Or ces pays barrent la route terrestre qui permettrait de relier l’enclave à la Biélorussie, pays ami – pour ne pas dire aux ordres -.
La Finlande, la Suède et la Norvège ressentent plutôt une menace maritime, leurs côtes baignant les eaux également jugées stratégiques par Moscou qui est obligé des les emprunter pour accéder à l’Atlantique où domine son meilleurs ennemi, la Grande Bretagne ainsi que les tout puissants États-Unis mais aussi pour la lutte d’influence à bas bruit qui se joue désormais pour le contrôle de l’Océan Arctique.
Les pays occidentaux accusent la Russie de conduire actuellement une guerre hybride en Europe de manière à tester leurs défenses et accroître son influence sur les populations.
En dehors des provocations aériennes et maritimes qui consistent à frôler – voir à pénétrer brièvement – les espaces aériens et maritimes de l’OTAN, jeu qui a été une spécialité de la Guerre froide -, ce serait aussi le retour du « bon vieux temps » de l’espionnage agressif. Après une pause de quelques années qui a suivi l’effondrement de l’URSS en raison de la désorganisation des services et surtout du fait que ces derniers ne recevaient plus de directives claires des autorités aux manettes, les services secrets russes sont repartis à l’offensive.
Le KGB ayant été remplacé par le SVR (-Service des renseignements extérieurs de la fédération de Russie-, héritier de la prestigieuse « première direction ») et le FSB (-Service fédéral de sécurité de la fédération de Russie-, héritier de la deuxième direction qui a porté brièvement le nom de FSK -service fédéral de contre-espionnage de la fédération de Russie- de 1993 à 1995) et le GRU -direction générale des renseignements des forces armées- étant officiellement appelé depuis 2010 le « GU » -Direction principale du renseignement- bien que le terme GRU reste toujours très populaire.
En dehors de la mission d’espionnage traditionnelle qui consiste à recueillir des renseignements et à se livrer à des opérations d’influence en recrutant des sources humaines(1), les services russes seraient passés à des phases plus actives à l’aide de moyens techniques dont des drones.
Ils se livreraient également à des actions de sabotage pour le moment uniquement de type « arma » (contre des matériels.) même si quelques opérations « homo » ont bien eu lieu mais contre ceux qui sont considérés comme des « traîtres » par le Kremlin : déserteurs(2), opposants (surtout si se sont des anciens des services) passés à l’ennemi.
a/s les drones
Si les drones ont révolutionné la guerre moderne, leur utilisation ne se limite pas aux champs de bataille. Loin de l’Ukraine en Europe occidentale, des drones non armés ont été repérés survolant des aéroports, des bases militaires et des centrales électriques.
La plus grande violation d’espace aérien suivie de la récupération de drones abattus a eu lieu en Pologne le 9 septembre. Une vingtaine de drones russes après avoir survolé l’Ukraine ont pénétré en Pologne, entraînant la fermeture de quatre aéroports. Des avions de l’OTAN ont décollé et plusieurs drones ont été abattus.
Cet incident a servi d’avertissement à l’Europe, même si une version circule disant que cette violation de l’espace aérien de l’OTAN était involontaire car les drones auraient été détournés de leur trajectoire par des contre-mesures ukrainiennes…
Mais le plus inquiétant reste l’apparition de drones mystérieux en pleine nuit aux abords des aéroports européens, comme ce fut le en Belgique, au Danemark, en Norvège, en Suède, en Allemagne et en Lituanie.
Seuls les drones russes récupérés en Pologne ont permis de désigner les responsables. Les drones ayant survolé l’Europe occidentale n’ont pas été identifiés formellement.
Les soupçons se portent sur la Russie, les services de renseignement occidentaux estimant que Moscou utilise des intermédiaires pour lancer localement ces drones à courte portée afin de semer le chaos et la perturbation.
Ils ont aussi pu être activés depuis de navires de commerce de passage au large des côtes européennes. Mais pour l’instant, aucune preuve formelle n’a pu être apportée par les services de sécurité européens.
On se rappelle l’affaire du pétrolier Pushpa (également connu sous le nom de Boracay, Kiwala, Varuna, P. Fos, etc. ) suspecté d’appartenir à la flotte fantôme russe contrôlé fin septembre au large de Saint Nazaire soupçonné d’avoir lancé des drones au dessus du Danemark.
Selon le président Emmanuel Macron : « les équipes d’intervention ont agi en temps et en heure […] Il y a eu des fautes très importantes qui ont été commises par cet équipage qui justifient d’ailleurs que la procédure soit judiciarisée aujourd’hui. » Le capitaine chinois et son second ont effectivement été inculpés de « refus d’obtempérer » mais le navire a pu repartir sous leur commandement le 2 octobre.
