Il semble qu’un mystère se lève progressivement sur l’identité des auteurs du sabotage des gazoducs sous-marins Nord Stream 1 et 2 qui est survenu en mer Baltique le 26 septembre 2022. À savoir qu’un des auteurs a enfin été désigné par un mandat d’arrêt international délivré en juin 2024 par la justice allemande.
Ce début de piste (pour mémoire, selon le Droit français, un suspect reste innocent jusqu’à ce que la justice l’ait déclaré coupable) semble indiquer que l’Ukraine serait derrière cette « action Arma » comme de nombreux observateurs s’en doutaient même si un important « bouillard de guerre » avait été lancé pour égarer les recherches. Il a même été avancé que la Russie qui se serait auto saboté dans un jeu complexe d’influences machiavélique. John le Carré n’est pas mort…
D’ailleurs, les pays occidentaux ne se sont pas empressés de mener des enquêtes objectives car à moins d’être totalement aveugles, leurs services de renseignement « savaient » mais les pouvoirs politiques ne souhaitaient pas gêner Kiev alors en pleine guerre dont personne ne connaissait l’issue probable (ce qui est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui).
Ainsi, le Danemark et la Suède qui avaient également ouvert des enquêtes en tant que pays géographiquement concernés par cette affaire les ont suspendues début 2024 sans désigner le moindre suspect.
Seule l’Allemagne qui était directement concernée a poursuivi même si les premières conclusions relèvent du « politiquement incorrect ». En effet, le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy a insisté l’année dernière sur le fait que son pays n’était pas à l’origine de l’attaque, déclarant à tous ceux qui voulaient l’entendre : « je n’agirai jamais de cette façon ».
Nord Stream 1 était en service depuis 2011 et Nord Stream 2 était achevé mais n’était pas encore opérationnel au moment des sabotages.
Les gazoducs étaient extrêmement controversés, l’Ukraine, les États-Unis, la Pologne et d’autres reprochant à Berlin son attachement au gaz russe. Il faut dire que sous la pression de l’idéologie écologiste radicale, l’Allemagne a fermé son parc nucléaire en 2023 et se retrouve devant le problème de son approvisionnement énergétique, les énergies renouvelables étant loin de pouvoir répondre aux besoins de ce grand pays industriel. Mais se fournir en gaz auprès de la Russie après l’invasion de l’Ukraine en février 2022 était devenu une position politique intenable pour Berlin. En conséquence, l’Allemagne a décidé de mettre fin aux importations (directes) de gaz russe.
Mais même si ces gazoducs étaient alors inactifs, il restait possible de les réalimenter si la guerre russo-ukrainienne trouvait une issue et que Berlin renouait des relations avec Moscou. En les détruisant, il n’y avait plus aucun retour en arrière.
Selon le Washington Post, il semble que les États-Unis disposaient d’informations selon lesquelles l’Ukraine prévoyait d’attaquer les liaisons gazières de la mer Baltique trois mois avant les explosions.
Les détails connus
L’homme accusé par la justice allemande d’avoir participé à l’opération est l’Ukrainien Vladimir Jouravlev (Vladimyr Zhuravlev) officiellement domicilié à Kiev. Sa profession déclarée est moniteur de plongée.
Le yacht « Andromeda » a été loué par six inconnus qui ont fourni de faux documents d’identité parfaitement réalisés et indiqué au propriétaire ( MOLA Yachting GmbH, spécialisé dans les croisières en mer Baltique) qu’ils planifiaient un périple d’une quinzaine de jours. Selon les enquêteurs allemands, la location du bateau était garantie par une société enregistrée en Pologne considérée comme contrôlée par des propriétaires ukrainiens.
Le yacht mesure environ 15 mètres de long, a cinq cabines et peut accueillir jusqu’à onze passagers. Il n’est pas équipé d’un dispositif de localisation obligatoire sur les plus grands navires.
Sa location coûte 3.000 euros la semaine.
Le bateau a quitté le port de Rostock avec six personnes à bord le 6 septembre. Il aurait fait une escale le 7 septembre dans le port de Weick où une camionnette Citroën blanche aurait transféré des explosifs à son bord. Elle aurait été repérée après coup par des caméras de vidéo protection.
Il est vraisemblable que des personnels supplémentaires dont Vladimir Jouravlev aient embarqué à cette occasion pour renforcer l’équipage. Le yacht a fait escale du 16 au 18 septembre sur l’île de Christiansö au Danemark.
L’Andromeda a été fouillé par la police allemande à la fin du mois de janvier qui a trouvé des traces d’explosifs à l’intérieur.
Tout le périple a duré environ deux semaines avant que l’Andromède ne soit ramené à Rostock.
À peu près au même moment (du 5 au 12 septembre), le pétrolier battant pavillon grec Minerva Julie « faisait des ronds dans l’eau » dans la même zone. Selon le propriétaire, il attendait des instructions pour un prochain voyage.
Le 26 septembre les bombes ont explosé perçant les gazoducs.
Les experts conviennent qu’une telle opération nécessitait du matériel de pointe, une quantité conséquente d’explosifs et des opérateurs hautement qualifiés. Cela dit, ce n’est pas tant les « trous » faits aux gazoducs qui leur était fatals mais l’eau de mer qui s’y est engouffrée par la suite et qui les a détruits par simple effet de corrosion.
Le yacht semblait un peu petit pour accueillir les personnels et les matériels nécessaires à la réalisation d’une telle opération ce qui a fait douter les enquêteurs sur des liens éventuels avec le pétrolier Minerva Julie cité plus avant. Mais ce navire qui un familier de la mer Baltique semble avoir été mis hors de cause.
La traque
Les autorités allemandes ont transmis à Varsovie le mandat d’arrêt contre Jouravlev en juin 2024. Début juillet, il aurait quitté la Pologne pour l’Ukraine n’étant pas arrêté à la frontière car Berlin n’aurait pas enregistré son nom dans une base de données européenne des personnes recherchées. Les gardes-frontières polonais ne savaient donc pas qu’il était recherché lorsqu’il a passé la frontière…
Deux autres suspects sont désignés par la justice allemande : le couple Svitlana et Yevhen Uspenska. Ils auraient étaient à la tête d’une école de plongée en Ukraine et auraient été en contact avec Jouravlev.
Face à ces accusations, Svitlana Uspenska a déclaré que ni elle ni son mari n’étaient impliqués dans l’attaque, insistant sur le fait qu’elle se trouvait à Kiev en septembre 2022. Elle a précisé que : « ma profondeur maximale est de 30 mètres » hors les charges avaient été placée à 80 mètres sous la surface.
Elle a ajouté qu’elle envisageait de poursuivre en justice les médias allemands pour « quelques millions d’euros » pour l’avoir citée dans cette affaire.
Après l’invasion de l’Ukraine, elle aurait vécu avec ses enfants en Autriche et en Bulgarie avant de rejoindre la Pologne.
Son époux Yevhen serait militaire combattant contre les forces russes en Ukraine.
Les Allemands ont été les seuls à suivre le fil de l’enquête parce qu’ils avaient été visés. La version d’un groupe autonome qui a mené cette opération à l’insu des autorités de Kiev (toutes les autorités démentent avoir été informées de cette opération) est peu crédible. D’ailleurs, il est normal de s’interroger sur la décision de Berlin de diminuer l’aide militaire à Kiev en 2025 de 50% par rapport à 2024 (4 milliards d’euros contre 8 milliards), décision officiellement présentée comme une économie de budget, ce qui n’est pas non plus faux).
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