Le 27 mai, les Shebabs somaliens, la branche d'Al-Qaïda en Afrique de l'Est, ont submergé une base militaire ougandaise dépendant de la « Mission de transition de l'Union africaine en Somalie » (ATMIS) dans la province de Bas-Shabelle. L’ATMIS mandatée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies et le Conseil de Paix et Sécurité de l'Union Africaine opérationnelle depuis le 1er avril 2022 a confirmé l'attaque mais n’a pas donné de bilan officiel.

Le contexte :

Les shebabs affiliés à Al-Qaida, combattent depuis plus de quinze ans le gouvernement fédéral soutenu par la communauté internationale afin d’instaurer la loi islamique en Somalie.

Pour contrer cette insurrection, l’Union africaine a déployé en 2007 l’Amisom, une force composée de 20.000 militaires, policiers et civils venus d’Ouganda, du Burundi, de Djibouti, d’Éthiopie et du Kenya.

L’Atmis a pris le relais de l’Amisom il y a un an avec comme but de rétrocéder la responsabilité de la sécurité du pays aux forces somaliennes fin 2024.

Chassés des principales villes en 2011-2012, les shebabs restent solidement implantés dans les zones rurales, d’où ils continuent de mener des attentats contre des cibles sécuritaires et civiles.

Ainsi, en 2016 un raid à El-Adde dans la région de Gedo, au sud de la Somalie avait fait entre 140 et 200 victimes au sein des militaires kenyans.

En janvier 2017, 68 soldats kenyans avaient été tués lors une autre opération de grande envergure menée par les shebabs contre une base militaire située dans le sud de la Somalie.

En août 2018, au moins 46 soldats ougandais avaient été tués par les shebabs lors d’un attentat suicide impliquant deux voitures piégées sur une base de l’Union Africaine (UA) dans le Bas Shabelle.

En mai 2022, les shebabs avaient lancé une attaque d’envergure contre une base tenue par des soldats burundais au nord de Mogadiscio dans le Moyen Shabelle. Des sources militaires burundaises ont fait état de 45 soldats tués ou disparus. Les shebabs ont annoncé 173 militaires tués.

Le 20 août 2022, les shebabs avaient pris d’assaut le célèbre hôtel Hayat dans la capitale somalienne – un lieu régulièrement fréquenté par les responsables gouvernementaux – assiégeant les locaux pendant trente heures avant que les forces de sécurité ne puissent les déloger (1). L’opération – qui a entraîné la mort de plus de vingt personnes – pourrait avoir été une tentative d’intimider le président Hassan Sheikh Mohamoud qui avait été élu pour un deuxième mandat non consécutif en mai, afin qu’il n’adopte pas une attitude agressive envers le groupe. Le résultat a été l’inverse, Mohamoud prônant désormais une « éradication » des shebabs.

Le 29 octobre 2022, deux voitures piégées ont explosé à Mogadiscio tuant 121 personnes et blessant 333 autres (2).

Depuis le début 2023, les shebabs ont mené au moins 22 attentats-suicides.

Un rapport récent de Voice of America (VOA) a révélé que depuis 2007, au moins 3.500 militaires de l’UA avaient  été tués en Somalie en combattant shebabs, certains observateurs pensant que ce nombre pourrait être plus important.

Dans un rapport au Conseil de sécurité de l’ONU en février, le secrétaire général Antonio Guterres a affirmé que 2022 avait été l’année la plus meurtrière pour les civils en Somalie depuis 2017.

L’assaut du 27 mai :

L’attaque a débuté à l’aube avec trois voitures piégées qui ont été  lancés sur la base des Forces de défense du peuple ougandais (UPDF) à Buulo Mareer, dans la province du Bas-Shabelle.

Dans la foulée, des centaines de shebabs ont investi la position provoquant une intense fusillade. Les résidents locaux ont rapporté avoir entendu des explosions tout au long de la matinée.

Ils ont également rapporté que les shebabs avaient brièvement pris le contrôle de la ville elle-même, patrouillant dans les rues et pillant les postes militaires somaliens locaux.

Pour leur part, les shebabs ont confirmé avoir utilisé plusieurs voitures piégées lors du raid tout en affirmant avoir tué plus de 130 soldats de l’UPDF dans la base en plus d’avoir fait deux prisonniers.

Le bilan avancé est certainement exagéré mais les photos publiées par les  shebabs montrent plus d’une douzaine de soldats ougandais tués et deux prisonniers.

D’autres images montrent la destruction complète de la base, y compris des chars et des véhicules blindés.

Le lieutenant-général ougandais Kayanja Muhanga commandant général des forces terrestres de l’UPDF a été envoyé en Somalie dans le cadre de l’enquête mené par les autorités ougandaises sur cette dernière attaque.

Le raid de shebabs intervient alors que les États-Unis ont lancé leur huitième frappe de drones de l’année en Somalie, ciblant Maalim Ayman, le chef de Jayish Ayman, une unité des shebabs qui mène des opérations terroristes en Somalie et au Kenya voisin.

Les offensives gouvernementales :

À partir d’août 2022, dans le cadre des nouvelles directives données par le président somalien, une importante offensive était lancée contre les shebabs dans le centre du pays exploitant le mécontentement croissant des populations à l’égard de l’insurrection islamiste, en particulier au sein du clan Hawiye. Les populations qui avaient déjà du mal à accepter l’« impôt révolutionnaire » et la charia appliquée dans toute sa rigueur s’étaient révoltées contre le recrutement forcé de jeunes par les shebabs.

Grâce à la coopération des clans locaux, l’opération militaire avait alors donné de bons résultats délogeant les insurgés d’une partie importante du centre de la Somalie.

Le gouvernement envisage désormais d’étendre l’offensive dans le Jubaland et l’État du Sud-Ouest. Toutefois, le Sud de la Somalie présente des défis différents, les clans régionaux n’ayant pas fait preuve du même mécontentement à l’égard du mouvement islamiste que leurs homologues du centre.

Et le gouvernement ne doit pas perdre de vue les besoins des populations dans les régions récemment reconquises, car sinon elles pourraient très bien retomber dans les mains des shebabs.

Avant de lancer une nouvelle offensive majeure, il doit s’assurer qu’il dispose de forces de maintien de l’ordre nécessaires pour contrôler les zones récupérées. Il devrait également mener des efforts de réconciliation et améliorer les services de base dont les habitants ont longtemps été privés.

Pour Mogadiscio, à court d’argent, cela pourrait s’avérer difficile, et les donateurs internationaux devront intervenir pour apporter leur soutien.

Des forces supplémentaires de Djibouti, du Kenya et d’Éthiopie devraient rejoindre la Somalie pour aider les forces fédérales dans cette opération qui doit être menée dans un cadre national (n’engageant par l’Union africaine).

Pour leur part, les autorités locales du Jubaland ont rejeté jusqu’à présent les demandes de coopération faites par le gouvernement fédéral (visant à suivre l’exemple du clan Hawiye) – bien que le rejet soit largement basé sur des rivalités politiques intra-somaliennes et pas sur un soutien local effectif aux islamistes radicaux -.

Ce qui est certain, c’est que la guerre civile en Somalie va perdurer et continuera à pourrir la situation dans la Corne de l’Afrique.

 

1. Voir : « SOMALIE : la branche locale d’Al-Qaida continue le combat » du 22 août 2022.
2. Voir : « SOMALIE : Nouveaux attentats meurtriers attribués aux shebabs » du 1er novembre 2022.

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Texte

Alain Rodier