C'est une année électorale au Venezuela et le président Nicolas Maduro est déterminé à s'accrocher au pouvoir. Pour cela, ses liens avec le crime organisé lui sont indispensables. Le régime de Maduro est construit sur une alliance entre son gouvernement et les réseaux du crime organisé, une relation qui lui permet d’avoir accès aux rentes criminelles tout en maintenant un contrôle discret et coercitif sur les populations. En échange, l’État tolère et protège les activités de différents gangs. C’est pour cette raison que le Venezuela peut être qualifié d’« État hybride. »

En 2023, pour s’acheter une conduite à l’international, l’administration Maduro a lancé de multiples « méga-opérations » anti-criminalité très médiatisées. Les autorités ont ciblé les prisons, les trafiquants de drogue, les gangs urbains et les syndicats miniers illégaux.

Cependant, de nombreux observateurs ont convenu qu’il s’agissait plus d’un spectacle politique qu’une véritable tentative de démanteler l’économie criminelle.

De plus, cela aurait permis à Caracas de faire le ménage entre les organisations criminelles qui lui étaient associées et celles qui se voulaient autonomes.

 

1. L’État hybride va accroitre la répression lors de la campagne électorale

 

Le gouvernement vénézuélien et l’opposition politique ont convenu l’année dernière d’organiser des élections libres et équitables dans un contexte de levée de certaines sanctions américaines. Cependant, le régime de Maduro a resserré la vis contre les voix dissidentes et a refusé fin janvier de lever l’interdiction de se présenter imposée à la candidate de l’opposition à la présidentielle, María Corina Machado.

À la mi-janvier, Maduro a proféré des menaces contre des organisations non gouvernementales (ONG) et a lancé le « Plan Furie bolivarienne » qui donne le feu vert aux actions des forces de sécurité contre les dissidents pour empêcher les « complots » et les « attaques terroristes. »

Malgré l’attention internationale accrue et la menace de sanctions, Maduro n’hésitera pas à recourir à la violence politique s’il estime que sa position est menacée et pour cela, les gangs sont indispensables dans les zones qu’ils contrôlent.

2. Les « méga-opérations » : une régulation des économies criminelles ?

Depuis 2022, les autorités ont ciblé les chefs de gangs de premier plan qui refusent de se mettre au pas du gouvernement de Maduro. Curieusement, les « méga-opérations » de 2023 n’ont pas réussi à faire tomber les barons du crime figurant sur la liste des dix personnes les plus recherchées par le gouvernement, notamment le chef du « Tren del Llano », Óscar de Jesús Noguera Hernández alias « El Pipi » ou Wilexis Acevedo, alias « Wilexis », chef du gang qui tient en coupe réglé le quartier José Félix Ribas de Caracas.

Et bien que des rapports des forces de sécurité de l’État affirment que le chef du gang de la région de Valles del Tuy située au sud de Caracas dans l’État de Miranda, Deiber Johan González alias « Carlos Capa », a été blessé, il n’a pas été retrouvé. À noter qu’il a toujours eu des « relations » avec les forces de polices locales.

Malgré ces échecs, il y a eu une forte réaction favorable aux « méga-opérations » sur les réseaux sociaux. Maduro a donc un intérêt politique à les poursuivre car la lutte contre la criminalité sera toujours un bon argument pour gagner des partisans.

 

3. Les « méga-opérations » n’ont pas entamé les flux de drogue vers les Caraïbes

Le rôle du Venezuela en tant que point de transit s’est accru avec l’augmentation des volumes de cocaïne passant par le pays vers les Caraïbes.

Le pays a connu une forte augmentation des saisies sur sa côte est entre 2022 et 2023.

Les autorités ont saisi plus de deux tonnes de cocaïne en 2023 dans l’État de Monagas contre seulement 17 kilos en 2022.

En fait, sous couvert de lutte contre le trafic de drogue, le régime consolide son contrôle sur les principales routes de transit.

Le Venezuela qui est aussi producteur de cocaïne verra probablement un volume encore plus important de drogue circuler par ses États de l’Est. Néanmoins, les forces de sécurité vénézuéliennes lanceront probablement de nouvelles « méga-opérations » ciblant les régions qui ont vu des expéditions de plusieurs tonnes en 2023 dans le but de placer ces nouvelles routes sous le contrôle de l’État.

