Face aux nouvelles menaces terroristes, notamment de type « Bataclan flottant », le contre-terrorisme maritime évolue. Les procédures s’adaptent, tout comme les matériels, pour apporter une réponse plus réactive.

Les procédures du contre-terrorisme maritime (CTM) remontent aux années 80 avec le plan Piratmer, dont les protocoles ont évolué ces derniers mois. La perspective d’un « Bataclan flottant » a remis à plat un plan qui prévoyait une intervention de deux forces en bonne et due forme : commandos marine et GIGN, chacun apportant ses atouts, le préfet maritime se chargeant d’être le bras armé du Premier ministre. Le tout prenant évidemment du temps, le temps que tout le monde soit sur place : les délais pouvaient se compter en heures, au large des côtes françaises, en jours ailleurs.

C’est la chronologie qui était souvent drillée lors de l’exercice annuel Estérel (en Méditerranée, comme cette année) et l’exercice Armor (en Manche-Atlantique), précédés à chaque fois d’une séance technique, baptisée Sparfell ou Tartane. 

Face à la menace d’un « Bataclan flottant », le GIGN a adapté ses procédures pour pouvoir décoller avec les Puma du groupe interarmées d’hélicoptères (GIH) directement depuis sa base de Satory, réaliser un briefing minimal en vol, et prendre d’assaut un ferry attaqué dans la Manche. Sur ce cas de figure précis, il faut néanmoins tomber un bon jour : un CTM nécessite un bon nombre d’hélicoptères pour le transport des commandos, mais aussi celui des tireurs d’élite qui peuvent opérer à la portière d’un hélicoptère de manœuvre (HM) ou d’un hélicoptère léger de la marine ou de la gendarmerie. Or, les hélicoptères de la gendarmerie n’ont pas été invités sur les derniers exercices, ce qui pose un évident problème d’information tactique et d’interopérabilité.

Le CEMA expliquait, le 4 octobre dernier, une partie des ressorts du système CTM, qu’il connaît bien de par ses anciennes fonctions au cabinet militaire du Premier ministre (en charge du plan Piratmer), lors de son audition à l’Assemblée nationale : « Des exercices avaient lieu avec l’amiral Ausseur, préfet maritime de Cherbourg. On ne peut multiplier les moyens affectés à Cherbourg ; cependant, en cas d’attaque terroriste en mer, on recourrait aux moyens nationaux en alerte. Si une intervention était nécessaire, les primo-intervenants seraient les moyens de la marine positionnés à Cherbourg, auxquels s’ajouteraient, très rapidement, les gendarmes du GIGN avec les moyens considérables du groupe interarmées d’hélicoptères. Nous nous entraînons à coordonner l’ensemble de ces moyens au cours d’exercices, et je peux vous assurer que, dès que l’hélicoptère à disposition du préfet maritime décolle, les moyens nationaux sont mis en alerte. La menace est prise très au sérieux par les armées et le gouvernement. »

Répondant à une question du député de Corse-du-Sud Jean-Jacques Ferrara sur de possibles attaques contre des navires à passagers, le chef d’état-major de la marine a dit être « très attentifs aux risques ». « Nous avons adopté plusieurs mesures de prévention, a-t-il expliqué. D’abord, en multipliant les capacités de renseignement, et en entretenant des liens étroits avec les acteurs du monde maritime ; cela se traduit par des pelotons de sécurité maritime et portuaire [PSMP], armés par les gendarmes maritimes, qui dépendent de la marine. Il y en a à Marseille, à Brest, au Havre, et bientôt à Dunkerque-Calais et Saint-Nazaire. Ensuite, nous embarquons régulièrement des équipes de protection sur les navires à passagers [EPNAP]. Nous avons aussi une capacité d’intervention immédiate, avec plusieurs équipes très réactives de fusiliers marins postées dans les grands ports français. Enfin, il existe un niveau d’intervention supplémentaire, avec les commandos marine et le GIGN. »

Plus de ressources en ISR

Les trois préfets maritimes (Cherbourg, Brest, Toulon, pour la métropole) n’ont qu’un HM (de type Caïman Marine) par façade. Cet appareil est réservé avant tout pour le sauvetage en mer en Manche et en Atlantique, même s’il peut servir aussi au CTM. Donc, si une crise CTM se déclenchait pendant un sauvetage (ou un jour de non-disponibilité), cet hélicoptère ne serait pas immédiatement disponible.

