Le Captagon est une drogue qui fait beaucoup fantasmer depuis le début de la guerre civile syrienne.

En effet, Daech a été accusé d’employer massivement ces petites pilules synthétiques pour permettre à ses combattants d’avoir une efficacité démultipliée : sentiment d’invulnérabilité, éveil durant plusieurs jours, etc. Elle avait même été surnommée la « drogue du jihad »… S’il est vraisemblable que des activistes ont utilisé des produits psychotropes pour les aider à tenir dans des conditions difficiles, l’affaire est bien plus complexe qu’il n’y paraît.

Selon un rapport de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), le Captagon est une amphétamine tirée d’un ancien médicament psychotrope. Il est fabriqué notamment au Liban et vraisemblablement en Syrie et en Irak. Sa principale destination serait l’Arabie saoudite où il serait particulièrement apprécié par la jeunesse huppée de la société. Mais on en retrouve en Europe, en Libye, en Irak, dans le Golfe persique, etc. (voir carte en fin d’article).

Dernière prise d’importance date des 15 et 16 mai quand les douanes turques ont intercepté onze containers dans le port d’Iskenderun dans la province d’Hatay. 6.264.259 millions de pilules de Captagon étaient dissimulées dans des matériaux de construction. La cargaison provenait de Syrie et avait comme destination finale officielle les Émirats Arabes Unis (EAU). Déjà en novembre 2015, 11 millions de comprimés avaient été saisis en Turquie en provenance de Syrie.

La Syrie semble donc avoir rejoint les pays traditionnels de production que sont le Liban et la Libye. Le régime syrien et l’opposition se rejettent régulièrement la responsabilité de ce trafic mais plusieurs facteurs font pencher vers la version « gouvernementale ». À savoir que seule une industrie étatique est capable de fabriquer de grandes quantités de ce produit. Si les salafistes-jihadistes sont de véritables tortionnaires et assassins, il n’en reste pas moins que leur idéologie politico-religieuse leur interdit le trafic et l’usage des drogues(1). Même si certains s’affranchissent de cette règle – à leurs risques et périls -, elle reste en vigueur au sein des différents mouvements islamistes.
À noter toutefois que la presse russe reprise par quelques medias étrangers prétend que la Bulgarie serait aussi un centre de production. Cette information est à considérer avec les précautions nécessaires.

Plus d’une dizaine de tonnes de cette drogue seraient saisies chaque année en Arabie saoudite bien que les trafiquants sachent pertinemment ce qu’il leur arrive s’ils sont pris : après des interrogatoires au minimum « musclés », un jugement expéditif suivi d’une décapitation en place publique.

Le 1er juillet 2020 au port de Salerne en Italie, près de quinze tonnes de pilules de Captagon (84 millions de cachets) stockées dans des conteneurs suspects avaient été saisis par les autorités italiennes dans ce qui avait été alors considéré comme « la saisie d’amphétamines la plus importante jamais réalisée par des forces de police au niveau mondial ». Après enquête ayant d’abord suivi les traces de Daech, il avait été révélé que ces produits avaient été produits et acheminés par le Hezbollah libanais depuis la Syrie. La destination finale aurait été la Libye ! Le Hezbollah libanais a une longue tradition dans le trafic de drogues n’ayant jamais eu les mêmes réticences que les mouvement révolutionnaires sunnites(2). Le trafic lui permet de s’autofinancer en partie d’autant que les aides venues de Téhéran sont en baisse suite à la situation économique catastrophique que connaît l’Iran en raison des sanctions de « pression maximales » imposées par les États-Unis.

Il est vraisemblable que le régime syrien de Bachar el-Assad y trouve également son compte ayant un besoin vital de liquidités.

1. Les mouvements salafistes-jihadistes présents sur le continent africains sont à considérer comme une exception. Non seulement les trafics – dont celui de la drogue – leur permettent de se financer mais les activistes de Boko Haram sont connus pour en consommer régulièrement. C’est également vrai en Afghanistan pour l’opium (même si les taliban ne font « que protéger » les cultures et le transport.
2. En Iran comme en Arabie saoudite, le trafic de drogue est passible de la peine de mort (en Iran, par pendaison). Cela dit, les responsables iraniens ont toujours été très pragmatiques. Tant que la drogue contamine les incroyants, ce n’est pas grave.

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Texte

Alain Rodier

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