Au fur et à mesure que la situation évolue, il est de plus en plus clair que la Turquie joue un rôle majeur dans les derniers évènements de Syrie.
L’obsession de tous les dirigeants politiques turcs depuis des dizaines d’années est le danger représenté par les séparatistes kurdes du PKK qui ont leurs bases arrière en Irak (affaire plus ou moins sous contrôle avec l’aide du gouvernement régional du Kurdistan) mais aussi en Syrie.
Abudallah Öcalan, le fondateur historique du PKK a vécu de 1984 (début de la lutte armée contre l’État turc) à 1999 en Syrie sous la protection d’Hafez el-Assad. Il a fallu que la Turquie menace son voisin syrien de déclencher une guerre pour qu’Öcalan soit prié de quitter le pays en 1998. Il a ensuite été arrêté au Kenya l’année suivante au cours d’une opération spéciale menée par les services secrets turcs en coopération avec la CIA. Ramené en Turquie, il purge aujourd’hui une peine de prison à vie sur l’île d’Imrali.
Même si le PKK s’est ensuite fait plus discret en Syrie, il a continué à y être présent et surtout, des Kurdes syriens l’ont rejoint.
La figure la plus connue est Fehman Huseyin alias Bahoz Erdal qui a dirigé les « Faucons de la Liberté » (TAK) – une branche armée soi-disant dissidente du PKK – avant de devenir son chef militaire de 2004 à 2009. Donné pour mort en 2016, il est réapparu en 2017. Il avait été chargé de mettre en place le YPG (Unités de protection du peuple), la branche militaire du PYD (Parti de l’union démocratique kurde syrien). Par sécurité, il n’apparait pas en public, sa dernière photo remontant à 2021.
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Ankara estime donc que le PKK implanté en Syrie représente un risque sérieux pour la sécurité de la Turquie car le PYD syrien (Parti de l’union démocratique) et son bras armé du YPG (unités de protection du peuple) n’en seraient qu’une émanation… Le problème est que le PYD fait partie des Forces démocratiques syriennes (SDF) formées par les Américains avec l’apport de quelques tribus arabes pour lutter contre Daech.
L’offensive des proxies turcs servant dans l’Armée nationale syrienne (ANS) qui a été déclenchée deux jours après celle emmenée par le HTS(1) n’a pas pour objectif de renverser le pouvoir à Damas. En premier lieu, elle doit couper le corridor kurde entre les régions de Manbij et d’Alep mais aussi d’éradiquer toute la poche tenue par les YPG au nord d’Alep.
Tout ce qui précède permet de comprendre ce qui se déroule dans la zone d’Alep. Les islamistes du HTS qui ont été à la pointe de l’offensive et qui tiennent Alep avec des unités du ANS et des combattants étrangers, ont autorisé le 2 décembre les forces kurdes encore présentes dans la ville à partir avec armes et bagages vers l’est.
Il est vraisemblable qu’une grande partie de la population d’origine kurde qui vit dans la région qui se compte à quelques 200.000 âmes va faire de même tant que la sécurité de leur départ sera assurée. Elle devrait rejoindre le Rojava. C’est encore une épuration ethnique qui a lieu. Pour le moment la communauté arménienne d’Alep qui est également importante est épargnée…
Cela démontre aussi que le HTS défend les intérêts d’Ankara et que cela n’est vraisemblablement pas gratuit.
Pour le moment, les Américains, les protecteurs des FDS constituée en majorité de Kurdes qui tiennent l’est de l’Euphrate n’ont pas réagi – passation de pouvoir à Washington oblige -.
Il est donc probable qu’Ankara va poursuivre sur sa lancée pour sécuriser les zones proches de sa frontière.
Le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan a fait une déclaration qui ne manque pas d’humour : « ce serait une erreur, à ce stade, d’essayer d’expliquer les évènements en Syrie par une quelconque ingérence étrangère ». Cet ancien directeur des services secrets turcs (le MIT) sait bien que son pays contrôle plusieurs zones du nord syrien et soutient des groupes rebelles en Syrie.
Il a tout de même expliqué au Ministre des Affaires étrangères iranien, Abbas Araghtchi, de passage à Ankara le 2 décembre : « la Turquie ne permettra à aucune organisation terroriste [NdA : le PYD et sa branche armée YPG] de profiter des évènements en cours » en précisant que la Turquie interdirait à toute organisation terroriste de constituer une menace pour ses frontières et ses citoyens en profitant de l’instabilité en Syrie.
Quelques précisions.
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Bachar el-Assad a reçu le ministre des Affaires étrangères iranien Abbas Araghtchi à Damas le 1er décembre. Il n’est donc pas réfugié à Moscou comme la rumeur le prétendait.
Source : Société Aselsan
Lors de la prise d’Alep par les rebelles, les forces gouvernementales ont vu leurs télécommunications brouillées par la guerre électronique. Les seuls à avoir ces moyens dans la zone sont les Turcs…
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