23 personnes liées aux réseaux mafieux russes ont été arrêtées le 14 décembre 2020 en Espagne suite à une enquête policière qui a duré sept ans : l’ »operation Testudo (1) ». Les forces de police ont également effectué 18 perquisitions à Altea, Alicante, Finestrat, Ibiza, Madrid et Valence. Cette colossale opération simultanée a engagé des effectifs de la Police judiciaire et de la sécurité urbaine ainsi que des membres du Groupe des opérations spéciales.
L’enquête était menée par la police nationale en liaison avec le bureau du procureur spécial contre la corruption et la criminalité avec la collaboration d’Europol. L’enquête avait débuté en 2013 lorsque la police avait constaté que les organisations mafieuses russes – déjà très présentes dans toute l’Europe – avaient considérablement augmenté leurs activités en Espagne en utilisant ce pays comme un espace de blanchiment d’argent en investissant le secteur immobilier, les restaurants et les boîtes de nuit. Pour mener à bien leurs affaires, elles avaient corrompu de nombreux fonctionnaires. C’est peut-être ce qui explique la longueur de l’enquête qui a nécessité de rester discrète tant la peur de « fuites » ayant pour origine un « ripoux » était grande. Il fallait qu’un minimum de personnes ne soient informées.
Les enquêteurs ont ainsi détecté plusieurs chefs criminels d’origine russe dont Mikhail Danilov qui assurait la liaison entre des hommes d’affaires et la pègre et le Vory v-Zakone (bandit dans la Loi) Vasily Khristoforov (Vasya Voskres) qui faisait de fréquents déplacements en Espagne. Danilov qui a échappé à la vague d’arrestations est un proche de Levon Dzjangvelpdze, frère du Vory v-Zakone Merab Djhangveladze du clan de Kutaisi (Géorgie). Ces derniers fréquentaient souvent les régions d’Alicante et d’Ibiza où, par le biais de sociétés écran ayant pour dirigeants des hommes de paille, ils investissaient des capitaux étrangers provenant d’activités criminelles menées en Europe et sur le continent américain. Elles comprennent les trafics de drogues, d’armes, la traite d’êtres humains et parfois les assassinats sur commande.
Tout au long de l’enquête, il a été constaté que les organisations russes s’étaient livré au blanchiment d’argent sale mais avaient également commis de nombreux crimes connexes et s’étaient profondément enracinées dans la société espagnole. Elles avaient déployé un puissant réseau clientéliste au sein de l’administration espagnole, réalisant une parfaite infiltration des institutions. Pour cela, l’un des principaux suspects a mené de nombreuses activités philanthropiques au profit de diverses institutions publiques afin de pouvoir les approcher et, une fois leur confiance obtenue, les utiliser pour couvrir des activités criminelles. Trois membres des forces de l’ordre dont deux Gardes civils, un avocat de renom, des pirates informatique (dont leur leader s’est fait appréhender en 2018 à Playa San Juan pour une immense escroquerie ayant permis de détourner dix milliards de dollars dans une quarantaine de pays), des fonctionnaires ont été arrêtés et mis en examen. 300.000 euros en liquide, des véhicules et de nombreuses armes et munitions ont été saisis au cours des perquisitions. Certains des prévenus ont été laissés en liberté surveillée, les plus dangereux étant incarcérés en attente d’un procès monstre qui devrait se tenir cette année (2021).
Toutefois, beaucoup d’autres criminels russes se cachent en Espagne dont les plus connus sont Elena Puzyrevich, Yuliy Serikov (trafic d’êtres humains dont des enfants), Natalya Kotlyarova (trafic de drogues) ou Alexander Chikovani (fraudes financières). Bien que recherchés, ces individus et quelques célèbres Vory v-Zakone parviennent à mener des affaires dans le pays en manipulant des tiers qu’ils soudoient. Cela dit, les affaires légales marchent beaucoup moins bien depuis que les lieux de loisirs – principales cibles des investissements criminels – sont fermés en raison de la crise Covid-19. Toutefois, les achats immobiliers se poursuivent car ce sont des placements intéressants pour l’avenir. En général, les Organisations criminelles transnationales – dont celle ayant vu le jour en URSS – ont toujours privilégié ces placements dans des lieux touristiques de luxe: Italie, Côte d’Azur, stations de ski, Turquie… et plus récemment au Moyen Orient qui développe ses infrastructures hôtelières depuis des années.
L’Espagne est très attractive pour les Organisations criminelles transnationales (OCT) toutes nationalités confondues pour quatre raisons :
. sa position géographique privilégiée qui en fait le point d’entrée principal pour les drogues provenant du Maroc et d’Amérique latine et qui sont ensuite distribuées dans toute l’Europe (une partie seulement est consommée sur place) ;
. un système judiciaire considéré comme relativement laxiste (en dehors de Denis Tokarenko-Katana le leader des hackers cité plus avant, nombre d’autres inculpés de l’affaire de 2018 ont bénéficié d’un non-lieu);
. des forces de police peu nombreuses, divisées (en raison des forts régionalismes) et sous équipées ;
. un pays dont le climat, les plages, les hôtels et les résidences attirent les foules dont les mafieux mais aussi de potentiels « clients ».
- La machine de guerre romaine, pas l’animal qui se traduit « tortuga ».
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