 

4. Des éléments des forces de sécurité sous-payées ne sont qu’un autre réseau criminel

Fin 2022, Maduro a annoncé un programme de réforme de la police basé sur un recrutement renforcé. Ainsi, 40.000 nouveaux agents ont été recrutés en 2023.

Mais il semble que certains d’entre-eux ont participé à du racket, des vols et au trafic d’êtres humains en particulier au cours du second semestre 2023.

Dans le quartier Cota 905 de Caracas, les réseaux criminels intégrés au sein des forces de sécurité ont même remplacé le crime organisé local.

Le Venezuela avait déjà du mal à payer, former et superviser ses forces de sécurité avant la nouvelle campagne de recrutement. Les salaires des agents de sécurité, qui continuent d’être payés en bolivars malgré une économie officieusement dollarisée, commencent à environ 14 dollars par mois. Le coût de la vie au Venezuela est tel qu’un ménage moyen a besoin de 500 dollars par mois pour survivre.

De plus, ces recrutements massifs ont compromis les normes minimales de sélection et de formation. Cela ajouté aux bas salaires ont rendu les activités criminelles de plus en plus tentantes pour les policiers.

 

5. Les migrants vénézuéliens recherchent des itinéraires alternatifs

La diaspora vénézuélienne a atteint près de 8 millions de personnes en 2023, dépassant tous les records précédents.

En plus des 600.000 personnes qui ont quitté le Venezuela l’année dernière, beaucoup ont quitté d’autres pays d’Amérique latine où ils s’étaient auparavant installés, pour de nouvelles destinations.

Les Vénézuéliens continuent d’émigrer, même si Maduro a augmenté le salaire minimum de 48 % cette année, une augmentation qui sera bientôt consommée par l’inflation.

En 2024, les réseaux de trafic d’êtres humains devraient continuer à exploiter des migrants vulnérables, dont beaucoup se dirigent vers les États-Unis comme alternative à des pays d’Amérique latine de plus en plus dangereux ou hostiles.

 

6. Le Brésil offre une énorme opportunité pour le gang « Tren de Aragua »

Aucun autre groupe criminel vénézuélien ne s’est développé avec autant de succès au niveau transnational que le « Tren de Aragua » qui s’est appuyé sur le flux de migrants vénézuéliens à travers l’Amérique du Sud.

Avec la perte en septembre 2023 de la prison de Tocorón qui servait de siège au gang(1), il semble qu’il ne bénéficie plus du même niveau de « compréhension » de la part de l’État vénézuélien que par le passé.

En conséquence, ses dirigeants pourraient donner la priorité à une nouvelle expansion à l’étranger, et le Brésil voisin offre de grandes opportunités.

La présence limitée du groupe au Brésil est en partie due au plus petit nombre de Les chiffres de l’immigration vénézuélienne au Brésil ont quasi doublé entre novembre 2021 et 2023 pour atteindre plus d’un demi-million.

Et même si le « Tren de Aragua » est resté discret au Brésil, le groupe y est présent depuis des années. Il aurait conclu une alliance avec le Premier commandement de la capitale (Primeiro Comando da Capital – PCC), la plus importante organisation criminelle du Brésil.

 

7. Les prisons vénézuéliennes restent des centres d’activités criminelles

Fin 2023, entre septembre et novembre, le régime de Maduro a « pris le contrôle » de sept prisons au Venezuela dirigées par des groupes du crime organisé. Le gouvernement avait cédé le contrôle des établissements pénitentiaires aux gangs en 2011 après que les violences entre prisonniers aient atteint des niveaux record. Les chefs criminels, ou « pranes » promettaient de contrôler la situation en échange de privilèges.

Le gouvernement vénézuélien a décidé de cibler ces « pranes. »

Cependant, les responsables les plus importants se sont échappés avant l’arrivée des forces de l’ordre, ce qui laisse penser qu’ils avaient été prévenus préalablement.

Plus particulièrement, Héctor Rusthenford Guerrero Flores alias « Niño Guerrero », le leader du « Tren de Aragua », a disparu de la prison de Tocorón avant que les forces de sécurité n’en prennent le contrôle.

