Lors du dernier congrès du PKK qui s’est tenu du 5 au 7 mai en Irak du Nord, les dirigeants ont décidé la fin de la lutte armée et l’autodissolution du mouvement. L’agence pro-Kurdes ANF a déclaré : « le 12e Congrès du PKK a décidé de dissoudre la structure organisationnelle du PKK et de mettre fin à la méthode de lutte armée. »

Son chef historique, Abdullah Öcalan âgé de 76 ans qui purge une peine de prison à perpétuité sur l’île d’İmralı dans la mer de Marmara, au sud-ouest d’Istanbul depuis 1999, l’avait exhorté à désarmer, marquant ainsi un tournant significatif dans le conflit qui l’oppose depuis des décennies à la Turquie.

Le 27 février, il avait écrit une lettre affirmant qu’« il n’y a pas d’alternative à la démocratie pour la recherche et la réalisation d’un système politique. Le consensus démocratique est la voie fondamentale.»
Le 1er mars, le PKK avait annoncé un cessez-le-feu immédiat avec les forces turques puis organisé son congrès pour répondre à son appel. Après avoir débattu de l’avenir de l’organisation, il a annoncé sa dissolution.
Des décisions d’une « importance historique » ont aussi été prises lors de ce congrès et les détails seront rendus publics « très prochainement », a déclaré l’organisation dans un communiqué diffusé par les médias le 9 mai.
Le président Recep Tayyip Erdoğan avait lui-même annoncé il y a quelques jours : « vous pouvez recevoir et recevrez de bonnes nouvelles à tout moment. »
Il avait ajouté que les services de renseignement et de sécurité (MIT) géraient le processus avec la plus grande attention.

Ce congrès marque le dernier épisode d’une série d’initiatives politiques depuis la multiplication des rencontres avec Öcalan à partir de la fin 2024.
Le député du Parti pour l’égalité des peuples et la démocratie (DEM), Ömer Öcalan, a été autorisé à rendre visite à son oncle sur l’île-prison d’İmralı, au large d’Istanbul, en octobre dernier – la première visite de ce type depuis près de quatre ans.

Cette visite faisait suite à un appel de Devlet Bahçeli, secrétaire général du Parti d’action nationaliste (MHP) classé à l’extrême-droite mais allié au Parti de la justice et du développement (AKP) du président Erdoğan, demandant à Öcalan de s’adresser au Parlement, sous réserve de la dissolution du PKK.
Des visites ultérieures de hauts responsables du DEM, Sırrı Süreyya Önder et Pervin Buldan, ont eu lieu depuis lors à la prison.

Un cessez-le-feu du PKK a été annoncé le 1er mars, conformément à l’appel d’Öcalan.
Les efforts pour faire avancer le processus ont inclus une réunion clé entre la délégation d’İmralı et Erdoğan le 10 avril.

Cependant, l’élan avait été retardé après le décès d’Önder le 3 mai à la suite d’une crise cardiaque.

Pour mémoire, le PKK est une formation kurde interdite qui mène une insurrection contre la Turquie depuis 40 ans dont le membre fondateur historique Abdullah Öcalan purge une peine de prison à vie sur l’île-prison d’Imrali.

Le PKK est reconnu comme « terroriste » par la Turquie mais aussi par l’Union européenne, le Royaume-Uni et par les États-Unis. L’insurrection du PKK visait initialement à créer un territoire indépendant pour les Kurdes dans le sud-est anatolien (qui représentent environ 20 % de la population turque.)
Mais le PKK s’est progressivement éloigné de ses objectifs séparatistes réclamant une plus grande autonomie et des droits accrus pour les Kurdes.
Plus de 40.000 personnes ont été tuées depuis 1984.
C’est la troisième fois, après deux vaines tentatives au début des années 2000, puis en 2013, que le chef historique appelait à cesser le feu.
Son aura perdure en Turquie et en Europe où des réfugiés kurdes brandissent régulièrement des drapeaux et pancartes affichant son visage.

On ignore ce qu’Öcalan et ses partisans obtiendront en échange de la dissolution, mais des rumeurs circulent quant à une possible libération conditionnelle.
Toutefois, il est peu probable qu’à 76 ans, il recouvre une entière liberté: Öcalan lui-même aurait déclaré ne pas vouloir quitter Imrali craignant pour sa sécurité, les plus jusqu’au-boutiste du PKK ou des activistes proches de l’extrême-droite risquent de vouloir s’en prendre à sa personne.

Les responsables politiques kurdes espèrent un nouveau dialogue politique et davantage de droits pour les Kurdes. Mais une transformation démocratique majeure de la Turquie serait nécessaire pour garantir la pleine participation des Kurdes à la vie politique et sociale.

Les deux parties avaient des raisons de conclure un accord maintenant.

Le PKK a été durement touché par l’armée turque ces dernières années, et les changements régionaux – notamment en Syrie – ont rendu plus difficile pour lui et ses affiliés d’opérer au Proche-Orient(1).

De plus, le PKK a confirmé la mort de deux fondateurs du PKK, Rıza Altun et Ali Haydar Kaytan, lors d’opérations militaires turques menées en Irak du Nord.
Les responsables sont globalement épuisés par des années de lutte sans résultats tangibles.

De son côté, le président Erdoğan a besoin du soutien des partis politiques pro-kurdes pour avoir ses chances lors de la prochaine élection présidentielle turque prévue en 2028.
L’AFP rapporte la déclaration de Gönül Tol, directrice du programme Turquie au Middle East Institute : « le principal moteur (de ce processus) a toujours été la consolidation du pouvoir d’Erdoğan. »
Selon elle, le chef de l’État pourra ainsi se présenter renforcé aux élections de 2028 face à une opposition divisée.
Elle souligne que la population kurde ne s’est pas jointe en mars aux manifestations de l’opposition pour dénoncer l’arrestation du maire d’Istanbul Ekrem Imamoğlu – le principal opposant politique d’Erdoğan pour le moment -, pas plus qu’au rassemblement de son parti, le CHP, le 10 mai à Van (est) pourtant une localité à forte population kurde.

Elle conclut : « le manque de participation kurde à ce rassemblement montre que la stratégie d’Erdoğan qui consiste à diviser pour mieux régner fonctionne. »

Pour Erdoğan, il faut aussi du calme à l’intérieur pour atteindre ses buts en Syrie et en Irak…

Nechirvan Barzani, président de la région autonome du Kurdistan irakien, a salué cette décision estimant qu’elle renforcerait la stabilité dans la région. Pour lui : « elle démontre une maturité politique et ouvre la voie à un dialogue favorisant la coexistence et la stabilité en Turquie et dans la région […] (elle) jette les bases d’une paix durable qui mettrait fin à des décennies de violence, de douleur et de souffrance. »

Mais malgré sa notoriété, il n’est pas certain qu’Öcalan soit suivi par tous les Kurdes.
Des « déçus de la Révolution » peuvent vouloir poursuivre la lutte mais ils risquent de manquer de moyens ayant vraisemblablement moins de soutiens financiers dans l’émigration kurde.

Il n’en reste pas moins qu’il existe en Turquie depuis des décennies une multitude de groupuscules d’extrême-gauche radicale et violente (Parti-Front de libération du peuple – DHKP-C -, Parti communiste maoïste – MKP -, etc.) qui ont toujours été liés à la cause kurde. Il n’est pas dit qu’ils ne profiteront pas de la place laissée et des renforts apportés par d’ex-membres du PKK déçus pour se régénérer.

1. Voir : « Le problème kurde dans la nouvelle Syrie » du 14 février 2025.