La disponibilité de ces appareils n’est pas excellente : sur les 19 Caïman Marine livrés, seuls cinq étaient en état de fonctionnement, selon le CEMM, qui l’a expliqué aux députés lors de son audition à l’Assemblée nationale. Dans ce volume de cinq appareils, certains peuvent être aussi embarqués pour des missions à la mer… Cet état de carence est évidemment préjudiciable, puisqu’il obligerait à mobiliser des appareils qui ne sont pas positionnés sur les côtes ; ce qui, évidemment, nuit à la réactivité. 

Même si, par ailleurs, le Caïman Marine apporte une capacité d’endurance (cinq heures, 14 commandos), un support d’armement (SAA) à la portière pouvant porter une MAG 58 ou un fusil 12,7 mm. Il détient aussi une boule optronique Euroflir pouvant générer un flux ISR (intelligence, surveillance, reconnaissance) exploitable par le TACCO (coordonnateur tactique), en place avant gauche. Il peut aussi larguer des plongeurs, aérolarguer des chuteurs opérationnels (pour une approche discrète). Le Caïman est déployable sur le porte-avions, les frégates multimissions (FREMM), les futures frégates de taille intermédiaire (FTI) et, évidemment, sur le bâtiment de projection et de commandement (BPC). Mais pas sur les frégates légères furtives (FLF) ni sur les frégates de surveillance (FS).

Ce Caïman Marine pourra également déployer, demain, un drone aérolargable développé par Airborne Concept et capable de durer plusieurs heures en vol : il éclairera aussi bien un poste de commandement en mer (sur une frégate, par exemple, ou sur une Ecume) qu’un autre aéronef en vol. La dronerie aéromaritime s’avère encore balbutiante : les commandos marine sont finalement ceux qui ont le plus avancé, avec l’expérimentation de drones Puma (étanches) permettant de brèves missions de reconnaissance. D’où leur intérêt pour le drone d’Airborne Concept, bien plus endurant, même s’il nécessite un aéronef pour le larguer. Le drone Serval expérimenté depuis le début de la décennie aurait aussi son intérêt dans une mission de CTM, mais il reste encore trop rare pour qu’on puisse à tout prix miser sur lui. Il a été qualifié sur le patrouilleur L’Adroit et le BPC Dixmude. D’autres navires devraient suivre. A terme, la marine entend investir dans un drone encore plus lourd, le système de drone aéromaritime (SDAM), mais il n’est pas attendu, sauf accélération budgétaire, avant le milieu de la décennie suivante.

Ce surcroît d’ISR est visible sur d’autres appareils que le Caïman, notamment le Panther, qui niche sur les FLF, sur les FS et sur des frégates de défense aérienne (FDA). Ce petit vecteur compact peut aussi déposer quatre opérateurs sur un navire détourné et/ou assurer l’appui-feu par tireur d’élite. La flottille 36F a enrichi, ces dernières années, son partenariat opérationnel avec le Commando Hubert : on peut désormais affirmer qu’elle est une brique à part entière des CTM, alors qu’elle ne faisait pas partie, primitivement, des moyens référencés comme tels.  

C’est aussi le cas du Falcon 50 de surveillance maritime, qui présente l’avantage d’être très rapide, grâce à une formule triréacteur. En contrepartie, il ne vole que cinq à six heures ; là où l’ATL-2 vole quasiment le triple, mais à une vitesse plus lente. Le Falcon 50 doit recevoir rapidement un cryptage de ses communications afin d’être précisément mieux intégré dans les opérations antinarco (plusieurs par an) et CTM. Il faudra bien plus de temps et d’argent, par contre, pour lui changer sa boule optronique : le modèle actuel est celui des anciens patrouilleurs Alizé des porte-avions Foch et Clemenceau. Il faudrait donc une boule bien plus récente et multispectrale, qui permette à la fois la détection, l’identification et la transmission d’images en temps réel vers la surface, voire vers un PC situé sur la terre ferme.

L’évolution de l’ATL-2, elle, est financée, dans le cadre du rétrofit à mi-vie. 15 exemplaires vont être rénovés et recevront une boule MX-20HD, dont trois exemplaires ont déjà été équipés, en urgence opérations. Le premier avion rénové à mi-vie doit être livré en 2019. La MX-20 permet de rester à distance des défenses adverses (et de leurs oreilles). C’est d’autant plus appréciable que l’ATL-2 ne possède pas de système d’autoprotection, et il embarque 14 marins. Rappelons que l’ATL-2 a été qualifié pour larguer des commandos par le toboggan arrière, même s’il ne s’agit pas du cas de figure prioritaire. Il pourrait, lui aussi, larguer un drone d’Airborne Concept, mais il n’est pas encore qualifié pour cela. 

