfoot ». Ces appareils ont effectué, dans la foulée, des atterrissages, opérations de ravitaillement au sol (carburant et munitions) et décollages à partir de portions de l’autoroute Vladivostok-Khabarovsk, tenues par les Bérets noirs de la flotte du Pacifique.
Cependant, la 155e brigade et les autres grandes unités de la Morskaya pekhota n’ont jamais été engagées dans une grande opération amphibie. Du reste, leurs unités organiques sont utilisées normalement au niveau compagnie ou bataillon, rarement au niveau régiment et pratiquement jamais au niveau brigade. Pourtant, rappelons que la doctrine militaire russe pour les opérations amphibies de grande ampleur prévoit toujours une première vague de deux assauts simultanés, un amphibie l’autre héliporté, suivie, une fois l’objectif saisi, d’une seconde vague avec des moyens plus conséquents, venant renforcer la tête de pont. Au besoin, une vague supplémentaire peut être constituée avec les moyens mis en œuvre par les forces terrestres.
Réorganisation et actuel ordre de bataille
Toujours animée d’un solide esprit de corps et bénéficiant d’un encadrement de qualité, la 155e brigade possède également une certaine expérience du combat, acquise notamment en Tchétchénie. Une expérience particulièrement importante pour les Bérets noirs, tant dans l’adoption de nouvelles tactiques que dans la réorganisation des unités.
A l’époque de la guerre froide, les Bérets noirs de la flotte du Pacifique comptaient, au total, un effectif de près de 5 000 hommes, regroupés au sein de la 55e division d’infanterie de marine (55-ya diviziya morskoy pekhoty). En 2009, cette grande unité a été entièrement réorganisée, donnant naissance à la 155e brigade, qui aligne, aujourd’hui, 1 500 hommes. De son côté, la 40e brigade d’infanterie motorisée (40‑ya motostrelkovaya brigada), qui était rattachée précédemment à la 22e division motorisée, avant de devenir en 2009 la 40e brigade d’infanterie de marine « Krasnodar-Harbin » (40-ya otdelnaya Krasnodarsko-Kharbinskaya brigada morskoy pekhoty), a été finalement redimensionnée et transformée en 3e régiment d’infanterie de marine. A noter que tous les moyens de la dissoute 55e division furent récupérés par la Morskaya pekhota entre 2007 et 2009.
Même si l’ordre de bataille actuel de la 155e brigade varie suivant l’origine des sources, cette grande unité de la flotte du Pacifique, qui a également son quartier général à Vladivostok, devrait compter le 59e bataillon d’infanterie de marine (59-y otdelny batalon morskoy pekhoty), le 263e bataillon de reconnaissance de la garde (263-y otdelny gvardeysky razvedyvatelny batalon), le 84e bataillon blindé (84-y otdelny tankovy batalon), une batterie d’artillerie et le 1484e bataillon des transmissions (1484-y otdelny batalon svyazi). A l’échelon supérieur, la flotte du Pacifique devrait disposer, en outre, du 390e régiment d’infanterie de marine (390-y polk morskoy pekhoty), articulé sur trois bataillons (certaines sources font état également du 165e régiment d’infanterie de marine), du 921e régiment d’artillerie (921-y artilleriysky polk) et du 923e régiment de missiles de défense antiaérienne (923-y zenitno-raketnyy polk), ces derniers provenant de la 55e division dissoute.
A noter, par ailleurs, que le 47e bataillon d’assaut cosaques de l’Oussouri (77-y otdelny Ussuriyskiy kazachiy desantno-shturmovoy batalon) aurait été mis à la disposition de la flotte du Pacifique.
Outre ces unités, la flotte du Pacifique dispose du 3e régiment d’infanterie de marine mentionné plus haut. Basée à Petropavlovsk-Kamtchatski, capitale administrative du kraï du Kamtchatka, cette unité, issue de la 40e brigade d’infanterie de marine, devrait s’articuler sur deux bataillons d’infanterie, dont un d’assaut aéroporté, un bataillon du génie et une batterie d’artillerie. Avant de conclure, précisons que la flotte du Pacifique dispose également de plusieurs unités de défense côtière, dites troupes de missiles et d’artillerie côtière (Beregovye Raketno-Artilleriiskie Voiska), corps rattaché aux forces navales, dont l’existence aurait été révélée en 1990 lors des négociations sur le traité CFE de limitation des armements conventionnels en Europe.
Les brigades d’infanterie navale
Les trois autres brigades de la Morskaya pekhota possèdent une structure sensiblement différente de celle de la 155e brigade de la garde.
Ainsi, la 336e brigade de la garde, rattachée à la flotte de la Baltique (Baltiyskiy flot), qui a son quartier général à Baltiisk (oblast de Kaliningrad), aligne deux bataillons d’infanterie, les 877e et 884e, basés respectivement à Sovetsk et Baltiisk ; le 879e bataillon d’assaut aéroporté (otdelny desantno-shturmovoy batalon), basé également à Baltiisk ; le 1612e bataillon d’artillerie de Mechnikovo ; le 1618e bataillon de défense antiaérienne de Pereslavskoye. A ceux-ci viennent s’ajouter plusieurs unités organiques au niveau bataillon ou compagnie (logistique, antichar, reconnaissance, snipers, transmissions, service de santé, etc.).
