La justice américaine accuse des membres des forces de sécurités des Bahamas de collaboration avec des trafiquants de cocaïne ce qui démontre l’importance permanente de la nation insulaire en tant que plaque tournante du trafic de drogue. Ce phénomène est loin d’être nouveau mais semble être en augmentation sur zone.

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Les procureurs fédéraux américains de New-York ont allégué dans un acte d’accusation daté du 27 novembre que deux membres de haut rang de la Royal Bahamas Police Force (RBPF) et un responsable militaire ont participé à des trafics de cocaïne avec une dizaine d’autres citoyens bahamiens et colombiens.

Selon cet acte d’accusation, des fonctionnaires corrompus du gouvernement et des forces de sécurité des Bahamas ont facilité depuis mai 2021 l’arrivée de cargaisons de cocaïne dans les aéroports des nombreuses îles du pays.

Source : DEA

Deux officiers supérieurs des forces de l’ordre ont été arrêtés en Floride pour trafic de drogue et port d’armes prohibé : les officiers Elvis Curtis, responsable de la maintenance des appareils de l’aviation de la police et Darren Roker, un agent des forces de défense.

En plus de ces personnes, l’acte d’accusation identifie plusieurs suspects : le sergent Symonette, Riccardo Davis, William Siméon, Theodore Adderley, Joshua Scavella, Lorielmo Steele-Pomare, Luis Fernando Orozco-Toro, Davon Rolle, Darren Ferguson, Domonick Delancy et Donald Ferguson.

La drogue  était acheminée par des vols charters en provenance de Colombie, du Venezuela et d’autres pays des Caraïbes.

Les accusés auraient autorisé ensuite des bateaux rapides, des yachts et des cargos transportant  de la cocaïne à quitter les Bahamas pour rejoindre la Floride.

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En échange, les fonctionnaires ont reçu ou prévu de recevoir des pots-de-vin de la part des trafiquants allant de 10.000 à 2 millions de dollars.

La justice américaine précise : « l’augmentation du flux de cocaïne à travers les Bahamas est le résultat direct de la corruption alimentée par la drogue qui a infecté plusieurs institutions bahamiennes […] Ces fonctionnaires corrompus de la RBPF et du gouvernement bahamien ont aidé au trafic de drogue vers les États-Unis … ».

L’acte d’accusation souligne que la clé pour permettre le trafic de drogue était les relations étroites entretenues entre les Bahamas et les entités sécuritaires américaines comme la Drug Enforcement Administration (DEA) et l’US Coast Guard.

L’un des accusés a partagé des informations sensibles transmises par les gardes côtes US avec des trafiquants pour les aider à éviter d’être détectés.

Il est aussi reproché aux responsables de la RBPF d’avoir fourni à la DEA de fausses informations et de leur avoir refusé l’accès aux pièces à conviction saisies.

L’acte d’accusation a suscité de nombreuses controverses à Nassau, la capitale des Bahamas.

Le 4 décembre, le Premier ministre Philip Davis a annoncé la démission du commissaire de la RBPF, Clayton Fernander, bien qu’il ne soit pas directement impliqué dans l’affaire.

Source : RBFP

L’un des accusés de la RBPF aurait demandé un pot-de-vin de deux millions de dollars au nom d’un « politicien bahamien de haut rang » (que l’acte d’accusation ne désigne pas) en échange de « la facilitation et de la protection des expéditions de cocaïne ».

Cette affaire impliquant des responsables de la sécurité des Bahamas est la dernière d’une série d’enquêtes diligentées par les États-Unis pour réprimer la corruption liée au trafic de drogues qui infecte de nombreux pays alliés Elle démontre comment des autorités locales étrangères peuvent tirer parti de la coopération américaine pour faciliter ce juteux marché.

À titre d’exemple, l’ancien président du Honduras Juan Orlando Hernández, condamné en juin à plus de 45 ans de prison aux États-Unis pour trafic de drogue, a été un allié fidèle des États-Unis pendant ses deux mandats présidentiels, travaillant en étroite collaboration avec les USA pour extrader les trafiquants de drogue tout en conservant une image de président « dur envers la criminalité ».

Source : Police Honduras

Dans un autre cas emblématique d’un allié des États-Unis qui a mal tourné, Genaro García Luna, ancien chef de la sécurité publique au Mexique, a été condamné en octobre à 38 ans de prison aux USA pour avoir accepté des millions de dollars de pots-de-vin de la part d’organisations de trafic de drogue, tout en recevant des prix nationaux et internationaux pour ses réalisations en matière de sécurité et en travaillant en étroite collaboration avec plusieurs agences gouvernementales américaines.

Source : Police Mexique

Comme le montre l’acte d’accusation, les autorités bahamiennes corrompues ont également profité des efforts antidrogue des États-Unis, cette fois dans le cadre de l’« opération Bahamas, Turks and Caicos » (OPBAT). Créée en 1982, l’OPBAT est une opération coordonnée de lutte contre la contrebande conçue pour fermer ce qui était devenu une « autoroute de la cocaïne » reliant l’Amérique du Sud aux États-Unis en passant par les Bahamas dans les années 1970 et 1980.

En raison de l’intensification des mesures coercitives, les saisies de cocaïne dans les Caraïbes sont passées de 75 % de toutes les saisies entre l’Amérique du Sud vers les États-Unis au milieu des années 1980 à seulement 10 % en 2010, selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), les trafiquants changeant d’itinéraires. Mais aujourd’hui, la route des Caraïbes montre des signes de résurgence, avec des saisies en hausse dans des endroits comme la République dominicaine et les Caraïbes françaises.

Il ne faut pas se faire d’illusions, ces cas latino-américains montrent une fois de plus la puissance du monde criminel due en grande partie à son pouvoir de corruption grâce à ses profits financiers gigantesques.

Parfois, l’implication des autorités remonte au plus haut niveau : l’exemple du régime de Bachar el-Assad tombé le 8 décembre qui était l’un des plus importants fournisseurs de captagon en est une parfaite illustration.

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Texte

Alain Rodier