L’année 2021 a vu l’exacerbation des tentions géopolitiques entre l’Occident d’un côté et la Chine et la Russie de l’autre. De partout venaient des appels à la mobilisation, aux sanctions, en bref à la guerre. Le 3 janvier, les cinq membres du Conseil de sécurité ont publié une déclaration commune rappelant qu’une guerre nucléaire n’aurait ni gagnant ni perdant. Par là même, ils rappellent aux pays très belliqueux dans leurs déclarations qu’il y a des limites qu’ils ne dépasseront pas. Enfin, cette très rare déclaration commune des cinq membres du Conseil de sécurité intervient au moment ou les négociations sur le nucléaire iranien ont repris à Vienne.

Dans ce texte, publié avant la dixième conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération (TNP) qui devrait se tenir du 24 au 28 janvier 2022, « la République populaire de Chine, les États-Unis d’Amérique, la République française, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et la Fédération de Russie considèrent qu’il est de leur responsabilité première d’éviter une guerre entre États dotés d’armes nucléaires et de réduire les risques stratégiques […] Compte tenu des conséquences de grande ampleur qu’aurait l’emploi des armes nucléaires, nous affirmons également que celles-ci, tant qu’elles existent, doivent servir à des fins défensives, de dissuasion et de prévention de la guerre».
Les chefs d’État confirment la conscience qu’ils ont de la dangerosité de l’arme nucléaire excluant théoriquement toute « première frappe »(1). Il y a tout de même la nuance que si un pays considère que ses intérêts vitaux sont gravement menacés par un adversaire même si ce dernier n’a utilisé que des moyens classiques, « elles [ses armes nucléaires] peuvent servir à des fins défensives ».
Toutefois, les cinq affirment : « nous entendons continuer à rechercher des approches diplomatiques bilatérales et multilatérales pour éviter les affrontements militaires, renforcer la stabilité et la prévisibilité, accroître la compréhension et la confiance mutuelles, et prévenir une course aux armements qui ne profiterait à personne et nous mettrait tous en danger ». Ce passage est fondamental car il replace les continuelles menaces qui sont proférées par les uns comme par les autres à leur niveau : celui de la polémique ayant très souvent des objectifs de politique intérieure.

Dans le domaine de la prolifération et du désarmement, les cinq déclarent : « Nous sommes fermement convaincus de la nécessité de prévenir la poursuite de la dissémination de ces armes nous demeurons déterminés à respecter nos obligations en vertu du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), notamment celle qui figure à l’article VI(2) de poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace et soulignent la nécessité de respecter leurs accords bi et multilatéraux sur la non-prolifération, le désarmement et le contrôle des armements ».
Il vient tout de suite à l’esprit les négociations menées avec Téhéran à Vienne qui ont pour objectif que l’Iran ne soit jamais doté de l’arme atomique.

Mais, il est aussi question dans ce texte de la « cessation de la course aux armements nucléaires » dans laquelle Moscou et Washington semblent pourtant être repartis – au moins en ce qui concerne la modernisation des armements et vecteurs existant et c’est là où l’on entre ensuite dans le domaine du vœu pieux avec la suite : « [travailler] au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace ». Il est peu probable qu’un des cinq pays membre du Conseil de sécurité ne désarme unilatéralement et encore moins que les cinq le fassent simultanément.

Il reste que la promulgation de cette déclaration conjointe (il est extrêmement rare que les cinq membres du Conseil de sécurité fasse preuve d’une telle unanimité) une excellente chose au moment de nombreux dirigeants politiques des pays tiers multiplient les déclarations belliqueuses inconsidérées. En particulier, cela démontre que les dirigeants des pays membres du Conseil de sécurité ne sont pas disposés à aller faire la guerre pour les autres (ce qui n’exclut en rien qu’il ne la fasse pas pour eux-mêmes pour défendre leurs intérêts).
Il ne faut également pas oublier qu’en plus des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, quatre autres pays disposent de l’arme nucléaire : l’Inde, le Pakistan et Israël (qui ne sont pas signataires du TNP) et la Corée du Nord (qui s’en est retirée).
Enfin, cette déclaration, aussi solennelle soit-elle, ne va pas régler les conflits de la planète. Elle ne fait que rappeler les limites qui ne seront pas dépassées – en particulier, le seuil nucléaire -. Le terrorisme, les opérations d’influence, les affrontements via des tiers, les conflits asymétriques, etc. vont perdurer.

1. La « deuxième frappe » vient en réponse à l’emploi en premier par un adversaire d’armes nucléaires mais peut également répondre à l’emploi d’armes radiologiques, bactériologiques ou chimiques. C’est le cœur de la dissuasion.
2. Article VI du TNP (3 – 28 mai 2010).
Chacune des Parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace.

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Texte

Alain Rodier

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