Des soldats de la Force du Kosovo (KFOR) et des manifestants blessés ont été blessés à la fin mai suite à des manifestations remettant en cause les élections municipales tenues en avril. Cela remet sur le devant de la scène cet abcès de fixation qui existe au cœur de l’Europe depuis 1999.

La nouvelle crise avait débuté en 2022 quand une majorité de fonctionnaires serbes du Kosovo avait démissionné des institutions du pays pour protester contre la politique jugée discriminatoire du gouvernement dominé par les Albanais. Ces derniers ne tiendraient pas compte des minorités serbe mais aussi turque, roms…

Étant exclues des forces de police, les membres de ces minorités les considèrent comme des  « occupants ».

En fait, le pouvoir kosovar est mono-ethnique uniquement Albanais. La police et la justice sont dans leurs mains ce qui pousse les minorités exclues à boycotter tout ce qui peut leur être proposé.

Le processus ayant conduit à la crise actuelle

Le 23 avril 2023, le gouvernement avait organisé des élections municipales dans quatre villes à majorité serbe qui n’avaient plus de maire puisque ces dernier avaient démissionné. Les Serbes ont boycotté ces élections si bien qu’avec un taux de 97% d’abstention (et donc de 3% de participation) des maires albanais ont été « élus ». Les Serbes ont refusé les résultats de ces élections.

Une semaine après la proclamation des résultats, les manifestations s’amplifiaient et la police kosovare (donc albanaise) avait été dépêchée pour occuper les mairies contestées. Le gouvernement refusait de faire évacuer les bâtiments comme l’avait pourtant demandé l’OTAN.

Les tensions entre les manifestants et les responsables serbes se sont accrues le 26 mai, avec cinq policiers kosovars blessés à Zvecan, localité située à 45 kilomètres au nord de Pristina. Les manifestants ont exigé que la police du Kosovo et les maires albanais nouvellement élus quittent le nord du Kosovo. En réponse aux violences, l’armée serbe a été mise en état d’alerte maximale, le président serbe Aleksandar Vucic ordonnant également un mouvement « urgent » de troupes au plus près de la frontière. Les pires violences ont eu lieu le 29 mai. À Zvecan, des manifestants serbes ont lancé des cocktails Molotov sur les troupes de la KFOR.

Les troupes de maintien de la paix de l’OTAN et les manifestants se sont également affrontés dans d’autres régions du nord. Au total, trois mairies distinctes à Zvecan, Zubin Potok et Leposavic ont été envahies par des Serbes le 29 mai.

Les soldats de la KFOR tentaient de s’interposer mais 30 d’entre eux (11 Italiens et 19 Hongrois) « ont subi de multiples blessures, notamment des fractures et des brûlures causées par des engins explosifs incendiaires improvisés » suite aux violences survenues dans la municipalité de Zvecan.

Commentant ces violences, Stoltenberg déclarait : « de telles attaques sont inacceptables et doivent cesser. La KFOR prendra toutes les mesures nécessaires pour maintenir un environnement sûr et sécurisé pour tous les citoyens du Kosovo, et continuera d’agir de manière impartiale, conformément à notre mandat des Nations Unies […] La violence fait reculer le Kosovo et toute la région et met en péril les aspirations euro-atlantiques […] Pristina et Belgrade doivent prendre des mesures concrètes pour désamorcer la situation, s’abstenir de tout nouveau comportement irresponsable et s’engager dans le dialogue facilité par l’Union européenne qui est le seul moyen de parvenir à une paix durable ».

Dans l’urgence, il a pris la décision de déployer davantage de troupes au Kosovo en raison des troubles.

Depuis, les protestations se sont poursuivies. Les manifestants de Zvecan ont également déployé un grand drapeau tricolore serbe de 250 mètres de long mais sont restés pacifiques.

Les forces de maintien de la paix de l’OTAN ont également renforcé les défenses autour des bâtiments municipaux dans d’autres parties du pays.

Aux côtés des soldats de la KFOR, italiens ou polonais, on a vu des soldats américains. Or, c’est la première fois que des Américains interviennent dans des manifestations entre Serbes et Albanais. Le grand jeu balkanique est de retour. Et comme souvent, les Balkans sont le jeu des puissances.