Maduro a déclaré que les interventions dans les prisons étaient un succès et a promis de les poursuivre dans les autres établissements pénitentiaires du pays.

 

8. Le régime continuera à exploiter le commerce de l’or dans le Sud

Entre juillet et septembre 2023, les Forces armées nationales bolivariennes (Fuerza Armada Nacional Bolivariana – FANB) ont expulsé de force plus de 14.000 mineurs clandestins du parc national Cerro Yapacana, dans l’État d’Amazonas, au sud du Venezuela.

Le résultat de cette opération a été présenté comme l’une des mesures de répression contre l’exploitation minière illégale les plus efficaces de l’histoire récente du pays.

Mais ce qui semblait être un coup ciblé contre l’exploitation minière illégale au Venezuela s’est avéré être une nouvelle campagne médiatique du régime visant à apaiser la pression internationale autour de la destruction environnementale de l’Amazonie vénézuélienne.

L’exploitation minière informelle dans la région n’a pas cessé, l’opération militaire n’était qu’un écran de fumée.

Alors que Maduro cherche à augmenter les revenus de l’or pour remplir ses caisses, des structures criminelles comme l’ELN et le Front Acacio Medina dissident des FARC-EP (Fuerzas armadas revolucionarias de Colombia – Ejército del Pueblo), gèrent l’activité minière et partagent les rentes illicites avec l’État.

Le régime dépend des ventes d’or, dans un contexte de prix internationaux élevés, et cherchera à resserrer son emprise sur le secteur aurifère en 2024.

 

9. Les actions du gouvernement contre les passeurs s’avèrent inefficaces

Les autorités espéraient que la réouverture de la frontière vénézuélo-colombienne en septembre 2022 réduirait la contrebande et la prolifération des passages frontaliers illégaux connus sous le nom de « trochas » et permettrait une certaine régénération économique le long de la frontière.

Pourtant, environ 60 % des légumes vendus dans le pays sont importés illégalement, selon le président du Centre d’études agroalimentaires du Venezuela (Centro de Estudios Agroalimentarios – CEA.)

Fin octobre 2023, le gouvernement de Maduro a lancé « l’Opération Iron Fist 2023 », qui visait à « protéger les industries nationales » en employant l’armée pour cibler les passeurs. Les résultats sont jusqu’à présent limités.

L’absence d’impact peut être intentionnelle. Certains éléments du régime en sont venus à s’appuyer sur la contrebande, qui constitue une source de revenus pour les politiciens locaux.

Et la contrebande permet également d’éviter des pénuries qui pourraient mettre en péril la popularité de Maduro auprès des électeurs au cours d’une année électorale.

 

10. L’ELN reste la clé du contrôle politique et de la frontière colombienne

La politique phare du président colombien Gustavo Petro, « Paix totale », qui vise à mettre fin à la guerre civile qui dure depuis six décennies en Colombie, revêt une immense importance pour le Venezuela.

Les rebelles colombiens sont désormais l’acteur criminel dominant des deux côtés de la frontière. Présente dans 19 des 20 municipalités frontalières du Venezuela avec la Colombie, l’ELN s’est imposée comme le gardien des corridors transfrontaliers par lesquels transitent quotidiennement les cargaisons de drogues, de marchandises de contrebande et les populations migrantes.

Mais en 2023, les factions de la guérilla colombienne ont changé de tactique, se tournant plutôt vers le contrôle social et politique. Avec le soutien implicite de l’État, l’ELN est devenue une autorité quasi-légitime pour les résidents de la zone frontalière vénézuélienne, coordonnant les visites médicales, distribuant de l’eau et fournissant une aide économique aux communautés autochtones locales.

Pour Washington, tout le régime vénézuélien est impliqué directement ou indirectement dans des activités criminelles dont le trafic de drogue. Cela permet aux autorités américaines de mettre la tête de ses principaux dirigeants sur une fiche de recherche.

Il n’est pas certain que cela participe à la résolution du problème vénézuélien…

1. Voir : « Évacuation d’une prison au Venezuela » du 22 septembre 2023.

Publié le

Texte

Alain Rodier