Le président Vladimir Poutine a mis en alerte ses forces stratégiques à la fin février(1). Il semble que cette menace à peine voilée vise essentiellement les pays européens et l’OTAN qui ont une attitude « hostile » vis-à-vis de Moscou et cela ne date pas de l’invasion de l’Ukraine.

Plus particulièrement, il existe deux bases de missiles anti-missiles de l’OTAN en Europe, l’une en Pologne qui devrait être opérationnelle cet été et l’autre en Roumanie qui est en fonction depuis cinq ans.
C’est Washington qui avait décidé leur construction pour contrer une « menace stratégique iranienne » qui n’existe pas – au moins à court ou moyen terme -. Moscou en a déduit que ces installations étaient destinées à parer toute attaque de missiles – d’où qu’ils viennent – dirigée contre le territoire américain et qui passent au dessus de l’Europe occidentale.
À ce titre, il est possible qu’elles figurent dans la liste des objectifs qui pourraient être désignés aux forces stratégiques russes. Les armes utilisées ne seraient pas obligatoirement nucléaires étant donnée la petite taille des installations, des missiles à tête classique pourraient être suffisants pour les détruire.

Durant la guerre Froide, les deux parties avaient bien développé des systèmes anti-missiles mais ils les ont abandonné d’un commun accord en 1972. Cela a fonctionné pendant 30 ans jusqu’à ce que le président George W. Bush retire en décembre 2001 les États-Unis du Traité des missiles anti-balistiques à la grande fureur des Russes, ce qui a permis au Pentagone de lancer le système basé en Europe dirigé théoriquement contre l’Iran. Seulement, le président Trump a déclaré ouvertement durant son mandat que ce système pourrait « détecter et détruire tout missile lancé contre les États-Unis n’importe où, n’importe quand … ». Clairement, l’Iran n’était plus le seul pays hostile visé !

Le site le plus médiatisé est celui de Redzikowo situé sur une ancienne base aérienne. Le périmètre extérieur est gardé par des militaires polonais. Un système d’interception anti-missiles « Aegis Ballistic Missile Defense System » (Aegis BMD or ABMD) terrestre (en plus court Aegis Ashore) devrait être opérationnel cette année. Cet armement équipant surtout les navires de guerre américains, il est géré par l’US Navy. Les armes utilisées sont tirées depuis des lanceurs verticaux Mark-41.
Selon Moscou, de « défensifs » comme le sont les missiles anti-missiles SM-3 (non dotés d’une tête explosive), ils pourraient devenir « offensifs » s’ils étaient remplacés par des Tomahawk qui peuvent eux être armés d’une tête nucléaire.

La Roumanie a accepté en 2011 que la base aérienne Deveselu désaffectée depuis 2002 accueille le « Aegis Ashore Missile Defense Complex Romania » qui est sous le commandement opérationnel de la base aérienne de Ramstein (Allemagne) tout en étant administrativement placé sous la houlette de la 6è Flotte américaine. Depuis cinq ans, elle active un radar AN/TPY-2 et un système de lancement vertical de 24 missile SM-3. Deux cents militaires américains y sont affectés en permanence.

Avant l’invasion de l’Ukraine, l’OTAN devait négocier l’autorisation d’accès de ces bases à des observateurs neutres afin de faire preuve de transparence. Déjà, il était avancé que ces installations ne sont pas équipées des technologies et des infrastructures nécessaires pour lancer des missiles offensifs. Le seul problème est que pour en être certain, il fallait aller voir sur place.

La dissuasion nucléaire ne peut fonctionner que si les deux parties sont certaines qu’une guerre atomique ne pourrait être gagnée car les destructions infligées seraient inacceptables. Si l’une des parties pense qu’elle peut neutraliser les tirs stratégiques adverses, elle risque d’être tentée de procéder à une première frappe. C’est pour cette raison que l’installation de systèmes anti-missile participe à la déstabilisation stratégique des grandes puissances. Si en plus, ces installations ont les capacités de devenir des bases de départ pour des attaques directes, c’est encore plus inquiétant. La crise de Cuba de 1962 en a été le meilleur exemple.
Pour conclure, lors de la crise des euromissiles (1977-1987) qui a opposé les SS-20 soviétiques aux Pershing américains, le président François Mitterrand avait déclaré le 13 octobre 1985 : « les pacifistes sont à l’Ouest, leurs euromissiles à l’Est ». Aujourd’hui, les armes de destruction massives sont des deux côtés.
Personne ne sait quel rôle ces deux systèmes vont jouer au cours des prochaines semaines (surtout que le Polonais n’est pas encore opérationnel pour l’instant) alors que la Russie a lancé l’invasion de l’Ukraine. Mais la mise en garde de Poutine a certainement fait bouger les choses et ces deux installations pourraient être pleinement opérationnelles rapidement.

Pour conclure, la guerre nucléaire est aujourd’hui toujours improbable – mais pas impossible -. Moscou a demandé le 1er mars le retrait des armes nucléaires américaines d’Europe, la force maritime nucléaire stratégique française a monté d’un échelon son niveau de préparation, d’autres mesures secrètes sont certainement prises. Pour une fois, pour les personnels servant dans les composantes nucléaires des différents pays impliqués, ce n’est plus un « exercice »…

1. Voir : « Alertes stratégique renforcée en Russie » du 1er mars 2022. Élément nouveau : l’invasion de l’Ukraine ayant été préparée bien en amont, il est vraisemblable que les forces stratégiques – particulièrement sous-marines – ont été déployées depuis plusieurs semaines en Méditerranée et dans l’Atlantique Nord.

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Texte

Alain Rodier

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