La présence de mercenaires de toutes nationalités en Afrique est une réalité historique et les Russes sont loin d’être les seuls. Mais ces dernières années, la Russie a réussi l’exploit de convaincre les populations locales qu’elle est désormais leur seul véritable allié, les autres pays étant soit des ex-colonisateurs, soit des « profiteurs ».
Or, les actions des forces mercenaires russes sur le continent racontent une histoire très différente. Selon Washington, « le Groupe Wagner et d’autres forces et ‘conseillers’ émergents soutenus par la Russie exploitent les ressources et les populations des pays africains pour leur gain personnel. Ils constituent une menace pour la stabilité et la prospérité des pays où ils sont présents […] Ces forces ne diminuent pas le terrorisme mais exacerbent plutôt la menace en appliquant des tactiques draconiennes et violentes. Cela entraîne une augmentation spectaculaire de la violence cyclique. »
Alors que les pays occidentaux sanctionnaient Moscou après l’annexion de la Crimée en 2014, le Kremlin a commencé à exercer une grande pression pour signer des accords de coopération militaire avec divers pays africains. Moscou a su utiliser le groupe Wagner théoriquement « privé » pour se démarquer d’une influence trop directe. Aujourd’hui, cette formation est toujours présente sous le patronyme d’Africa Corps.
Le colonel-général Andrei Averyanov, l’ancien chef de l’Unité 29.155 chargée des opérations clandestines au sein du GRU, aurait succédé à Evgueni Prigojine sous la houlette du vice-ministre de la défense, le colonel-général Iounous-bek Evkourov.
Il aurait négocié des accords avec de puissants seigneurs de guerre, des putschistes, des militaires, des juntes en Libye, au Burkina Faso, en République centre africaine (RCA), au Mali et au Niger pour aider à consolider leur contrôle en échange de la cession des droits miniers à la Russie.
Par contre, au Mozambique, les mercenaires russes ont subi un échec qui les a contraints à se retirer.
Des sociétés liées à Moscou seraient impliquées dans la contrebande d’or et l’exploitation illégale de minéraux, utilisant le Cameroun comme plaque tournante de la logistique et du transport.
Mais elles jouent également un rôle d’influence dans de nombreux pays dont le Congo, le Zimbabwe, Madagascar, le Mozambique, l’Afrique du Sud et autres…
Les activités de ces sociétés parallèles suivent à peu près le même schéma : entrer dans un pays qui connaît un conflit complexe et prolongé qui est insoluble par d’autres pays en « vendant » du personnel de sécurité, des services et des formations. Une fois implanté sur place, profiter de ce que ce pays a à offrir par la propagande et les médias et la société civile locale en corrompant la classe politique. Cette dernière se retrouve alors contrainte de rester sous la protection des mercenaires russes si elle veut se maintenir au pouvoir. En clair, les mercenaires dépendant de Moscou luttent d’abord contre les opposants réels ou potentiels aux dirigeants politiques locaux avant de s’en prendre aux mouvements terroristes armés.
Les populations prises entre deux feux sont les premières à souffrir de cette situation mais semblent généralement considérer les Russes comme le moindre mal. Il convient de reconnaître que personne jusque là n’a été à même de les protéger durablement. Le résultat sur le continent africain se compte en des milliers de morts et des millions de déplacés dans la misère la plus totale.
Cela posé, si les différentes puissances idéologiquement opposées – en particulier les États-Unis et la France d’un côté et la Russie et la Chine de l’autre – se dénigrent mutuellement pour leurs penchants « prédateurs », dans les coulisses, des responsables politico-économiques et de puissants investisseurs lorgnent toujours l’exploitation de richesses locales.
Dans ce magma difficilement cernable, les mercenaires « indépendants » tournent en rond en attendant des propositions pécuniaires intéressantes des uns ou des autres.
C’est le grand retour des « soldats de fortune » qui se cachent derrière des sociétés militaires privées ou de sécurité chargées d’apporter leurs bons conseils mais qui n’hésitent pas à mettre la main à la pâte.
La présence de mercenaires étrangers (en dehors de la Russie) a été mise en exergue en République démocratique du Congo le 19 mai 2024 lorsque le citoyen américain Christian Malanga a été abattu alors qu’il tentait un coup de force à Kinshasa contre le Président Felix Tshisekedi.
