Un coup d’État est survenu au Myanmar (ex-Birmanie) le 1er février 2021 mené par le chef des armées, le général Min Aung Hlaing qui, pour mémoire, est accusé par l’ONU de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre contre les Rohingya.
Les militaires auraient voulu préserver la « stabilité » de l’État car ils craignent un éclatement du pays en régions autonomes voire indépendantes, ce qui est loin d’être une erreur. Ils accusent aussi la commission électorale de ne pas avoir corrigé d' »énormes irrégularités » qui, selon eux, auraient eu lieu lors des élections de 2020 qui avaient vu la victoire écrasante de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) qui avait même augmenté son score de 2015.
L’armée a aussi indiqué mettre en place une « véritable démocratie multipartite » et affirme que le pouvoir sera transféré après « la tenue d’élections générales libres et équitables » après une période d’état d’urgence d’un an. Le président Win Myint et la conseillère spéciale de l’État (de-facto premier ministre) Daw Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix, ont été arrêtés et seraient en résidence surveillée. La police qui a perquisitionné le domicile d’Aung San Suu Kyi y a découvert des walkie-talkies qui auraient été importés et utilisés « sans autorisation » ce qui a aggravé son cas.
Il est difficile de ne pas rapprocher ce coup d’État de la visite à Naypyidaw (la capitale politique du pays depuis 2005) d’une importante délégation russe les 21 et 22 janvier 2021. Cette délégation a ensuite poursuivi son voyage vers le Laos puis le Vietnam ce qui démontre qu’elle avait été organisée de longue date.
Elle était emmenée par le ministre de la défense, le général d’armée Sergueï Koujouguétovitch Choïgou souvent présenté comme le « dauphin » du président Vladimir Poutine. Officiellement, cette délégation qui s’est déplacée à bord de deux avions et qui a été hébergée à l’hôtel Kempinski, était venue signer un contrat d’achat de systèmes anti-aériens Pansir-S1, de drones de surveillance Orlan-10E et d’équipements radar mais aussi de négocier des visites régulières de navires de guerre de part et d’autre. Il est vrai que le Myanmar est un bon client de l’industrie d’armement russe ayant acquis dans le passé une trentaine de Mig-29, 12 Yak-130, 10 hélicoptères Mi-24/35, 8 systèmes anti-aériens Pechora-2M. Un contrat d’achat pour six avions Su-30 est aussi sur la table mais tout cela reste relativement faible.
Plus globalement, Moscou est en concurrence avec Pékin sur la zone (qui globalement a l’avantage), la Chine soutenant aussi discrètement l’United Wa State Army (UWSA) de l’État Wa non reconnu par la communauté internationale. Cela lui permet de peser sur la politique du Myanmar. La Chine et la Russie (mais aussi l’Inde, le Japon et Israël) accueillent dans leurs écoles militaires des stagiaires birmans.
Suite au coup d’État, la Chine a appelé les parties prenantes au conflit à « régler leurs différends dans le cadre de la constitution et des lois afin de maintenir la stabilité politique et sociale ». Pour elle, il n’est pas question d’un coup d’État mais « d’un important remaniement ministériel ».
De son côté, le Kremlin a indiqué que la Russie suivait attentivement l’évolution de la situation tout en ajoutant qu’il « était trop tôt pour en donner une évaluation ».
Il est difficile de croire que les services de renseignements russes qui ont obligatoirement participé à la préparation de cette visite officielle de haut niveau, n’aient pas eu vent que quelque chose se préparait. Pour rappel le 26 janvier 2021, le général Min Aung Hlaing (qui avait reçu et décoré quatre jours avant le général Choïgou) a de nouveau contesté les résultats du scrutin (de 2020) et a appelé à une vérification des listes électorales, sans quoi « l’armée interviendrait pour résoudre la crise politique ». Même à l’ONU, les diplomates n’étaient pas surpris l’un d’entre eux déclarant : « On sentait l’armée birmane agitée, c’était dans l’air depuis plusieurs semaines ».
Le Kremlin a démontré depuis des années qu’il savait gérer les situations évolutives locales dans son intérêt avec un rapport coût/efficacité redoutable et surtout qu’il avait généralement un « coup d’avance » sans soute donné par le recueil et l’exploitation de bons renseignements. Ce qui se passe au Myanmar n’est vraisemblablement pas de son fait (mais les anti-Poutine verront bien la « main » de Moscou dans ce coup d’État) mais il ne fait aucun doute que le Kremlin va mener une stratégie pour en tirer avantage. D’abord, contrecarrer les intérêts occidentaux – surtout américains – sur zone, ce qui est devenu une constante (ces derniers vont se contenter de « condamner » – sans parler des « sanctions » qui sont inéluctables – et par conséquent, ils vont précipiter les généraux birmans dans les bras des Russes et des Chinois). Moscou y voit sans doute l’opportunité d’obtenir des facilités logistiques navales et aériennes au Myanmar qui lui permettront de couvrir le Golfe du Bengale ce qui renforcera ses ambitions mondiales. Enfin, cela permettra de concurrencer l’influence de la Chine dans la région.
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