Le président Emmanuel Macron a fait le louable effort de tenter une médiation entre la Russie et l’Ukraine et plus généralement avec l’OTAN donc les États-Unis. Bien qu’une partie de la presse ait présenté la France comme la « deuxième force de l’Alliance » derrière les États-Unis, cela n’est pas exact au moins si l’on prend en compte le nombre d’hommes et de femmes sous les drapeaux : la deuxième armée de l’OTAN est la Turquie (selon Global Firepower 2020 : 425.000 militaires turcs en activité contre 205.000 en France)(1). Et le président Recep Tayyip Erdoğan se voit bien en « médiateur ».

Le problème réside dans le fait qu’il a le don de s’attirer l’ire à la fois de Moscou et de Washington sous le regard intéressé de Kiev.

Malgré les relations privilégiées qu’il dit entretenir avec le président Vladimir Poutine(2), Erdoğan a provoqué les critiques de Moscou non seulement pour sa solidarité affichée avec Kiev (qui s’est traduite par la livraison et l’autorisation de fabrication sous licence de drones armés TB-2 Bayraktar) mais aussi pour avoir qualifié la Crimée de « territoires usurpés » (depuis 2014). Plus grave encore, Erdoğan soutient l’extension de l’OTAN dans la région de la mer Noire car il soupçonne Moscou de vouloir poursuivre son expansion dans les pays voisins considérés comme « tampons de sécurité » en utilisant les populations d’origine russe qui y sont présentes en nombre. Il a même appelé cette politique d’influence de « mentalité de l’occupation »…

L’engagement d’Ankara dans la Convention de Montreux de 1936 qui régule le passage des navires de guerre par les détroits du Bosphore et des Dardanelles reste un immense souci pour la Russie. Pour l’instant, les pays de l’OTAN qui ne sont pas riverains de la mer Noire voient leurs droits de passage limités. Le projet du percement du « canal d’Istanbul » qui relierait la mer Noire à la mer de Marmara dont la première pierre a été posée le 26 juin 2021 par le président Erdoğan qui échapperait à toutes conventions internationales est sur la table pour les années à venir car il permettrait aux navires de guerre américains et de l’OTAN de se rendre en nombre sur place.

La coopération russo-turque reste fondamentale et un conflit en Ukraine aurait des effets ravageurs au moins pour l’économie turque. Ankara doit compter avec les gazoducs, ses exportations agricoles, son tourisme, des contrats dans le domaine du bâtiment en Russie ainsi que la construction de la centrale nucléaire d’Akkuyu dôtée d’une technologie russe.La Turquie a aussi besoin de la Russie pour poursuivre sa politique d’influence dans le Caucase après avoir aidé l’Azerbaïdjan à récupérer le Haut-Karabakh après la guerre de 2020.C’est vraisemblablement pour toutes ces raisons qu’Ankara a refusé pour le moment de se joindre aux sanctions décrétées par les États-Unis et les Européens envers la Russie. Le problème va se reposer si de nouvelles mesures coercitives touchent le secteur bancaire.

Donc, au début février, le président Erdoğan a appelé ses homologues Poutine et Volodymyr Zelensky les invitant à se rencontrer en Turquie. Mais ce projet est maintenant remplacé par une éventuelle visite d’Erdoğan à Kiev puis à Moscou.

Bien que voulant se positionner comme un interlocuteur impartial, Ankara qui, comme évoqué ci-avant, a des difficultés avec la Russie, n’a pas non plus une réputation sans taches au sein de l’OTAN depuis sa décision de se doter de systèmes anti-aériens russes S-400. Non seulement ces derniers sont incompatibles avec la défense sol-air de l’Alliance mais ils pourraient permettre aux Russes d’acquérir plus de connaissances sur les capacités opérationnelles des appareils en service au sein de l’OTAN.

Il n’empêche que profitant des divisions entre les États-Unis et l’Europe, et entre certains pays européens (Pologne et pays baltes d’un côté, Allemagne, Hongrie et Autriche de l’autre), Erdoğan suit un parcours sinueux qui lui permet de défendre les intérêts turcs. Et il ne veut surtout pas d’une guerre qui pourrait embraser la mer Noire. Pour une fois, il est un acteur de modération !

 

1. Mais il semble qu’Emmanuel Macron intervenait plus en tant que président en exercice de du Conseil de l’Union européenne plus qu’en tant que président français.

2. Le président Poutine n’a pas d’« amis » et particulièrement pas son homologue turc auquel il ne pardonne pas d’avoir fait abattre à la frontière syro-turque le 24 novembre 2015 un Soukhoï Su-24. Il fait uniquement de « real-politic ».

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Texte

Alain Rodier

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