Trois autres Américains ont été arrêtés par les forces congolaises dont son fils Marcel mais également Benjamin Reuben Zalman-Polun et Tyler Thompson. Officiellement, il faisaient du tourisme en RDC…
Les motivations et le soutien plus large apporté au groupe impliqué dans cette tentative ratée de prise du pouvoir restent flous, mais l’opération rappelle que, même en 2024, des acteurs étrangers continuent d’utiliser la force armée pour prendre le contrôle de cet État riche en minerais.
Situation en République Démocratique du Congo
Le gouvernement russe, qui a déclaré en mars qu’il a approuvé un accord provisoire de coopération militaire avec Kinshasa mais en mai 2019, il avait fait de même avec son voisin le Congo-Brazzaville qui prévoyait que la Russie enverrait des spécialistes militaires dans le pays qui aideraient à entretenir les équipements d’origine soviétique…
Mais le problème essentiel se trouve à l’Est du pays où depuis 2021 le mouvement M23 (composé à l’origine d’anciens rebelles du Congrès national pour la défense du peuple, CNDP réintégrés dans l’armée congolaise en 2009) soutenu par le « Rwanda Defense Force (RDF) » s’oppose aux Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) elles-mêmes associées à des milices locales, aux casques bleus de la Monusco – Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RD Congo – sur le départ d’ici le 30 juin 2024 et à des sociétés militaires privées.
Le M23 s’est emparé de larges portions de terrain au nord de Goma où l’armée rwandaise a déployé des systèmes anti-aériens chinois TY-90 sur châssis WZ551. Ces derniers ont détruit des drones CH-4 congolais (également d’origine chinoise.) Pour mémoire, neuf CH-4 devaient être livrés.
La Chine joue sur tous les tableaux : elle vend des drones à la RDC et des systèmes anti-aériens au Rwanda qui les abat…
De son côté, Kigali dément soutenir le M23 mais dans les faits souhaite s’emparer des ressources minières de l’Est congolais. Ce pays, dont le président, Paul Kagame, devrait être réélu le 15 juillet, a su devenir un acteur incontournable pour plusieurs grandes puissances en Afrique car il est considéré comme un « facteur de stabilité » alors que tout se délite ailleurs. Il est à souhaiter que les « experts es-Afrique » d’aujourd’hui sont meilleurs que ceux d’hier…
De leur côté, les FARDC sont dans l’incapacité de s’opposer seules à leurs adversaires. Elles ont été épaulées jusqu’en décembre 2003 par les Etats d’Afrique de l’Est (Kenya, Burundi, Soudan du sud et Angola) puis après le retrait de cette force internationale, par la Southern African Development Community Mission in the DRC, SADC (Afrique du Sud, Malawi, Tanzanie.)
Les milices des « patriotes » (wazalendo)
Le président Félix Tshisekedi a encouragé la création de milices d’autodéfense, en particulier par l’ethnie Maï-Maï. Elles sont appelées « wazalendo » (patriotes). Équipées avec du matériel de récupération, elles ne peuvent concurrencer le M23 et surtout, ne peuvent en aucun cas les déloger de leurs positions. Le gouvernement ne les aide pas vraiment car, méfiant, il craint qu’à terme, elles ne se retournent contre lui comme cela a déjà eu lieu dans le passé…
Les sociétés militaires privées ; en clair, les mercenaires
Depuis 2022, l’acteur le plus important dans le domaine de l’ « assistance technique » dans le Nord-Kivu est le Franco-Roumain Horatiu Potra alias « lieutenant Henry. »
Ancien légionnaire (1992-97) ayant obtenu la nationalité française en 1995, il a d’abord servi au Rwanda sous la direction de capitaine (er) Paul Barril reconverti dans la sécurité privée puis au Qatar avant de retourner en Afrique centrale. Il é été recruté par Jean-Pierre Bemba, le Ministre de la Défense de RDC en 2023 pour assurer la sécurité des points sensibles de Goma, la capitale régionale dont l’aéroport. Mais lui et ses hommes sont intervenus à plusieurs reprises sur le terrain pour contrer les avancées du M23 au Nord-Kivu.
Les soldats de fortune se sont toujours senti biens sur le continent africain. Cela dit, leurs succès ont toujours été éphémères car un mercenaire se bat, bien sûr pour l’« aventure » (que beaucoup de postulants fantasment totalement), parfois pour une cause, mais avant tout pour de l’argent. Si celui-ci vient à manquer – ou si la situation tourne vraiment mal -, ils plient bagages sans demander leur reste.
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