Historique

L’Armée de libération du Kosovo (UÇK) s’est formée au début des années 1990 pour défendre les populations albanaises contre les exactions serbes des Albanais vivant dans cette ancienne région autonome. Il convient de se rappeler que pour les nationalistes serbes, le Kosovo est le berceau national et religieux du pays. L’UÇK lance ses premières attaques contre des fonctionnaires et des forces de l’ordre serbes au Kosovo en 1995 et une véritable insurrection débute 1996. Les armes proviennent majoritairement de l’Albanie voisine. Cette situation chaotique amène le renforcement sur place des forces serbes qui déroulent une campagne de représailles contre les sympathisants de l’UÇK et les opposants politiques.

Ce que l’on a appelé la « guerre du Kosovo » a eu lieu du 6 mars 1998 au 10 juin 1999. Elle a opposé l’armée yougoslave à l’UÇK. Le 20 mars 1999, les forces yougoslaves lancent une campagne massive de répression et d’expulsions d’Albanais du Kosovo à la suite du retrait de la Mission de vérification au Kosovo de l’OSCE. L’OTAN intervient le 24 mars en bombardant l’ensemble de la Yougoslavie sans l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU. La justification du monde occidental tient dans l’expression de « guerre humanitaire » (prétexte qui reviendra ensuite el Libye – avec un accord « forcé » de l’ONU, en Irak en 2003, etc.). Le 11 juin les forces yougoslaves se retirent du Kosovo. En 2001, une Cour suprême administrée par les Nations unies jugera qu’il y a eu « une campagne systématique de terreur, comprenant des meurtres, des viols, des incendies et de graves mauvais traitements » mais que les troupes yougoslaves avaient plutôt tenté d’expulser que d’éradiquer les populations d’origine albanaise. Plus de 13.500 personnes ont été tuées ou ont disparu au cours du conflit. Les forces yougoslaves et serbes ont provoqué le déplacement de 1,2 à 1,45 million d’Albanais du Kosovo. Après la guerre, environ 200 000 Serbes, Roms et autres non-Albanais ont fui le Kosovo et nombre des civils restants ont été victimes d’abus.

Suite à cette guerre, le Kosovo a cessé d’être une province serbe.

En 2008, le Kosovo a déclaré son indépendance de la Serbie ce que de nombreux pays (dont la Serbie) ne reconnaissent pas. À savoir que pour qu’une indépendance soit reconnue à l’ONU, il faut qu’au moins les deux tiers des pays membres votent favorablement. Même pas la moitié des pays de l’ONU ont reconnu l’indépendance du Kosovo et aujourd’hui, de nombreux pays font marche arrière. Donc, au regard des lois internationales, le Kosovo n’est pas indépendant.

La KFOR, présente depuis 1999 pour mener une opération de police n’a jamais atteint ses objectifs. Elle n’a pas pu empêcher les pogroms anti-Serbes de 2004 et elle n’a pas empêché non plus des violences très récurrentes, notamment en 2015 dans plusieurs villes du Kosovo.

En 2013, les accords de Bruxelles signés entre  les premier-ministres serbe Aleksandar Vučić et kosovar Hashim Thaçi (incarcéré à la Haye depuis 2020 où il passe en jugement pour « crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, y compris meurtre, disparition forcée de personnes, persécution et torture »). prévoyant une autonomie pour les Serbes des dix communes situées au nord du Kosovo sont restés lettre morte.

Actuellement, la KFOR compte environ 3.800 soldats fournis par 27 pays. Sa mission qui a débuté en 1999 a pour but de « soutenir le développement d’un Kosovo stable, démocratique, multiethnique et pacifique ».

Des renforts de la KFOR ont également été déployés dans le pays ces dernières années, avec un nombre important en provenance de Hongrie.

Réactions à l’international

De manière générale, les récentes violences au Kosovo ont été considérées avec inquiétude par la communauté internationale, craignant l’instabilité qu’elle pourrait apporter à l’Europe étant donné l’impact déstabilisateur plus large de la guerre en cours de la Russie en Ukraine.

