Selon l'analyse de nouvelles images satellite publiées en avril 2023, les bombes anti-bunker « Massive Ordnance Penetrator (MOP) GBU (Guided Bomb Unit)-57 » au pouvoir de pénétration les plus puissantes de l'US Air Force pourraient être incapables de détruire certaines installations enterrées (dont des nucléaires) iraniennes voire nord-coréennes.

Les MOP GBU-57 d’un poids de 13.600 kilos  sont des bombes guidées par GPS spécialement conçues pour pénétrer des cibles hautement fortifiées telles que les installations souterraines. Elles peuvent toucher leurs  objectifs avec une très grande précision.

L’agence Associated Press (AP) s’est intéressée à différents sites iraniens dont celui de Natanz, sur la base d’images fournies par « Planet Labs » ainsi que par des analyses du « James Martin Center for Nonproliferation Studies (CNS). »

Le site de Natanz bien connu des spécialistes est situé à environ 225 kilomètres au sud de Téhéran. Comme le suggère AP, l’Iran semble avoir entrepris la construction de divers tunnels souterrains dans les monts Zagros au sud de ce site (photo ci-après).

En raison de sa taille, l’Iran serait probablement en mesure d’utiliser ces installations souterraines pour enrichir de l’uranium à l’abri de la protection naturelle de la montagne.

La construction du complexe nucléaire de Natanz avait commencé au début des années 2000.

Mais il avait été l’objet de plusieurs attaques en 2020 et 2021, un incendie ayant détruit une grande partie du Centre d’assemblage de centrifugeuses iraniennes (ICAC), une usine en surface. L’origine de ces « incidents » avait été attribuée à Israël. Il avait alors été décidé de construire un nouveau complexe dans les montagnes voisines.

Citant des experts du CNS, l’AP rapporte que les nouvelles installations en cours de construction se situeraient à une profondeur comprise entre 80 mètres et 100 mètres.

Et c’est là le problème : la profondeur maximale à laquelle les MOP GBU-57 peuvent parvenir est d’environ 60 mètres.

Il n’est pas précisé si ce chiffre tient également compte de la pénétration à travers les couches de béton armé qui sont souvent utilisées pour consolider les installations souterraines sensibles.

De plus, des experts de l’« Institut pour la science et la sécurité internationale », une organisation à but non lucratif basée à Washington et axée sur le programme nucléaire iranien, affirment que les tunnels souterrains pourraient être encore plus profonds que l’estimation suggérée par leurs collègues du CNS.

Le réseau de tunnels à proximité du site de Natanz n’est pas la seule installation souterraine iranienne apparemment hors de portée des bombes MOP américaines.

Le site de développement nucléaire iranien creusé profondément dans une montagne à Fordo (photo ci-après), souvent considéré comme l’installation nucléaire la plus sensible d’Iran, aurait une profondeur d’environ 90 mètres. Il est également protégé par plusieurs mètres de béton armé.

Bien sûr, il existe des abris enterrés pour des armements classiques pouvant accueillir des missiles et même des avions de chasse. Mais, ils constituent des objectifs considérés comme secondaires pour une éventuelle attaque aérienne américaine ou israélienne car son but essentiel serait de neutraliser ou au moins de ralentir le programme nucléaire miliaire iranien.

Tactique pouvant être employée

Il est possible que plusieurs bombardiers furtifs B-2 Spirit puissent larguer des MOP les unes derrière les autres sur le même objectif. Leur système de guidage GPS leur permet de tomber quasi au même endroit.

L’US Air Force a déclaré dans le passé que des versions « inertes » des MOB  pourraient être utilisées en premier pour creuser le sol. En quelque sorte, ces bombes « attendriraient » le terrain. Ainsi, les bombes explosives suivantes pénètreraient de plus en plus profondément dépassant la profondeur de 60 mètres.

Il est possible qu’il y ait des points faibles dans les infrastructures des installations iraniennes qui pourraient être exploités pour augmenter la pénétration. Mais dans le cas des tunnels du massif Zagros, le sol paraît vraiment très dense.

Toutefois, le nombre de MOP nécessaires pour obtenir des résultats significatifs serait très élevé. En effet, les objectifs à traiter sont nombreux et répartis en différents points du territoire iranien.

