Des raids simultanés ont été menés en Turquie, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Espagne et en Belgique, a déclaré le ministre lors d’une conférence de presse donnée à Ankara.
Ces opérations ont été menées après huit mois d’échanges de renseignements avec plusieurs pays, dont les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l’Australie, la Grèce, la Serbie, l’Azerbaïdjan, le Kosovo, la Bulgarie, la Macédoine du Nord, le Brésil et l’Iran.
Le ministre a précisé que les suspects tentaient de produire et de faire circuler de la cocaïne depuis des pays d’Amérique du Sud vers la Turquie et l’Europe par voie maritime et terrestre, ainsi que de l’héroïne via l’Iran et l’Afghanistan.
Ils prévoyaient également un trafic de skunk (variété du cannabis) via les Balkans et la distribution d’ecstasy via des pays européens.
Dix des personnes interpellées figuraient déjà sur des « notices rouges » d’Interpol.
Près de 21,2 tonnes de drogue ont également été saisies lors de cette opération.

Baptisée « Opération Orkinos-Bulut », (opération « nuage de thon »), elle a également ciblé l’infrastructure financière du réseau.
Cette opération de longue haleine a été menée par la Direction générale de la sécurité, du Département de lutte contre les crimes liés aux stupéfiants, du Département Interpol-Europol, du Département de police d’Istanbul, du Conseil d’enquête sur les crimes financiers (MASAK), de l’Organisation européenne de police Europol et des organisations policières des Pays-Bas, d’Allemagne, d’Espagne et de Belgique.
Conjointement le MASAK a saisi environ 13 milliards de livres turques (environ 400 millions de dollars), dont 681 biens immobiliers, 127 véhicules, des participations dans 113 entreprises et plusieurs comptes bancaires liés à différents suspects.

Yerlikaya a souligné le rôle crucial de la coopération internationale, notamment avec Europol, la qualifiant de « jalon important dans la collaboration mondiale des services de répression.»
Selon le ministre, des policiers turcs ont été déployés au siège d’Europol pour travailler directement avec les analystes européens pendant l’enquête.
Au final, le parquet a déféré 97 des suspects au juge pénal de paix de service pour obtenir leur incarcération et 18 pour un placement sous contrôle judiciaire. Ce dernier a fait incarcérer 89 suspects et 26 ont été placés sous contrôle judiciaire.
Cela fait relativement peu pour 239 « hauts responsables » interpellés mais la police turque a pour habitude de ratisser large. La justice ensuite ne fait qu’appliquer le Droit et relâche les suspects qui lui sont présentés quand les charges qui sont avancées ne sont pas suffisantes.
Toutefois, il y a une exception : quand les arrestations sont « politiques » ; par exemple l’appartenance même que supposée à la confrérie Gülen ou au PKK entraîne directement derrière les barreaux.
Historique
La Turquie abrite historiquement d’importantes organisations criminelles qui contrôlent la « route des Balkans » qui alimente en drogues l’Europe occidentale(1). Mais elle a évolué avec le temps s’adaptant à la nouvelle époque.
Les « Babas » (« Papa » en turc mais équivalent à « parrain ») turcs (2) ont progressivement laissé la place à la « mafia de nouvelle génération », des organisations criminelles qui utilisent les opportunités de l’ère numérique pour se développer. Ces groupes opèrent dans des domaines de la cybercriminalité, du trafic de drogue, du blanchiment d’argent, des paris illégaux, du racket et des fraudes diverses et variées.
Contrairement aux structures mafieuses classiques, cette nouvelle criminalité utilise efficacement la technologie et les médias sociaux.
Les différentes organisations qui disposent de solides réseaux de communications entre elles, forment des alliances mais se livrent également à des guerres internes pour gagner des « territoires. »

Ces dernières années, des affrontements ont opposé les gangs Anucurlar et Gündoğmuşlar – des meurtres ayant lieu en Europe dont en France où Halil Ay – le chef de l’Anucular – a été retrouvé criblé de balles) avant de s’étendre aux organisations criminelles Barış Boyun, Daltonlar, Ferhat Yeşilkaya et Redkitler. En particulier, l’alliance entre Barış Boyun et Daltonlar (les Daltons) fut l’une des plus importantes de ces dernières années.
Les assassinats sous-traités constituent une des nouvelles activités de cette criminalité. Ainsi, Jovan Vukotic, le chef de la « mafia Skaljari », l’un des plus grands groupes mafieux de Serbie, a été tué en 2022 par des hommes du gang de Barış Boyun à Istanbul.

Ce dernier né à Malatya en 1984 est l’un des chefs de mafia les plus connu de sa génération. Il a débuté dans le quartier de Beyoğlu puis a étendu ses activités à l’international.
Barış Boyun est actuellement emprisonné en Italie et la Turquie demande son extradition.
Le chef du groupe Daltonlar auquel il a appartenu, Beratcan Gökdemir, est actuellement emprisonné en Géorgie.

Le Gang Redkit est dirigé par Ferhat Mardin (Ferhat Delen) qui s’est opposé à Barış Boyun et au gang Daltonlar. Il est impliqué dans le meurtre de six personnes liées à ces organisations en 2023 en Grèce.

Gang de Baygaralar dirigé par Ramazan Baygara, originaire d’Adana qui compte plus de 270 membres, est impliqué dans des activités illégales dans une vaste zone qui compte Urfa, Kırklareli, Batman, Istanbul, Izmir et Ankara.

Le meurtre en 2022 de Cenk Çelik, qui insultait régulièrement sur le net le célèbre mafieux Sedat Peker – un temps proche des services secrets turcs(3) – aurait été commis par ce gang. Il a conclu une alliance avec Barış Boyun et le gang Daltonlar.

Le gang Anucurlar, dirigé par İnan Anucur, né en 1988, et le gang Gündoğmuşlar, dirigé par Uğurcan Gündoğmuş, né en 1995, sont deux organisations criminelles actives dans le quartier de Kağıthane à Istanbul.
Même s’il est peu connu du grand public, le monde criminel turc est particulièrement important. Il sait s’adapter aux nouvelles situations ayant noué depuis des années des relations productives avec ses homologues européens. Il bénéficie de la position géostratégique de la Turquie qui en fait un carrefour de tous les trafics. Il bénéficie aussi de la corruption qui, en fin de compte, reste l’atout principal de toutes les organisations criminelles.
1. Voir : « La Turquie, carrefour historique des drogues » du 6 avril 2023.
2. Voir : « Turquie. Le retour des anciens caïds aux affaires » du 2 novembre 2020.
3. Voir : « Turquie : raid du MIT en Syrie » du 16 juin 2021.