Alors que la poussée salafiste-jihadiste emmenée par Daech et Al-Qaida se poursuit inexorablement au Sahel en poussant progressivement vers le Golfe de Guinée, plus aucune attention n’est accordée par les medias à l’Afghanistan où ces deux mouvements sont très présents. Si Daech s’y oppose aux taliban au pouvoir dans une guerre civile larvée, Al-Qaida les soutient discrètement en échange d’une réimplantation rampante.
Il convient de reconnaitre que depuis le départ piteux des dernières troupes de l’OTAN en août 2021, les dirigeants mondiaux savent qu’ils n’ont plus aucune marge de manœuvre avec les taliban qui verrouillent leur pouvoir à Kaboul. Les sanctions occidentales n’ont aucun effet car elles n’ont aucune prise sur eux.
Toutefois le comité Comité des sanctions de la résolution 1267 du Conseil de sécurité des Nations unies a publié le 29 janvier 2024 en liaison avec l’Inspecteur général spécial des États-Unis pour la reconstruction de l’Afghanistan (Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction, SIGAR) un rapport qui fait un point sur la situation dans l’Émirat islamique d’Afghanistan.
Selon ce rapport, Al-Qaïda gère désormais des camps d’entrainement dans 10 des 34 provinces afghanes, cinq écoles religieuses (madrasas), une base logistique « pour stocker des armes » et un réseau de liaisons vers l’Iran.
Les camps d’entrainement se trouvent dans les provinces de Ghazni, Laghman, Parwan, Uruzgan, Helmand, Zabul, Nangarhar, Nuristan, Badghis et Kunar. Huit nouveaux auraient été installés ces derniers mois.
Selon le rapport, Hakim al-Masri, membre d’Al-Qaida, supervise l’ensemble de ces camps tout en étant lui-même instructeur dans le domaine des attentats-suicide en particulier au profit de membres du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP) dans la province de Kunar. Pour mémoire cette province est frontalière avec le Pakistan où les activistes du TTP emmenés par l’émir Noor Wali Mehsud viennent commettre de nombreux actes à caractère terroriste destinés à déstabiliser le pouvoir d’Islamabad.
Les madrasas sont situées dans les provinces de Laghman, Kunar, Nangarhar, Nuristan et Parwan.
La spécificité de l’enseignement des madrasas d’Al-Qaida est la mise en exergue du « jihad mondial » alors que celles des taliban conservent un caractère local.
Dans les provinces de Herat, Farah et Helmand, Al-Qaida « maintient des refuges pour faciliter le mouvement [de ses membres] entre l’Afghanistan et la République islamique d’Iran ». Il y aurait aussi des refuges à Kaboul.
L’exemple d’al-Zawahiri (1)
Ainsi au début 2022, l’émir d’Al-Qaida Ayman al-Zawahiri s’était installé avec une partie de sa famille 2022 dans une villa du quartier de Sherpur dans le centre-ville de Kaboul où vivent la plupart des autorités du nouveau régime. Cette habitation de trois étages appartenait à Sirajuddin Haqqani, ministre de l’Intérieur du gouvernement talèb et célèbre chef du clan homonyme.
Le 31 juillet 2022 matin, un drone américain Hellfire R9X a tué al-Zawahiri sans aucune victime collatérale.
Prudent, le nouvel émir d’Al-Qaïda, Saif al-Adel, résiderait toujours en Iran. Ce sont ses adjoints qui viendraient lui rendre visite depuis l’Afghanistan dont Abdul Rahman al-Ghamdi (vraisemblablement une fausse identité un homonyme ayant été tué en 2003 en Afghanistan).
Mais, d’autres sources pensent que le chef d’Al-Qaida se trouve en Afghanistan. C’est de là qu’il aurait émis son dernier ouvrage prônant des attaques contre les ambassades des États-Unis, de l’Europe et d’Israël(1).
Le rapport indique également que six membres d’Al-Qaida ont été transférés dans l’est de l’Afghanistan pour rejoindre l’unité « Katiba Umer Farooq » sous la direction d’Abu Ikhlas al-Masri.
Liens organiques avec le TTP
Selon le rapport, le TTP a vu ces derniers temps le nombre de taliban rejoindre ses rangs considérablement augmenter. Ces derniers considèrent que c’est là un « devoir religieux. »
Parallèlement, à ses activités anti-pakistanaises, le TTP aurait – en échange de services – assassiné des membres des taliban qui avaient rejoint la Province de l’État Islamique au Khorasan (Daech).
