Les résultats de la rencontre des présidents Biden et Poutine à Genève le 16 juin semblent commencer à se dessiner. En effet, si le retour des ambassadeurs respectifs à leur poste à Moscou et à Washington reste symbolique, c’est sur le terrain que la situation paraît évoluer même si un retour en arrière brutal n’est pas exclu au cas ou une des deux parties ne respecterait par ses engagements qui sont au niveau théorique pour l’instant (1).

Pour Biden, il convient à ce que le Kremlin ne dépasse pas des « lignes rouges » assez mal définies pour l’instant.  Il n’en reste pas moins que le président Joe Biden commence à prendre des décisions qui sont très importantes localement et qui doivent inquiéter ses alliés ukrainiens (face à la Russie) et des pays sunnites au Proche Orient face à l’Iran.

Ukraine

Le président Poutine a affirmé que « les accords de Minsk devraient être au cœur du règlement en Ukraine, Biden est d’accord avec cela ». Il semble que la Maison-Blanche en tire rapidement les premières mesures.

Elle a arrêté « temporairement » l’aide militaire à l’Ukraine, en particulier sur les armes létales. En échange la Russie aurait diminué le déploiement de ses forces militaires à la frontière qui seraient passées de 100.000 à 80.000 hommes. Les matériels bloqués (temporairement) sont des missiles anti-aériens portables à courte portée, des armements petit calibre et des armes anti-chars… Toutefois, il est à noter que les États-Unis ont déjà livré depuis 2014 pour 2,4 milliards de dollars d’armements à Kiev.

Il semble qu’en dehors des questions de géopolitiques classiques (on ne peut traiter la Russie, une puissance qui détient 2.000 têtes nucléaires opérationnelles quasi au même niveau que les États-Unis sans prendre des précautions diplomatiques), la corruption généralisée de l’État ukrainien ait pesé dans la balance. Certes, le ministre de la défense russe, Sergueï Koujouguétovitch Choïgou, a annoncé en mai que la Russie allait construire vingt bases militaires supplémentaires en Russie occidentale, mais ce projet reste encore extrêmement vague quant à sa réalisation.

Cela dit, en son temps le président Trump avait aussi bloqué l’expédition d’armes létales vers l’Ukraine mais pour d’autres raisons. Il souhaitait que le nouveau président élu Volodymyr Zelensky annonce le lancement d’une enquête concernant les aventures économiques du fils de Joe Biden en Ukraine de manière à ternir l’image de ce dernier avant l’élection présidentielle du 3 novembre 2021. Le président ukrainien ne s’était pas exécuté et avait créé ce premier incident.

Autre point d’achoppement : Kiev tient absolument à rejoindre l’OTAN qu’il considère comme le meilleurs « parapluie » contre la menace russe. Biden affirme qu’il faire tout pour sauvegarder l’intégrité de l’Ukraine mais il ne paraît pas souhaiter accueillir Kiev dans l’OTAN. Même le secrétaire général Jens Stoltenberg ne semble pas enthousiaste à cette perspective, et il ne fait qu’exécuter les ordres de Washington.

Cela dit, toute la classe politique ukrainienne est dépitée ayant enfin la confirmation qu’aucun pays extérieur ne risquera la vie de ses militaires dans un conflit dont les enjeux leurs sont étrangers.

Proche-Orient

Les États-Unis réduisent aujourd’hui leur défense anti-aérienne au Proche-Orient. Ils l’avaient renforcée en 2019 et 2020 en raison des tensions qui montaient avec Téhéran. Le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, « a ordonné (…) de retirer cet été de la région certaines forces et capacités, principalement des équipements de défense anti-aérienne».

Selon le Pentagone « certains de ces équipements seront renvoyés aux États-Unis pour une maintenance et des réparations devenues très nécessaires [NdA : le Proche-Orient présente des conditions extérieures très éprouvantes pour les matériels sophistiqués qui doivent être révisés plus régulièrement que sur d’autres théâtres]. D’autres seront redéployés dans d’autres régions ».

Selon la presse américaine huit batteries antimissiles ont été retirées d’Irak, du Koweït, de Jordanie et d’Arabie saoudite ainsi qu’un bouclier antimissile THAAD qui avait été déployé en Arabie Saoudite. Plusieurs batteries Patriot avaient été envoyées en renfort sur zone après la neutralisation le 3 janvier 2020 du major général iranien Qassem Soleimani lors d’une frappe américaine à Bagdad.

