Le 20 septembre, le Venezuela a envoyé 11.000 militaires pour reprendre le contrôle de la prison de Tocorón située au nord du pays. Elle était depuis des années totalement sous le contrôle du gang « Tren de Aragua ».

Il s’agissait à la base d’un système mis en place par la ministre du « pouvoir populaire du service pénitentiaire » (de 2011 à 2020) María Iris Varela Rangel, destiné à maintenir l’ordre dans les prisons en autorisant les « prans », des gangsters de haut niveau incarcérés, à devenir de véritables « parrains mafieux » qui dirigeaient de fait l’établissement carcéral en échange du maintien de l’ordre, de la réduction des homicides et de la fin des soulèvements.

Cette opération à Tocorón pourrait marquer la fin du « système pran », comme le suggère le communiqué officiel de l’opération, qui précise qu’elle visait à « rendre sa dignité au système pénitentiaire ».

Le ministre de l’Intérieur et de la Justice, Remigio Ceballos, a confirmé le soir même que les forces de l’ordre avaient entièrement « libéré » la prison.

6.000 détenus devraient être transférés vers d’autres établissements parmi les 85 centres correctionnels du pays mais selon des rapports indépendants, les prisons vénézuéliennes dépassent déjà leur capacité de plus de 50 %.

Lors de l’opération, les autorités ont découvert un réseau de tunnels, le ministre Celallos affirmant : « nous avons empêché une évasion à grande échelle ». Il n’empêche que quelques 1.500 détenus manquent à l’appel.

Et en effet, une déclaration ultérieure du gouvernement a révélé le lancement d’une « deuxième phase » de l’opération destinée à capturer tous les prisonniers évadés.

L’Organisation Criminelle Transnationale « Tren de Aragua »

Le gang du « Tren de Aragua » est une Organisation Criminelle Transnationale (OCT) vénézuélienne forte de quelques 5.000 membres.

Il est apparu en 2014 dans la prison même puis a étendu son emprise à l’extérieur se livrant à toutes les activités classiques des OCT mais mettant l’accent sur l’orpaillage et l’exploitation minière illégale dans un pays qui dispose parmi les plus importants gisements d’or du monde.

La bande a notamment mis la ville de Las Claritas, dans la région de Bolivar (sud-est) sous coupes réglées, contrôlant tous les aspects de la vie quotidienne, des commerces jusqu’aux services de santé.

Le gang a aussi « profité » de la crise économique que connait le Venezuela depuis 2013 pour franchir les frontières et s’installer dans d’autres pays d’Amérique latine. Il s’est emparé du business des passeurs (surnommés les « coyotes » en Amérique latine ayant recruté de nouveaux membres en situation précaire sur les routes migratoires devenues un vecteur d’expansion important. En effet, sept millions de Vénézuéliens ont fuit le pays en raison de la misère et de la dictature « bolivarienne ».

Par ailleurs, le gang exploite des réseaux de prostitution de Vénézuéliennes au Pérou, en Équateur et au Chili.

Dans ce dernier pays, il a constaté qu’il n’y avait pas d’autre groupe armé capable de le concurrencer. Selon les autorités locales, il y est désormais installé en force.

Au Brésil, le gang s’est associé avec le PCC (Premier commando de la capitale) coopérant dans les domaines des trafics d’armes et de la prostitution.

Son leader est Hector Rustherford Guerrero Flores alias « Niño guerrero » (enfant guerrier). Condamné à 17 ans de prison pour des homicides et trafic de drogue. Il était officiellement incarcéré mais, bénéficiant du « système prans », il semblait pouvoir entrer et sortir de prison à sa guise, profitant parfois des plages vénézuéliennes.

Il fait partie des prisonniers qui ont réussi à s’échapper…

La prison de Tocorón, hôtel trois étoiles ?

La prison de Tocorón était comme un hôtel pour les chefs de la bande avec piscine, zoo, salles de paris clandestins, banque, terrain de baseball, restaurant et même une discothèque branchée, le « Tokio » où se produisaient des artistes connus et s’exhibaient des célébrités.

Des vidéos en ligne montraient des femmes et des enfants vivant à l’intérieur de l’établissement qui était aussi devenu un véritable supermarché où l’on pouvait s’approvisionner en biens introuvables à l’extérieur en raison des restrictions dues à la crise économique.

Pour entretenir toute la logistique, la population carcérale était rackettée: chaque détenu payant la « causa » se montant à environ 15 dollars par semaine, soit 3,5 millions de dollars par an. Ceux qui ne voulaient pas payer étaient victimes d’actes de violence.

Contexte

Le président Nicolás Maduro a longtemps toléré les structures criminelles opérant dans le pays, tant vénézuéliennes que colombiennes. Il avait besoin d’accéder à des rentes criminelles pour maintenir la loyauté de ses généraux et de personnalités politiques clés alors que l’État était au bord de la faillite. De nombreux responsables vénézuéliens sont d’ailleurs inculpés aux États-Unis pour leur participation au trafic de drogues.

Mais, depuis 2020, les forces de sécurité vénézuéliennes ont repris la lutte contre plusieurs gangs et des éléments dissidents des groupes rebelles colombiens des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et de l’Armée de libération nationale (ELN). Conjointement, ils avaient mis en place une infrastructure de trafic de drogue dans le département vénézuélien d’Apure.

Mais l’opération menée depuis 2021 contre les gangs et leurs alliés des ex-FARC et ex-ELN a fini en une humiliation  pour Caracas, les forces de sécurité étant contraintes à se retirer.

Cela  pourrait expliquer l’apparente disproportion de l’opération de Tocorón, Maduro ne voulant surtout pas connaître un nouveau revers.

Il est possible que la nouvelle politique répressive à l’égard des gangs les plus notoires, en particulier ceux à portée transnationale, soit influencée par les pays voisins à mesure que la campagne politique pour l’élection présidentielle de 2024 s’intensifie. En effet, Maduro sollicite un nouveau mandat de six ans.

En particulier, la Colombie alliée important de Maduro lui aurait demandé d’agir contre le « Tren de Aragua » après qu’une série de meurtres liés au gang vénézuélien ait eu lieu à Bogotá.

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Texte

Alain Rodier