Toutefois, 70 à 200 activistes du TTP auraient été appréhendés par les autorités afghanes et réinstallés dans le nord du pays loin de la frontière pakistanaise. Cette mesure aurait été prise pour faire baisser la pression mise par Islamabad sur Kaboul. Si les taliban n’ont que faire des sanctions occidentales, de bonnes relations avec le Pakistan voisin sont indispensables pour continuer à échanger des biens de première nécessité dont la population a besoin pour vivre.
Point marquant du rapport, les membres restants et anciens d’Al-Qaida en Afghanistan ne sont pas en mesure de planifier et d’organiser des attaques à grande échelle. Un membre du Conseil de sécurité a déclaré que le nombre de hauts dirigeants d’Al-Qaida en Afghanistan qui avaient des liens historiques avec les taliban était inférieur à dix.
Dans le passé, les liens entre Al-Qaïda et l’Iran, qui ont été niés et rejetés par beaucoup d’observateurs, sont toujours actifs avec l’aide des taliban.
Par ailleurs, en 2021 l’administration américaine avait affirmé que l’alliance « taliban-Al-Qaida » était brisée, qu’Al-Qaida était décimée, vaincue… dégradée, diminuée, terminée, etc.
Elle a aussi avancé que les taliban étaient « modérés », qu’ils souhaitaient partager le pouvoir avec le gouvernement afghan (aujourd’hui disparu), qu’ils respecteraient les droits des femmes, etc.
Tous les mensonges étaient nécessaires pour défendre le retrait d’Afghanistan auprès du public américain.
Seul point positif (et pas des moindres), les taliban semblent vraiment avoir décidé d’interdire la culture du pavot et le trafic de drogue dans le pays. Cela constitue un manque à gagner certain dans les caisses de l’État et bouscule les circuits classiques de l’héroïne, les trafiquants internationaux se retournant désormais vers la région de production historique : l’Extrême-Orient et le Triangle d’Or.
Aujourd’hui, de nombreux mouvements jihadistes sont présents en Afghanistan :
le Mouvement islamique d’Ouzbékistan,
l’Union du Jihad islamique,
la Khatiba Imam al-Bukhari,
le groupe Jamaat Ansarullah du Tadjikistan,
le Mouvement islamique du Turkestan oriental (ETIM)…
Les États membres du Conseil de sécurité se sont déclarés préoccupés par leur collaboration avec Al-Qaida pour le recrutement de troupes, les opérations de formation et de planification.
Le Front de la liberté de l’Afghanistan (AFF), qui est en lutte contre les taliban dans plusieurs provinces depuis deux ans, a souligné que l’Afghanistan sous le régime des Taliban était devenu un havre pour le terrorisme international. La déclaration du Front se lit comme suit : « Le récent rapport du Comité des sanctions de la résolution 1267 du Conseil de sécurité des Nations unies, publié le 29 janvier 2024, est une validation des positions légitimes du Front de la liberté en Afghanistan, indiquant que le groupe des taliban est le lien entre le cercle malin du terrorisme et le terreau de ce phénomène odieux dans la région et au-delà. Non seulement les taliban entretiennent une relation étroite et organique avec le terrorisme, mais aussi le berceau de ce groupe. »
Daech
Contrairement à ce qui avait été annoncé il y a quelques semaines, le Conseil de sécurité a confirmé que Sanaullah Ghafari alias « Shahab al-Muhajir », le dirigeant de la Province de l’État Islamique au Khorasan, est toujours en vie.
L’Inspecteur général spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan (SIGAR) a déclaré dans son rapport trimestriel aux États-Unis que les attaques de l’EI contre les Hazaras et les Chiites en Afghanistan se sont intensifiés d’octobre 2023 à janvier 2024.
L’avenir de l’Afghanistan semble bien sombre mais, dans l’Histoire, ce pays a toujours été incontrôlable. Il ne faut pas qu’il devienne une base arrière pour le terrorisme international mais, pour l’empêcher, il faudrait une nouvelle opération militaire internationale, ce que personne ne veut, les dirigeants taliban les premiers. Quant aux populations, elles vivent sous le régime de la loi islamique la plus stricte.
1. Voir : « AFGHANISTAN : MORT DE L’ÉMIR D’AL-QAIDA, AYMAN AL-ZAWAHIRI » du 2 août 2022.
2. Voir : « ON REPARLE DE SAIF AL-ADEL, L’ÉMIR PRÉSUMÉ D’AL-QAIDA » du 29 septembre 2023.
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