Les services secrets iraniens, qu’ils dépendent du Ministère du renseignement ou des pasdarans ne semblent pas être aux meilleurs de leur forme à l’heure actuelle car, soit ils ont été pris en flagrant délit d’actions illégales, soit ils sont pointé du doigt dans des opérations qui relèvent du « terrorisme d’État ». En gros, ils se livrent à de grosses bavures. Il est légitime de se demander s’ils auraient fait de même du temps de l’omniprésence du général Qassem Soleimani qui semblait faire la distinction entre le « faisable » et l’ »infaisable ». En effet, depuis sa mort le 3 janvier 2020, ce sont les « durs » du régime qui ont pris les commandes et, avec eux, il y a une sorte d’irrationnel difficile à saisir.
Il semble donc que les nouveaux dirigeants sont pris d’une frénésie exterminatrice, renouant avec la tradition iranienne de liquidation de tout ce qui peut constituer une opposition. Ils s’en prennent d’abord aux chiites qui ne partagent pas leurs points de vue les considérant comme des traîtres à la cause sacrée de la Révolution islamique. S’il est difficile de savoir ce qui se passe en Iran même, les meurtres à l’étranger ne peuvent être dissimulés de la même manière.

Ainsi, le 6 juillet 2020, Hicham al-Hachemi (photo de gauche), un opposant chiite irakien à l’influence iranienne dans son pays a été assassiné à la sortie de son domicile. Toutefois, il était aussi un spécialiste de l’islam radical et, à ce titre, constituait une cible potentielle pour les salafistes-jihadistes. Mais aucune revendication séreuse d’Al-Qaida ou de Daech n’est venue confirmer l’hypothèse d’un meurtre commis par ces nébuleuses salafistes-jihadistes.

De plus, Hachemi ne serait que le plus représentatif de dizaines de responsables chiites irakiens assassinés ces derniers mois. Ils étaient considérés comme des « déviants » vis-à-vis de la doctrine des Hachd al-Chaabi (les Unités de mobilisation populaire) qui prônent un alignement complet de l’Irak sur Téhéran.

L’intellectuel laïc (mais à l’origine de confession chiite) et militant politique libanais Lokman Slim (photo de droite) connu pour son hostilité farouche au mouvement chiite Hezbollah et pour son travail sur la mémoire de la guerre civile libanaise, a été retrouvé assassiné par balle le 4 février dans la région d’Al-Adoussiyeh dans le sud du Liban où le Hezbollah est implanté. Il dénonçait systématiquement le monopole politique des deux poids lourds chiites, les partis Hezbollah et Amal.

Cela étant, du temps de Soleimani, de sombres affaires ont également eu lieu. Le 4 février 2021, le diplomate iranien Assadollah Assadi a été condamné à vingt ans de prison par le tribunal d’Anvers en Belgique pour avoir projeté un attentat à la bombe qui devait viser le 30 juin 2018 à Villepinte près de Paris le rassemblement annuel du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI). En poste à l’époque à l’ambassade d’Iran à Vienne, Assadi a été arrêté le 1er juillet en Allemagne où les enquêteurs estiment qu’il ne bénéficie plus de son immunité diplomatique. Ces derniers sont en possession d’images le montrant le 28 juin à Luxembourg en train de remettre un paquet contenant la bombe à un couple belgo-iranien. La femme du couple, Nasimeh Naami a été condamnée à dix-huit ans de prison et son compagnon Amir Saadouni à quinze ans. L’ex-dissident Mehrdad Arefani, présenté comme un agent du renseignement iranien agissant depuis la Belgique, écope de d’une peine de dix-sept ans. Cette affaire qui a été offerte sur un plateau par le Mossad à ses homologues européens continue tout de même de présenter d’importantes zones d’ombre qui n’ont pas été élucidées (voir mon article « Espionnage et terrorisme, le jeu trouble de Téhéran » du 8 décembre 2020 ).

Entre 1981 et 1984, la Savama a eu pour mission d’éliminer tout ce qui était considéré comme une opposition directe ou potentielle au régime des mollahs. Une fois que la situation a été jugée suffisamment stabilisée, le ministère du Renseignement et de la Sécurité nationale, Vevak (ou MOIS) a été créé. Aujourd’hui, il porte le nom de ministère du Renseignement de la République islamique d’Iran (Vaja). Bien que ce ministère soit placé sous l’autorité du Conseil suprême de la Sécurité nationale (CSSN), il répond de ses actes directement auprès du Guide suprême de la Révolution, l’Ayatollah Ali Khamenei. Le ministère du Renseignement n’est pas doté d’un Service Action. Ce type de mission est confié aux pasdarans, en particulier à la force Al-Qods. Pour couper tout lien qui conduirait à Téhéran, les Iraniens sous-traitent souvent ces actions de terrorisme d’État auprès du Hezbollah libanais, de milices irakiennes ou même à de simples marginaux en manque d’argent. Les actions les plus célèbres sont les attentats contre des détachements militaires français et américains au Liban en 1983, qui ont causé la mort de 299 personnes ; une série d’attentats à la bombe à Paris en 1986 (12 morts), les attaques contre l’ambassade d’Israël et la communauté juive à Buenos Aires en 1992 et 1994 (125 tués) et vraisemblablement l’attentat des tours de Khobar en 1996 en Arabie saoudite (19 Américains tués et 372 personnes blessées). La dernière opération date de 2012 quand le Hezbollah s’est attaqué à un bus de touristes israéliens à Burgas, en Bulgarie (7 morts dont 5 Israéliens) pour venger les assassinats de scientifiques iraniens attribués au Mossad.

En dehors de la mystérieuse affaire de Villepinte de 2018 (voir plus avant), Téhéran semblait avoir renoncé à la technique du terrorisme d’État. Les radicaux arrivés aux manettes suite à la mort de Soleimani ne paraissent plus avoir de réticences. L’avenir dira ce qu’il en est et les plus grandes inquiétudes pèsent d’abord sur les personnalités chiites qui ne veulent pas s’aligner sur l’Iran ; même le Grand Ayatollah Ali al-Sistani, la plus haute autorité religieuse en Irak n’est pas à l’abri. Après les chiites « réticents », ce sont les opposants iraniens de toutes natures qui seront dans le collimateur. Enfin, tous les « gêneurs »… C’est à se demander – sans se livrer au moindre complotisme – si tout ce processus n’a pas été provoqué sciemment pour rejeter l’Iran dans l’obscurantisme.

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Texte

Alain Rodier

Photos

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