De son côté, la 61e brigade de la garde, qui est rattachée à la puissante flotte du Nord (Severnyy flot) et dont le quartier général est situé à Sputnik (oblast de Mourmansk), comprend trois bataillons d’infanterie, les 874e, 373e et 318e (unités-cadres pour les deux derniers, semble-t-il) ; le 876e bataillon d’assaut aéroporté ; le 886e bataillon de reconnaissance sur MT-LB et BRT-80 ; le 125e bataillon de chars sur T-72/T-80 ; deux bataillons d’artillerie, les 1611e et 1591e, respectivement sur 2S19 Mtsa et/ou 2S3 Akatsiya et 2S23 Nona-SVK ; le 1617e bataillon de défense antiaérienne sur ZSU-23-4 Shilka et 9K22 Tunguska ; le 180e bataillon du génie. Ceux-ci sont complétés par plusieurs unités organiques de support tactique et logistique, comme dans le cas de la 336e brigade, plus trois détachements indépendants d’action sous-marine et de sabotage, les 160e, 269e et 313e otdelny otryad bor’by s podvodnymi diversionnymi silami i sredstvami, qui sont basés respectivement à Vidiaïevo, Gadjievo et Sputnik.
Enfin, la 810e brigade de la garde, qui est rattachée à la flotte de la mer Noire (Chernomorskiy flot) et dont le quartier général est situé à Sébastopol, en Crimée, aligne trois bataillons d’infanterie, les 557e et 501e (selon des sources occidentales ces deux bataillons, basés respectivement à Sébastopol et Féodosie, seraient numérotés 880 et 882), plus le 382e de Temriouk (kraï de Krasnodar) ; le 542e bataillon d’assaut aéroporté (ou 881e selon les mêmes sources), avec un détachement à Sébastopol et un à Simferopol ; le 546e bataillon d’artillerie et le 547e bataillon de missiles de défense antiaérienne (toujours selon des sources occidentales, ces deux derniers sont indiqués respectivement comme 1613e batterie d’artillerie et 1619e batterie de défense antiaérienne) ; le 538e bataillon du matériel. A l’instar des autres brigades, la 810e dispose de plusieurs unités organiques de support tactique et logistique, dont une compagnie de reconnaissance aéroportée.
Quant à la flottille de la Caspienne (Kaspiyskaya voyennaya flotiliya), après la dissolution de la 77e brigade de la garde en décembre 2008, elle aurait conservé, d’après plusieurs sources, ses deux bataillons d’infanterie navale, le 414e de Kaspiisk (district fédéral du Caucase de Nord – Daghestan) et le 727e d’Astrakhan (oblast d’Astrakan).
A chaque flotte sa brigade
Toutes les unités opérationnelles de la Morskaya pekhota, qui sont rattachées à une des brigades d’infanterie de marine, sont subordonnées, pour l’emploi, au commandement d’une des flottes de la marine russe. Ainsi, la 155e brigade de la garde est subordonnée à celle du Pacifique, la 336e de la garde à celle de la Baltique, la 61e de la garde à celle du Nord et la 810e de la garde à celle de la mer Noire. La flottille de la Caspienne disposait également d’une brigade, alignant seulement deux bataillons d’infanterie navale indépendants, les 414e et 727e, auxquels avaient été rattachées des unités de la 77e division d’infanterie motorisée afin d’en compléter les effectifs (c’est pour cette raison qu’elle est désignée, parfois erronément, 77e brigade d’infanterie de marine de la garde).
L’unité de manœuvre de la brigade est le régiment, constitué normalement de deux, voire trois bataillons d’infanterie, d’un bataillon ou d’un escadron de chars, d’une compagnie de reconnaissance, d’une compagnie antichar et d’une ou deux batteries d’artillerie, dont une généralement de LRM type BM-21 de 122 mm, plus une, dans certains cas, de canons automouvants de 152 mm, et une batterie de défense antiaérienne, équipée de systèmes 9K31 Strela-1 (SA-9 Gaskin en code OTAN) et ZSU-23-4, auxquels viennent s’ajouter des unités de support au niveau compagnie ou section (génie, transmissions, défense NBC, etc.). Le bataillon d’infanterie de marine est organisé sur le modèle des bataillons de fusiliers motorisés, soit sur trois compagnies de combat, alignant trois sections chacune, une section d’appui, dotée de mortiers de 82 ou 120 mm, une section antichar (missiles AT-3/4/5/6/…) et une section de transmissions, pour un total d’un peu plus de 400 hommes. Si, généralement, un seul des bataillons de chaque régiment est formé de parachutistes (parfois une ou deux compagnies seulement), tous les autres sont cependant en mesure de mener des assauts héliportés.
D’autres éléments peuvent venir se greffer sur la structure organique du régiment, comme des automouvants antiaériens ZSU‑23-4 Shilka de 23 mm et d’artillerie 2S3 Akatsiya de 152 mm, ou bien encore des systèmes antiaériens 9K35 Strela-10 (SA‑13 Gopher), dont plusieurs exemplaires sont encore en service. En revanche, il semblerait que des matériels plus modernes aient été introduits récemment, comme des automoteurs antiaériens 9K22 Tunguska (SA‑19 Grison) et d’artillerie 2S19 Msta de 152 mm, notamment au sein de la brigade rattachée à la flotte du Nord. De même, à l’instar du char amphibie PT-76 – longtemps considéré comme le cheval de bataille des Bérets noirs – qui a été démis au profit des T-72 et T-80 (certaines unités auraient même perçu à partir de 2011-2012 des T-90), les BTR-60PB ont été remplacés par des MT-LB et des BTR-70/80 (la 336e brigade notamment a reçu une trentaine de BTR-82/82A début mai 2013). L’entrée en service de nouveaux BMP-2/3 s’est accélérée au cours de ces dernières années (plus d’une centaine d’exemplaires seraient aujourd’hui en service). Prochainement, un nouveau char léger devrait également faire son apparition au sein des unités de la Morskaya pekhota : le 2C25 Sprout (pieuvre), blindé chenillé amphibie sur châssis BMD-3, armé d’un puissant canon de 125 mm 2A75.
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