L’U.E. et les États-Unis ont intensifié leurs efforts pour négocier un accord entre la Serbie et le Kosovo ces derniers temps. Pour la première fois, tous les deux ont critiqué Pristina pour avoir autorisé les maires « élus » en zone majoritairement serbe à prendre leurs fonctions. Ils ont demandé la tenue de nouvelles élections.

C’est une nouveauté. Ça veut bien dire qu’en Europe, les gouvernements comprennent qu’ils ne peuvent plus continuer à avoir un abcès de fixation au flanc sud de l’Europe.

Les postures des responsables politiques locaux

Le président Kurti a évoqué le 1er juin la possibilité de la tenue de nouvelles élections mais pour cela, il faudrait que les électeurs serbes en fassent la demande, c’est-à-dire qu’ils arrêtent de boycotter les institutions. C’est à eux que la décision appartient désormais.

Mais depuis le début des violences de 2023, les deux parties ont intérêt à ce qu’il n’y ait pas de dialogue.

Côté albanais, le Premier ministre Albin Kurti, représentant d’un parti ultranationaliste anti-Serbes, défend la cause de l’indépendance. Le problème qui rend les Albanais nerveux au point d’envoyer leur police, c’est qu’ils ne parviennent pas à l’obtenir.

De son côté, le président serbe Aleksandar Vučić a tout intérêt à ce que la situation s’envenime car il est personnellement en perte de vitesse.

Il y a des manifestations très nombreuses à Belgrade depuis plusieurs semaines contre sa politique. Il a même été contraint de démissionner de la direction du Parti serbe du progrès (SNS) après d’importantes protestations qui ont eu lieu en réaction à deux fusillades de masse (17 morts) s’étant déroulées dans le pays les 3 et 4 mai. Pour lui, cette crise représente un enjeu plus intérieur qu’extérieur.

Au moment où les Européens semblent vraiment vouloir prendre en compte ces nouveaux facteurs (Josep Borrell, le chef de la politique étrangère de l’UE a déclaré le 30 mai : « nous avons déjà trop de violence en Europe aujourd’hui. Nous ne pouvons pas nous permettre un autre conflit »), les autres grandes puissances semblent avoir intérêt à ce que les troubles perdurent.

Les soldats américains ne se trouvaient pas devant les mairies par hasard. Ils sont venus du camp Bondsteel situé au Kosovo depuis 20 ans. Les Américains semblent être en train d’enfoncer le clou dans le dispositif russe.

Ils font ça à un moment où, en Ukraine, en Russie, en Géorgie, les évènements ne semblent pas jouer comme ils le souhaitaient. Dans ce grand jeu mondial dans lequel les Américains tentent de préserver leur premier rang d’influence politique, économique et militaire, ils essayent d’appuyer là où ça fait mal, même avec leurs « alliés ». Pour les Européens, le Kosovo est leur pièce maîtresse.

En face, les Russes eux aussi sont présents, puisqu’en Serbie centrale, ils ont proposé au président Aleksandar Vučić une « coopération militaire ».

Ce n’est pas rassurant au moment où les gouvernements européens perdent la main dans un jeu qui les dépasse et qui met les États-Unis face à la Russie sans oublier la Chine.

Ainsi, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Mao Ning, a déclaré le 30 mai : « nous soutenons les efforts de la Serbie pour sauvegarder la souveraineté et l’intégrité territoriale ». Il a fort à parier que Pékin n’a pas grand-chose à faire avec Belgrade mais quand il s’agit de s’opposer à Washington, toutes les armes sont les bonnes.

Les historiens se sont toujours interrogés sur ce qui avait pu provoquer la Première puis la Seconde guerre mondiale. La réponse est : une succession de petits conflits qui, pris séparément, n’avaient pas trop d’importance. C’est leur addition qui a conduit à deux apocalypses. Il semble que l’Histoire est en train de se répéter sans que les responsables politiques ne puissent éviter la glissade vers le précipice. Mais à l’époque du nucléaire, cela peut être encore plus dramatique. Washington ne semble pas se rendre compte que si son territoire a pu être préservé lors des deux premiers conflits mondiaux, cela pourrait ne pas être le cas dans l’avenir.

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Texte

Alain Rodier