Le système THAAD pour sa part avait été installé en Arabie saoudite quelques mois plus tôt, après des frappes aériennes contre deux importants sites pétroliers saoudiens attribuées à Téhéran. Toutefois, le Pentagone précise : « nous maintenons une présence militaire robuste dans la région, appropriée compte tenu de la menace, et nous sommes convaincus que ces changements ne vont pas affecter nos intérêts de sécurité nationale […] Nous maintenons aussi la flexibilité de renvoyer rapidement des forces au Moyen-Orient si nécessaire». Comme Kiev, Riyad a l’impression que Washington les laisse tomber alors que le Royaume est à la pointe du combat au moment où l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi a remporté le 18 juin l’élection présidentielle en Iran.

Pour mémoire, les États-Unis sont en train de se replier d’Afghanistan et ont réduit à 2.500 leurs effectifs militaires présents en Irak en 2020. Bien qu’il soit âgé (il est né le 20 novembre 1942) et peut-être parce qu’il l’est, le président Biden s’est bien rendu comte que les neoconservateurs étaient inaudibles au moins sur le plan de la logique. Certes, le président Poutine n’est pas un modèle de tolérance mais les USA sont aussi très loin du compte.

Comme l’a souligné le président russe : « Guantanamo fonctionne toujours, cela va à l’encontre de tout – du droit international, des lois américaines, de tout -, mais cela existe toujours. Des prisons de la CIA ont été ouvertes à l’époque dans divers pays, y compris dans des pays européens, où on recourait à la torture. Est-ce cela les droits de l’homme ? ». Il a aussi évoqué la répression qui a suivi la prise du Capitole par des manifestants. Joseph Biden a bien tenté de répliquer qu’il s’agissait de «comparaisons ridicules» établissant une fausse équivalence entre « une attaque de criminels (sur le Capitole) et les manifestations pacifiques de gens privés de leur liberté d’expression en Russie ».

Sur le plan nucléaire, Joseph Biden a décidé de prolonger le traité New Start [traité de réduction des armes stratégiques qui limite le nombre d’ogives nucléaires, de missiles et de bombardiers que la Russie et les États-Unis peuvent déployer] pour les cinq ans à venir. Moscou et Washington avaient convenu de lancer des négociations sur le contrôle des armes nucléaires afin d’appuyer le traité en question, pierre angulaire du contrôle des armes au niveau mondial. Les deux parties ont adopté une déclaration commune, réaffirmant leur engagement concernant « le principe qu’il ne peut y avoir de gagnants dans une guerre nucléaire et qu’elle ne doit jamais être menée ». Cela semble être une évidence, une guerre nucléaire entre ces deux pays amènerait indubitablement la fin du monde.

Enfin, Bien parait considérer que l’Iran ne constitue pas un péril immédiat pour les intérêts américains. C’est en réalité un désaveu de la politique israélienne menée depuis des années même si Washington reste le garant de la protection de l’État hébreu.

Les choses vont continuer à évoluer dans les mois à venir. Biden a un argument pour lui : il peut être plus honnête que certains de ses prédécesseurs car son âge limite dans les faits son mandat et il est douteux qu’il concoure pour un deuxième tour. Dégagé de ce souci électoral (il reste tout de même les élections de mi-mandat), il a les mains plus libres pour agir selon ce qu’il pense vraiment.

Mais ce qui est certain, c’est que l’adversaire principal sur tous les plans des États-Unis est désormais la Chine. Dans les années 1970, cela était appelé le « péril jaune ».

1. Rien n’a été signé formellement et on sait que les promesses orales ne servent pas à grand-chose comme celle qui fut faite à Gorbatchev le 9 février 1990 suite à l’effondrement de l’URSS par le Secrétaire d’État US James Baker que « La juridiction militaire actuelle de l’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est ». M.Gorbatchev a aussi déclaré : « il va sans dire qu’un élargissement de la zone OTAN n’est pas acceptable » et Baker lui a répondu : « nous sommes d’accord avec cela ».

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Texte

Alain Rodier

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