La championne américaine du basket Brittney Griner, détenue en Russie depuis neuf mois, a été libérée le 8 décembre dans le cadre d'un échange de prisonniers avec Moscou contre le marchand d'armes russe Viktor Bout, incarcéré depuis dix ans aux États-Unis

L’échange s’est déroulé à l’aéroport d’Abou Dhabi, aux Émirats arabes unis.
L’Arabie saoudite a également participé à la procédure d’échange, selon un communiqué conjoint des deux pays, précisant que « la médiation a été menée » par le président des Émirats arabes unis, Mohammed ben Zayed, et par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane.

Un haut responsable américain a affirmé que la discussion avec Moscou – initiées par Washington – était restée focalisée sur la libération de Brittney Griner, et les États-Unis l’ont fait savoir à leurs alliés.

Un Américain détenu en Russie depuis 2018, l’ancien militaire Paul Whelan, vétéran de la guerre d’Irak, n’a pas été inclus dans l’échange. « Même si nous avons échoué à obtenir la libération de Paul, nous n’abandonnerons jamais » a assuré Joe Biden.

Un haut responsable a également déclaré que la Russie avait « rejeté toutes nos propositions pour la libération » de Paul Whelan […] Ce n’était pas une situation dans laquelle nous pouvions choisir quel Américain rapatrier. Nous avions le choix faire revenir entre une Américaine en particulier, Brittney Griner, ou ne ramener personne ».
Cette déclaration semble sujette à caution. Moscou aurait libéré un des deux prisonniers (qui peuvent être qualifiés d’otages) et c’est le président américain qui a été contraint de faire un choix…

Whelan qui a été arrêté en décembre 2018 en Russie, a été condamné en 2020 à 16 ans de prison pour « espionnage », une condamnation qu’il a dénoncée comme montée de toutes pièces. Même si c’est le cas, il semble être tombé dans une provocation, la championne US, elle, n’avait pas grand chose à se reprocher en dehors d’avoir dans ses bagages une vapoteuse (autorisé) et du liquide contenant quelques grammes de cannabis. Or, ce produit interdit en Russie mais on ne peut pas parler de trafic puisque cela était destiné à son usage personnel.
En août, elle avait été condamnée à une peine de neuf ans d’emprisonnement, ce qui est à l’évidence plus qu’excessif. Après le rejet de son appel, avait été transférée en novembre dans une colonie pénitentiaire dans le centre de la Russie, moyen le plus sûr de faire pression sur la Maison-Blanche.

Moscou garde Paul Whelan afin de tenter de l’échanger contre le présumé officier du FSB Vadim Krasikov (photo ci-avant) condamné en 2021 à la prison à vie en Allemagne pour l’assassinat de l’opposant tchétchène Zelimkhan Khangoshvili le 23 août 2019 dans le parc de Kleiner Tiergarten à Berlin. Washington affirme ne pas être en mesure d’intervenir auprès de la justice allemande, ce qui est juridiquement exact.

Le nom de Viktor Bout pour cet échange avait été évoqué dès l’été. Il était une légende au sein des services de renseignement car son parcours était atypique.
D’origine tadjik, ancien officier de l’armée soviétique ayant été formé à l’Institut militaire des langues étrangères de Moscou (il est polyglotte parlant au moins dix langues), il travaille ensuite comme officier interprète dans l’armée de l’air soviétique.
Après l’effondrement du Pacte de Varsovie, il quitte l’armée et se spécialise dans le commerce d’armes. Il profite du fait que des monceaux d’armements du Pacte de Varsovie sont à l’abandon, d’abord pour constituer une flotte aérienne privée puis pour revendre les stocks. Il a beaucoup commercé en Afrique vendant ses services à de nombreux États, à des mouvements d’opposition et des puissances internationales (dont la France). Il a également apporté son aide aux Américains en Afghanistan connaissant bien le pays puisqu’il avait remis sur pied la compagnie d’aviation Ariana Afghan Airlines du temps des taliban (ce qu’il nie farouchement). La présence de certaines de ses multiples sociétés a été décelée en Amérique latine.

Il était soupçonné agir pour le compte des services de renseignement russes (il n’aurait rien pu faire si cela n’avait pas été le cas) mais il est vraisemblable qu’il a surtout travaillé pour son propre compte acceptant toute clientèle solvable. Cela dit, il s’est assis sur toutes les lois régulant le marché des armes, en particulier sur les « certificats de destination finale ». C’est à ce tire qu’il a été recherché par Interpol (recherches bloquées par les USA jusqu’en 2005, car, à l’époque, il était en affaires avec Washington…).

Il a été arrêté en Thaïlande en 2008 par des Agents de la DEA sous couverture de membres des FARC colombiennes désireux d’acheter des armes. Extradé en 2010 vers les États-Unis, il a été condamné à une peine de 25 ans de prison.
S’il faut le comparer à un « homologue », le nom d’Erik Prince, le fondateur de Blackwater (aujourd’hui Academi) vient naturellement à l’esprit même si ce dernier fournissait en plus des forces combattantes. Actuellement, il est installé aux EAU.

Américains et Russes s’accusent mutuellement de détenir leurs ressortissants respectifs à des fins politiques. C’est vrai dans les deux cas mais, au moins, les Américains ont toujours à la base une accusation qui peut être soutenue devant un tribunal. Plusieurs échanges de prisonniers ont eu lieu par le passé.

Quant à l’avenir de Bout qui a été retiré de la circulation depuis 2008, il est aléatoire car il n’a qu’une importance marginale à Moscou. C’est d’ailleurs la différence avec Washington où la libération de Brittney Griner est très importante pour l’électorat démocrate (celle de Paul Whelan en aurait eu pour le camp des Républicains).
C’est donc un succès pour l’administration Biden alors que la libération de Bout n’a aucun écho dans la population russe même si sa récupération en a pour le Kremlin qui prouve que les autorités ne laissent personne derrière elles.

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Texte

Alain Rodier

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