Les installations souterraines seraient conçues en « segments » avec des portes anti-souffles séparant les sections clés. Cela signifie que si une zone est touchée, les autres ne seraient pas impactées ou, au moins, les dégâts pourraient être considérablement réduits.

Les informations restent limitées sur le nombre exact de MOP détenues  par l’US Air Force. En 2015, 20 bombes MOP avaient été livrées par Boeing. Ce chiffre a probablement été augmenté depuis. Cela comprendrait la variante GBU-57D/B dans l’inventaire opérationnel depuis 2016 et peut-être la plus récente GBU-57F/B.

Bien qu’ayant été testée sur les bombardiers B-52, c’est le B-2 qui sert de plate-forme de lancement et seulement 21 exemplaires ont été fabriqués.

La société Northrop Grumman a développé entre 2007 et 2010 un adaptateur permettant à cet aéronef d’emporter deux bombes MOP.

Le futur bombardier furtif Northrop Grumman B-21 Raider, plus petit, devrait pouvoir transporter une MOP.

Enfin, d’autres bombes pourraient cibler les points d’entrée connus d’installations souterraines dans le but de les obstruer au moins temporairement.

Le GBU-57 constituant le plus gros modèle de l’inventaire américain, des plus petites « anti-bunkers » telles les BLU (Bomb Live Unit)-109, BLU-118 ou BLU-137 ou les GBU-28 ou des GBU-72 pourraient être utilisées à cette fin.

Il existe d’autres moyens d’attaquer ces installations, bien sûr, mais avec des effets potentiels et des facteurs de risques imprévisibles.

En dernier recours, il reste l’emploi de l’arme atomique. La B83 est l’une des armes envisagées pour être utilisées dans le projet « Nuclear Bunker Buster ». Les deux autres sont les B61-11 et 12. Ces armes emportées sous avion, selon le réglage de leur puissance (de 0,3 kt à 1,2 mt – pour la B83 -) sont considérées comme « tactiques » ou « stratégiques.»

La problématique géopolitique

Selon le dernier rapport de l’organisme de surveillance nucléaire des Nations Unies, l’Iran produit désormais de l’uranium proche des niveaux de qualité militaire. Les inspecteurs ont récemment découvert que le pays avait produit des particules d’uranium pures à 83,7 % à l’usine d’enrichissement de combustible de Fordo. C’est bien supérieur au 60 % officiellement annoncés par Téhéran. C’est est extrêmement proche du seuil de 90% d’uranium de qualité militaire.

Les négociations du le JCPOA sont pour l’instant dans l’impasse sans grand espoir de redémarrage significatif.

Les durs du régime iranien sont maintenant aux manettes. Ils savent que le régime ne sera sauvé que s’il accède, au minimum, au seuil nucléaire.

Parallèlement, Israël a également un gouvernement très à droite qui rêve d’en découdre avec les mollahs iraniens.

Les seuls arbitres restent les Américains mais ces derniers reprochent à Téhéran sa politique pro-Russie.

Cela donne un cocktail politique explosif…

Sur le plan tactique, le problème est compliqué. L’Arabie saoudite semblait disposée à laisser des appareils étrangers utiliser son espace aérien pour aller bombarder l’Iran. Cela est moins évident aujourd’hui alors que Riyad vient de rouvrir ses relations diplomatiques avec Téhéran.

Les Américains n’on aucun intérêt à ce que les accords d’Abraham soient mis en stand by.

L’Irak ne souhaite pas que son ciel soit utilisé pour attaquer son voisin iranien avec lequel les relations sont, certes chaotiques, mais indispensables.

Les Israéliens n’ont ni les bombes ni les vecteurs nécessaires pour écraser l’effort nucléaire iranien. De plus, toute action unilatérale se traduirait par une explosion régionale entraînant l’État hébreu – et toute la zone – dans un chaos indescriptible.

Et surtout, malgré les déclarations, Washington ne paraît pas avoir la volonté d’intervenir, sa préoccupation principale étant ailleurs dans le Pacifique.

 

1. Voir : « Nucléaire iranien: sabotage à Natanz » du 14 avril 2021.

Publié le

Texte

Alain Rodier