Le Mozart, un cargo turc battant pavillon libérien a été attaqué le 23 janvier par des pirates à 100 nautiques (185 km) au nord-ouest de l’île de São Tomé-et-Príncipe. Le navire était parti de Lagos (Nigeria) avec pour destination le Cap en Afrique du Sud. L’assaut a duré six heures, l’équipage s’étant réfugié dans le lieu sécurisé installé sur tous les gros navires de commerce. Mais les pirates sont parvenus à les déloger en tuant un marin de nationalité azérie. Quinze marins auraient été emmenés en otages et trois – dont un officier – ont été laissés à bord afin de permettre le navire rallier la côte. Le Mozart mouille maintenant à proximité de Port Gentil au Gabon.

Le ministre des affaires étrangères turc, Mevlüt Çavuşoğlu, a assuré que la Turquie avait débuté des démarches pour faire libérer l’équipage fait prisonnier mais le 24 janvier, aucun contact direct n’avait encore été noué.

Selon le Bureau maritime international, le golfe de Guinée est devenu le nouvel épicentre de la piraterie mondiale. Ainsi, sur 135 marins enlevés dans le monde en 2020, 130 l’ont été dans cette région. Déjà en juillet 2019, dix marins d’un navire turc enlevés au large de Nigeria avaient été libérés en août de la même année.
À la différence des autres régions qui connaissent aussi ce phénomène (Somalie, Détroit de Malacca, Golfe du Mexique, etc.), le Golfe de Guinée est, en plus des prises d’otages, la cible de plusieurs autres types d’activités criminelles qui, majoritairement, sont pilotées depuis le Nigeria. L’inquiétude provient l’extension géographique des zones d’action des malfaiteurs mais aussi de leurs activités criminelles qui ont largement augmenté.

Mais celle qui semble la plus lucrative consiste à s’emparer de tankers afin de transborder leur cargaison (pétrole ou gaz) sur des navires complices en pleine mer. Ces opérations qui peuvent durer de deux jours à deux semaines démontrent que les pirates ne craignent pas vraiment l’intervention des forces de l’ordre. Il est vrai que les forces locales sont souvent gangrenées par la corruption. Parfois, le navire ciblé est tout simplement volé puis rebaptisé.

Les attaques de navires ont souvent lieu à l’aide de plusieurs embarcations rapides manœuvrées par des équipages d’une petite dizaine de marins équipés d’armements légers. Les bandes ont considérablement accru la qualité de leurs matériels avec des armes plus modernes, des moyens de transmissions cryptés, des GPS, des appareils de vision nocturne, etc.

Les autres activités criminelles dans le Golfe de Guinée sont diverses et variées. La pêche illégale se développe considérablement, des bateaux réfrigérés venant collecter en mer le produit de ce trafic qui échappe ainsi aux taxes en vigueur à terre et aux restrictions écologiques imposées par le droit international.

Les vols de cargaisons, des biens des équipages et des passagers, que se soit en mer ou à quai, le racket, les trafics en tous genres dont les plus importants concernent ceux de la drogue, des êtres humains, des armes, des contrefaçons (particulièrement des faux médicaments) prospèrent dans la région. Les bandes criminelles bénéficient des renseignements et de la protection de fonctionnaires véreux. Des attaques en mer sont généralement préparées à l’avance à terre, les pirates repérant les cargaisons qui les intéressent et s’informant des horaires et des voies empruntées. Plus étonnant encore, des attaques à terre, comme des hold-up, sont parfois lancées depuis la mer. Le processus est alors inversé. Les délinquants reprennent ensuite leurs embarcations chargées de leur butin pour rejoindre des zones sûres au fonds des mangroves côtières !

Les groupes criminels qui opèrent dans le Golfe de Guinée et à terre dans l’ensemble de la sous-région, sont très majoritairement d’origine nigériane. Pour le moment, le crime nigérian reste de loin le plus structuré de la zone. C’est donc lui qui impulse la majorité des opérations importantes. La plupart des brigands sont issus des peuples Yoruba et Igbo et ont étendu leurs opérations aux pays voisins en s’appuyant sur les communautés tribales. Les Yorubas sont présents au Bénin, au Ghana, en Côte d’Ivoire (où ils sont appelés les Anangos) et au Togo. Les populations Igbo se retrouvent au Cameroun, au Ghana, en Guinée équatoriale et en Gambie.

Le plus important d’entre eux est le Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger (MEND), créé en 2005. Il a négocié son démantèlement en 2009 avec le pouvoir nigérian et le conflit qui l’opposait au gouvernement a officiellement pris fin en 2011. Une amnistie a été décrétée et une allocation financière a été accordée aux anciens rebelles. En réalité, il continue à semer des troubles ayant laissé de côté les revendications politiques au profit d’activités purement criminelles.

D’autres groupes nigérians font aussi parler d’eux mais ne seraient en fait que des métastases du MEND.

– Les Bakassi Freedom Fighters (BFF), mouvement qui, officiellement, refuse la rétrocession de la presqu’île de Bakassi au Cameroun (2008). Il prétend défendre les intérêts de la communauté ijaw majoritaire dans le delta du Niger. En réalité, les intérêts financiers sont le moteur de ses revendications.

– L’Africa Marine Commando (AMC) qui s’est fait connaître par des prises d’otages au large de Douala en 2010.

– L’Oodua Peoples’ Congress (OPC) qui est une milice officiellement interdite mais dont les membres se pavanent en public sans être inquiétés. Opérant dans le Sud-ouest du Nigeria, l’OPC défend théoriquement les intérêts des Yorubas.

– Du côté camerounais, le Southern Cameroons Peoples’ Organisation (SCAPO) et le South Cameroon National Congress (SCNC) réclament l’indépendance de la « république d’Ambazonie », zone majoritairement anglophone, située au nord-ouest de pays et riche en ressources minérales.

Prenant le relais des côtes de somaliennes, le Golfe de Guinée est devenu une des régions les plus risquée pour le commerce maritime international.

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Texte

Alain Rodier

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