L’étonnement a été grand pour beaucoup de constater qu’Israël a apporté son aide militaire - en particulier des drones, mais aussi dans le domaine du renseignement - à l’Azerbaïdjan lors du conflit de 44 jours à l’automne 2020 avec l’Arménie (1). Historiquement, après l’éclatement de l’URSS, l’État hébreux a été l’un des premiers à reconnaître officiellement l’Azerbaïdjan le 25 décembre 1991.

Cette alliance qui peut paraître contre nature (l’État juif qui s’accoquine avec un pays à majorité musulmane chiite), est en réalité tout à fait logique car l’Azerbaïdjan et Israël ont tout deux un ennemi commun : l’Iran des Ayatollahs.

Si pour Israël cela semble évident depuis que les responsables politico-religieux en place à Téhéran se sont succédés en appelant à la destruction de l’État juif, pour l’Azerbaïdjan, c’est plus subtil. Comme son nom l’indique, il est peuplé à plus de 90% d’Azéris dont les « cousins » constituent environ 20% de la population iranienne. Ils sont surtout présents dans le nord-ouest du pays. Peut-être plus grave encore, de nombreux cadres (dont Ali Khamenei le Guide suprême de la Révolution lui-même) dont des pasdarans qui constituent l’épine dorsale du régime sont des Azéris.

À remarquer cependant que si Israël a bien une ambassade à Bakou, l’inverse n’est pas encore vrai. Cela aurait reconnu comme une véritable provocation par Téhéran. Mais début août de cette année, un bureau commercial azéri a été ouvert à Tel Aviv…

Les intérêts des différentes parties :

Pour l’Azerbaïdjan, Israël est un client pour les hydrocarbures car l’État hébreu couvre ainsi 40% de ses besoins pétroliers. Pour cela, c’est le pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyhan qui est principalement utilisé. Sa longueur est de 440 km en Azerbaïdjan, 260 km en Géorgie et enfin 1 076 kilomètres en Turquie. On retrouve là le côté pragmatique du président turc Erdoğan qui a rompu officiellement avec Israël en raison de la politique menée par ce pays à l’égard des Palestiniens et qui, en même temps, laisse passer (en touchant de conséquentes royalties) le pétrole vers l’État hébreu.

Il faut aussi reconnaître qu’en Azerbaïdjan, la Turquie et Israël sont là pour aider Bakou contre l’Arménie (2) et, indirectement contre l’Iran. Les « conseillers » israéliens et turcs doivent au minimum se « croiser » à Bakou.

C’est d’ailleurs là que le véritable intérêt des Israéliens : avoir une base d’observation (et peut-être d’action) donnant sur l’Iran.

Il est difficile de savoir quelle sera la politique du nouveau président iranien Brahim Raisi et du Conseil national de sécurité dans l’avenir vis-à-vis de l’Azerbaïdjan mais il est vraisemblable qu’elle sera plus dure. Des manœuvres militaires ont eu lieu à la frontière en octobre de cette année, une première depuis l’effondrement de l’URSS. Téhéran avait été très irrité par les premiers exercices militaires tripartites « les trois frères 2021 » qui s’étaient déroulés entre la Turquie, l’Azerbaïdjan et le Pakistan à Bakou en septembre.

Toutefois, il est vraisemblable que Téhéran ne souhaite pas un affrontement direct avec son petit voisin car les conséquences seraient imprévisibles donnant à Israël et aux États-Unis le prétexte qu’ils attendent depuis longtemps pour mener au moins une offensive aérienne contre le complexe militaro-industriel iranien. Quant aux Russes, il est aussi vraisemblable qu’ils soutiendraient – même discrètement – l’Azerbaïdjan. L’Arménie se retrouverait au milieu du brasier mais ne pourrait participer à la curée contre l’Azerbaïdjan de crainte que la Turquie n’intervienne directement dans son dos… Aucun responsable politique raisonnable de doit souhaiter déclencher les hostilités qui pourraient rapidement déborder.
À remarquer que Téhéran et l’Azerbaïdjan ont déclaré au début octobre vouloir « régler le problème par le dialogue ». Toutefois, des manœuvres de déstabilisation intérieures pilotées par les pasdaran sont parfaitement envisageables pour tenter de renverser le pouvoir du clan Aliyev en place à Bakou. Il est symptomatique de constater que l’ambassade d’Israël à Bakou a été visée à plusieurs reprises par des tentatives d’attentats connus (2008, 2012, 2013).
Quant aux discussions qui ont lieu pour l’ouverture au sud de l’Arménie du « corridor de Zangezur » de 158 kilomètres qui relierait l’Azerbaïdjan au Nakhitchevan (qui dépend de Bakou) donc à la Turquie, il est peu probable qu’elles aboutissent à court terme. Erevan et Téhéran vont tout faire pour saborder ce projet.
Mais pour résumer, la présence sur un espace relativement réduit de forces azéries, iraniennes, arméniennes, russes, turques … et de consultants israéliens (il ne manque plus que la société Wagner) fait de cette région un baril d’explosif instable.

1. Voir : « Iran – Azerbaïdjan : la guerre est-elle possible ? » du 7 octobre 2021.
2. Comme le disent des observateurs : « cela n’a rien de personnel contre l’Arménie, ce n’est que du business ». Cela dit, les Israéliens apprécient modérément les excellentes relations qui existent entre Téhéran et Erevan.

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