À noter que les Nations Unies n’avaient imposé aucune sanction sur ce navire et les conditions de son abordage dans les eaux internationales posent un problème juridique.
Le cas de la Belgique
La Belgique est une cible de choix, puisqu’elle abrite le siège de l’OTAN, l’Union européenne et surtout Euroclear : la chambre de compensation financière qui gère des milliers de milliards de dollars de transactions internationales dont certains voudraient débloquer environ 200 milliards d’euros d’avoirs russes gelés pour aider l’Ukraine.
Dès lors, est-ce une coïncidence si des drones mystérieux sont apparus aux alentours des aéroports de Bruxelles et de Liège, ainsi que d’une base militaire ?
Le Royaume-Uni a dépêché une équipe de spécialistes de la lutte anti-drones du Royal Air Force Regiment, déployée depuis la base de Leeming dans le Yorkshire du Nord, afin de renforcer les défenses belges contre ces drones. Pour l’instant, elle n’a rien trouvé.
Néanmoins, ces drones mystérieux sont inquiétants particulièrement en raison du danger qu’ils représentent pour les aéronefs au décollage et à l’atterrissage.
Quant aux renseignements qu’ils peuvent recueillir, il y a un doute pour les spécialistes qui savent que les Russes possèdent déjà toutes les informations photographiques – régulièrement mises à jour – sur les installations fixes via leurs satellites espions.
Mais il est tout de même question de la mise en place d’un « mur anti-drones » pour protéger certaines régions d’Europe.
Mais est-ce vraiment nécessaire ? Et surtout, est-ce réaliste ?
Mur anti-drones : une décision européenne ?
Depuis le début de la guerre en Ukraine et avec la création d’un poste de commissaire à la Défense et l’Espace confié à l’ancien Premier ministre lituanien Andrius Kubilius, la Commission européenne s’arroge progressivement des compétences dans le domaine militaire que, théoriquement, elle ne devrait pas exercer.
C’est la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen qui entend protéger le flanc oriental de l’UE contre la menace des drones russes avec un « mur antidrones. » Elle a déclaré le 30 septembre : « L’Europe doit apporter une réponse forte et unie aux incursions de drones russes à nos frontières. C’est pourquoi nous proposerons des mesures immédiates pour créer un mur antidrones dans le cadre de l’opération ‘Eastern Flank Watch’. Nous devons agir rapidement, en collaboration avec l’Ukraine et en étroite coordination avec l’Otan.»
M. Kubilius a toutefois précisé qu’une telle initiative pourrait coûter plusieurs milliards d’euros.
Certains États membres soutiennent ce projet, d’autres se montrent réticents.
C’est notamment le cas de la France où, ce 18 novembre, le numéro deux de l’armée de l’Air & de l’Espace, le général Dominique Tardif, n’a pas caché son scepticisme dans en entretien accordé au Figaro : « le mur de drones, cela me fait un peu penser à la ligne Maginot. Ce n’est pas avec un mur de drones que l’on va arrêter la volonté russe d’envahir un pays. Ça ne sera pas dissuasif. »
De son côté, lors de sa première audition au Sénat le 15 octobre en tant que chef d’état-major des armées [CEMA], le général Fabien Mandon a critiqué ce projet de « mur de drones » mais aussi les velléités de la Commission européenne dans le domaine militaire : « sur la Commission européenne, je sortirais de mon cadre si je devais faire des commentaires. Cependant, en tant que militaire qui doit construire avec le ministre de la défense une loi de programmation qui garantit un modèle d’armée complet et cohérent, je ne peux pas souscrire à l’idée d’un ‘mur de drones’ […] Ce n’est d’ailleurs pas son rôle [à la Commission] que de définir le besoin militaire […] L’armée protège une population et lorsqu’un soldat tombe au combat, sa famille se tourne vers les chefs militaires, vers le ministre de la Défense et le président de la République. Pour ces familles, ce n’est pas la Commission européenne qui donne l’ordre d’aller à la guerre, ce n’est pas elle qui a la responsabilité de protéger les citoyens […] Le besoin militaire aujourd’hui est de reconstituer nos stocks et non de dépenser tout notre argent dans un mur de drones qui serait saturé en un jour […] ce dossier me paraît symptomatique d’une tendance à faire primer la communication sur l’action. »
Techniquement, ce mur est décrit comme un système de défense intégré, coordonné et multicouche, s’étendant initialement des pays baltes à la mer Noire.