Dans l’apport de capacités, l’Atlas sera un démultiplicateur important : il emporte plus de charge, plus loin, plus vite, et est ravitaillable. N’importe quel point du monde pourra donc faire l’objet d’un tarpon (aérolargage en mer) depuis la métropole, mais aussi d’une projection stratégique de matériel. La soute est assez vaste pour embarquer à la fois une Ecume, des colis, et leurs commandos marine, éventuellement des gendarmes du GIGN ou encore des nageurs du service action (CPIOM). Demain, des capacités ISR pourront être ajoutées à l’Atlas, permettant ainsi une base particulièrement intéressante dans le cas d’une opération de ce type. La capacité de projection concerne aussi le nouveau propulseur sous-marin de troisième génération (PSM3G) développé par ECA. Même s’il est aussi, rappelons-le, le partenaire naturel des sous-marins nucléaires de la marine, pour les opérations des commandos et du SA. Ces quelques mots résumant un programme ultra-secret, dont on sait seulement qu’il s’est rapproché, vraisemblablement, de son entrée en service opérationnel. Evidemment, tous les scénarios de CTM ne se prêtent pas à l’usage d’un ou de plusieurs PSM3G, de par la réactivité qu’ils peuvent demander.

L’embarcation de surface (Futura, Etraco, Ecume) reste plus légitime dans le CTM de 2018. La marine dispose de la génération Etraco (une dizaine d’embarcations), qu’elle a conservée, et de la génération Ecume (15). Ce parc historiquement haut permet un maillage des mers plus systématique. Toute FREMM partant en opérations aligne désormais son Ecume, parfois deux. Pas de quoi jubiler, pour autant, si l’on considère les quatre embarcations de 11 m qu’on peut trouver sur les frégates F-125 allemandes.

Ce prépositionnement en mer permet néanmoins de mieux voir venir, et donc de rencontrer moins de difficultés de batellerie d’assaut, carence qui avait caractérisé les trois opérations de 2007-2008 contre des pirates (Ponant, Carré d’As IV et Tanit). Des FREMM étaient déployées ces derniers mois en Asie (jusqu’en mer de Chine…) et dans la zone moyen-orientale.

La plus-value est particulièrement marquée avec l’Ecume, sur laquelle la marine est dithyrambique. Ce n’est pourtant que le début de sa vie opérationnelle : les équipements emportés, les tactiques et le confort pour les raids de longue durée peuvent encore être améliorés.

Ce maillage amélioré est aussi à relier avec un meilleur maillage apporté par de nouvelles capacités, pas forcément référencées dans le spectre du CTM, mais qui apporteront de facto une meilleure réactivité. On a cité plus haut l’existence des EPNAP, qui ne sont pas forcément systématiques. Mais la possibilité d’assurer une protection armée privée à bord des navires apporte néanmoins un complément appréciable. Sur les côtes, les pelotons de sûreté maritime portuaire de la gendarmerie maritime voient aussi leur nombre augmenter (les PSMP de Dunkerque et de Saint-Nazaire sont créés). Là aussi, c’est une capacité de réactivité supplémentaire dans la connaissance de la crise, même si la vocation n’est pas dans l’assaut (réservé aux forces spécialisées). L’apparition d’une embarcation de l’action de l’Etat en mer impacte également l’activité des terroristes (comme ce fut le cas avec les primo-intervenants, sur toutes les opérations depuis janvier 2015).

Avec une menace plus diffuse, et la nécessité de réagir vite, l’idée d’un deuxième plot d’hélicoptères actif dans le Sud s’impose, sans pour autant que l’on parle (déjà) d’un « GIH Sud ». En tout état de cause, le net renforcement des capacités de l’escadron d’hélicoptères 1/44 « Solenzara », sis sur la base éponyme de Corse, permet d’ouvrir des perspectives nouvelles. Au plus bas, l’unité n’avait plus que deux Super Puma dédiés uniquement à la SAR (et, parfois, au largage des chuteurs du 2e REP). Le transfert des Puma de Cazaux augmente singulièrement la flotte à une dizaine d’appareils, même si tous ne sont pas sur place ou disponibles. Les équipages sont formés au treuillage, à l’appontage, et fréquentent régulièrement les personnels du Commando Hubert. Il faut pouvoir néanmoins référencer la capacité, et inscrire le CTM dans son spectre opérationnel.

De la même manière, le GIGN d’Orange prend un marqueur CTM, afin de pouvoir offrir une première capacité de réaction, avant l’arrivée du GIGN. Par contre, la question de sa projection reste entière, les plus proches HM étant au Luc (Var) pour des missions de formation, donc sans notion d’astreinte dans leur activité.

Ces deux derniers exemples le montrent, de nouvelles capacités peuvent être ajoutées, pour autant que les volumes d’entraînement le permettent, et que l’accès à la doctrine et aux entraînements majeurs puisse évoluer.