Il comprendrait une combinaison de radars, de capteurs, de systèmes de brouillage et d’armements pour détecter les drones entrants, puis les suivre et les détruire.
La haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Kaja Kallas qui est connue pour son ressentiment personnel vis-à-vis de l’URSS -donc aujourd’hui de la Russie- a déclaré que le nouveau système anti-drones devrait être pleinement opérationnel d’ici fin 2027…
Mais tous les spécialistes savent qu’un mur anti-drones n’est pas une solution miracle en matière de défense aérienne car il n’est pas réaliste tout en étant excessivement cher. L’expérience israélienne lors de la guerre de douze jours de juin 2025 avec l’Iran a montré les limites de la défense antidrones.
« Viser l'archer, pas la flèche. »
Quelques responsables politiques et journalistiques européens se rendant compte que cette protection est illusoire posent la question : plutôt que de construire un mur de drones pour les stopper, ne vaudrait-il pas mieux cibler les bases de lancement elles-mêmes – comme le dit le proverbe, il faut viser l’archer, pas la flèche -.
Mais cette suggestion d’une frappe de l’Otan sur des cibles russes est extrêmement risquée et susceptible de dégénérer.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, le défi pour l’Alliance, et pour les États-Unis, a été d’aider l’Ukraine à se défendre sans pour autant provoquer un conflit Otan-Russie.
Construire un système de défense contre les drones en Europe est une chose. Attaquer les bases de lancement de ces drones en est une autre.
Les autres menaces
Il s’agit notamment de cyberattaques, de campagnes de désinformation, d’engins incendiaires insérés dans des dépôts de fret, de surveillance et parfois de sabotages divers dont ceux de câbles sous-marins et de voies ferrées.
Le Premier ministre polonais Donald Tusk a déclaré mi-novembre que les services de renseignement russes avaient orchestré une explosion sur une ligne ferroviaire utilisée pour transporter de l’aide à l’Ukraine, perpétrée par deux ressortissants ukrainiens travaillant comme agents pour leur compte. « Les auteurs identifiés sont deux citoyens ukrainiens qui coopèrent depuis longtemps avec les services de renseignement russes. Leur identité est connue. » Ils auraient fui en Biélorussie.
Dans les faits, une explosion a endommagé les voies près du village de Mika, à environ 100 kilomètres au sud-est de Varsovie.
« Tout indique » que l’incident ferroviaire du 15 novembre a été « initié par les services secrets russes », a déclaré Jacek Dobrzyński, porte-parole du ministre polonais des Services secrets, dans des commentaires rapportés par l’agence de presse polonaise (PAP).
Un autre tronçon plus au sud a également été endommagé dans la région de Puławy, à 50 kilomètres de Lublin, dans ce que les autorités qualifient également de sabotage probable des câbles électriques.
Les procureurs polonais enquêtent sur des « actes de sabotage à caractère terroriste » visant les infrastructures ferroviaires et commis au profit de services de renseignement étrangers.
« Ces actions ont entraîné un danger immédiat de catastrophe ferroviaire, menaçant la vie et la santé de nombreuses personnes et causant des dommages matériels à grande échelle », ont déclaré les procureurs dans un communiqué.
Les dégâts causés aux deux endroits ont depuis été réparés.
L’Ukraine attaque en territoire russe
L’Ukraine mène des opérations spéciales – homo (3 & 4) et arma -, des attaques de drones et des bombardements dans la profondeur du territoire russe. Mais le droit est du côté de Kiev car l’Ukraine est en guerre ouverte contre Moscou qui l’a attaqué.
L’Ukraine a intensifié ses attaques de drones à longue portée contre les aéroports russes et les infrastructures critiques, comme les usines pétrochimiques, ramenant ainsi la guerre directement aux mains des citoyens russes.
Il y a aussi les drones navals capables de se déplacer en surface utilisés avec des conséquences dévastatrices par l’Ukraine contre la flotte russe de la mer Noire(5).
Le fait que Moscou n’est pas parvenu à construire une « mur anti-drones » après presque quatre ans de guerre est un cas concret qui devrait servir d’exemple pour l’Occident.
(1) Voir : « Affaire d’espionnage en Grande-Bretagne » du 27 septembre 2023.
(2) Voir : « Défecteur russe assassiné en Espagne » du 20 février 2024.
(3) Voir : « Opération homo ukrainienne à Moscou » du 6 février 2025.
(4) Voir : « Opération ‘homo’ ukrainienne à Moscou ? » du 18 décembre 2024.
(5) Voir : « Les drones navals ukrainiens » du 20 février 2023.